Citations de Mélissa Perron (31)
C'est Van Gogh qui m'a réveillée en jappant, comme s'il avait reconnu le paysage de Saint-Auguste. Je me suis retournée pour voir si Claire avait les mêmes grands yeux que moi la première fois que j'avais vu le village; d'après ses onomatopées, c'était évident qu'elle aussi avait un coup de cœur. En débarquant du camion, j'ai insisté pour qu'on aille rencontrer le fleuve avant de lui faire découvrir son appartement. Pendant que nous nous tenions debout devant notre bout du Saint-Laurent, j'ai fait les présentations.
-Ma tante, j'te présente le fleuve. Beau temps, mauvais temps, il est toujours là.
-Franchement, Fabienne, je sais qu'y est toujours là, y a toujours ben pas des jambes...
d’entendre la sœur parler comme ça de son frère, mais ça me faisait du bien que l’amie traite mon ancien chum d’enfant de chienne.
J’étais impressionnée par les mouvements de ma main avec le pinceau, surprise d’être en symbiose avec les couleurs. Même si j’avais l’impression que tout allait lentement, mon inspiration était comme un geyser et j’avais pas assez de temps, de mains et de place pour saisir tout ce qu’elle m’offrait. Encore aujourd’hui, j’ai jamais retrouvé cet état de grâce en peignant. J’me souviens quand même d’avoir eu peur de rester aussi végétative toute ma vie.
C’était une fille dans mon cours d’arts plastiques. Elle avait toujours l’air dans un autre monde et j’me disais toujours que ç’avait l’air reposant d’être dans sa tête. Isabelle Maheu, l’infirmière, s’est approchée d’elle et lui a demandé comment ça allait avec le médicament. J’ai fait semblant d’avoir le nez dans mon livre de français, mais mes oreilles pointaient vers elles. — J’ressens pus rien, a répondu Marie-Annie. On dirait que j’suis comme un robot. Pus d’émotion ? C’est en plein ce qu’y me fallait. Quand ç’a été mon tour, j’ai expliqué à Isabelle que j’savais pas ce que j’avais, mais que j’étais toujours stressée d’aller à l’école et que je pleurais des fois pour rien.
J’ai jamais flirté avec la mode, parce que dans ma tête, c’est une traîtresse. Elle soulève les passions et quand tout le monde est fou d’elle, elle s’en va sur la pointe des pieds, en laissant des amours déçues. J’aime mieux laisser passer la vague et décider moi-même du moment où je vais prendre le temps de découvrir de la nouvelle musique. À sept ans, j’avais une radio à cassette et j’écoutais un album de Beau Dommage en boucle. Je l’ai écouté jusqu’à ce que je sache toutes les paroles par cœur. Après, ç’a été Jerry Lee Lewis et tout ce qui me tombait sous la main et qui me faisait vibrer. C’est classé dans ma tête, dans le dossier « Musique », avec tous les autres artistes que j’aime.
On a ri, mais j’ai toujours eu de la misère à distinguer les intentions dans les paroles des gens. Je savais pas si c’était un compliment ou une insulte. Je continuais de plier les vêtements, mais j’avais les mains moites.
C’est toujours une petite joie de voir un mariage de voyelles et de chiffres pairs. J’ai grimacé quand j’ai vu un 5 et un K dans la séquence. Ça gâchait toute.
La vie entière est faite de tas de « quelque chose ».
Le silence est une réponse.
Quand j’aime une mélodie, j’peux l’écouter en boucle pendant des heures sans jamais me tanner. Par respect pour Friedrich, je mettais mes écouteurs quand il était là, mais quand j’étais seule, j’en profitais : les haut-parleurs du salon crachaient à haut volume le vieux rock’n’roll. J’avais des étoiles dans les yeux juste à penser que cette soirée serait consacrée qu’à s’amuser, manger, boire et rire.
Après, chaque fois qu’on se voyait, elle me posait toujours la même question : « Y est où, ton amoureux ? Ça se peut pas qu’une belle fille comme toi ait personne ! »
Je sais qu’on doit jamais demander à une femme si elle est enceinte, mais c’était sûrement pas parce qu’on déjeunait au meilleur seul resto du coin que Julie se flattait l’abdomen.
C’est toujours plus facile pour moi de manger quand il y a moins de monde. On a choisi la banquette devant la baie vitrée qui donnait sur l’eau et on s’est tiraillés, Étienne et moi, pour savoir qui allait s’asseoir près de la fenêtre. J’ai gagné. La serveuse est venue se présenter en remplissant nos tasses de café.
Chaque fois qu’on réussissait à se calmer, on se regardait et on repartait à rire. Les gens passaient à côté de nous et riaient en nous voyant. Mon fun a pris fin d’un coup quand j’ai senti mes pantalons devenir mouillés.
Jfais toujours ça pour me calmer, bouger mes doigts, mais là j’étais en représentation et c’était fabuleux : j’étais la musique. Chaque note faisait vibrer une partie de mon corps. J’ai enchaîné toutes les chansons en continuant ma performance et des fois, j’y allais à deux mains. J’étais la vedette de la soirée. Quand l’album s’est terminé, j’ai rouvert doucement les yeux et j’me suis rendu compte qu’Alice était assise à côté de moi, aux premières loges. Elle avait l’air stone en criss.
— Ayoye… C’est vraiment hot comment tu joues du piano…
C’est Elvis avec Hound Dog qui a pris le relais dans les haut-parleurs.
— Tu devrais voir comment je danse !
J’me suis levée lentement, en me mettant dos à elle, et j’ai frotté mon toupet entre mes mains pour me faire un petit coq. Mes jambes ont commencé à ballotter, mon bassin à aller d’un bord pis de l’autre et j’me suis retournée vers elle en faisant semblant de chanter. J’avais un micro dans une main et mon autre
J’aime pas beaucoup les surprises, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
J’haïs ça le cinéma : il fait trop noir, le son est trop fort et l’odeur du pop-corn est trop intense. J’ai appelé pour entendre l’horaire des films qui passaient à 20 heures. Le Chapeau du Père Noël, La Montagne sans toi, L’Intrus des fêtes. Je ne connaissais pas assez Alice pour deviner ce qu’elle aurait envie de voir. J’aurais aimé lire les critiques du film, le synopsis pour me faire une idée de ce que j’allais voir.
Dans ma tête, chaque personne que je rencontre est numérisée. La coupe, la couleur, la texture des cheveux sont les premières données à être traitées. Ensuite, c’est le visage, les vêtements et les souliers. Et ce qui peut être plus tard incriminant pour la personne, c’est que souvent chaque parole est enregistrée avec l’heure et la date.
C’est fou parce que je l’ai trouvé beau avec ses yeux bruns, son beau sourire et ses cheveux mi-longs, frisés. Quand ma mère parlait de lui, la seule image que j’avais en tête était celle d’un homme laid, répugnant. En un coup d’œil, j’ai compris ce que ma mère avait essayé de m’expliquer durant toutes ces années quand elle me disait : « Il est charmant ! »
Non seulement j’avais jamais vu de perlèche, mais j’avais jamais entendu ça. Je trouvais que c’était un beau mot qui roulait bien sur ma langue.