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3.7/5 (sur 15 notes)

Nationalité : Colombie
Né(e) à : Bogota , 1964
Biographie :

Mario Mendoza est né en 1964 à Bogota. Ancien journaliste et professeur de littérature, il se consacre maintenant à l’écriture. Très populaire en Colombie, il est l’auteur d’une vingtaine de livres : romans noirs, jeunesse, non-fiction... Satanas a remporté le prix Biblioteca Breve en Espagne.

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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
María s’éloigne et quitte le marché pour trouver un endroit où personne ne pourra l’observer. Elle s’assoit sur un banc, les yeux embués, pose ses Thermos par terre et se prend la tête dans les mains. Une rage lui remonte dans tout le corps et vient la frapper au visage, lui empourprer les joues et le front. Elle se demande combien de temps encore elle va devoir supporter les obscénités et les grossièretés des maraîchers, leurs insinuations déplacées, leurs retards de paiements humiliants, leurs regards lascifs et lubriques. Elle travaille de trois heures du matin jusqu’à seize heures, et tous les jours c’est la même chose : vexations, offenses, injures. Combien de temps encore ? Pourquoi ne peut-elle pas étudier comme les autres jeunes de son âge, en se trouvant un travail décent qui lui permette de suivre des cours de gestion ou d’informatique ? Pourquoi personne ne croit en elle ? Pourquoi personne ne la considère comme une fille bien, pourquoi rit-on de ses aspirations ? Pourquoi la traite-t-on comme une prostituée vulgaire et méprisable ?

Deux hommes l’observent à quelques mètres de là, sans qu’elle les remarque. Ils portent des jeans serrés et des vestes en cuir qui luisent au soleil. Ils font presque un mètre quatre-vingts, ils ont l’air sportifs et fière allure. Ils doivent avoir entre vingt-cinq et vingt-huit ans, leurs cheveux sont coupés à ras et tous deux semblent irrémédiablement saisis par l’image de cette vendeuse qui pleure en silence, désespérée.

« C’est elle ?

– Oui.

– Elle est parfaite.

– Et attends de voir son visage.
– Bien habillée, elle sera irrésistible.

– Difficile de trouver mieux qu’elle.

– Ça fait combien de temps que tu la connais ?

– Un an, plus ou moins.

– Elle te fait confiance ?

– Non, elle ne fait confiance à personne.

– Je te pose la question dans l’autre sens : elle se méfie de toi ?

– Je l’ai toujours traitée avec respect.

– Bien, allons-y. »

Les deux hommes marchent lentement, comme s’ils voulaient que le temps s’arrête, comme s’ils répugnaient à interrompre le moment de solitude et de recueillement de la jeune femme, qui sèche à présent ses larmes de ses mains tremblantes. Ils arrivent à ses côtés, tout près du plateau en bois sur lequel reposent les Thermos de boissons chaudes. María lève le visage et, se voyant observée, soupire et termine de s’essuyer les yeux.

« Salut, Pablo, dit-elle pleine d’amertume.

– Ça va, María ?

– Tu vois bien.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Rien d’inhabituel… » Elle soupire à nouveau. « J’en ai ras le bol de travailler dans ce trou. »

Les deux hommes se regardent. María répète :

« J’en ai marre de ce boulot.

– Ouais, c’est pas facile.

– Je me lève hyper tôt et le peu que j’arrive à gagner me paye tout juste ma chambre et de quoi manger.

– Ça vaut pas le coup.

– Je n’arriverai jamais à rien dans la vie, comme ça.

– Peut-être que je peux t’aider.

– Toi ?

– Tiens, je te présente mon ami, Alberto.

– Enchanté, dit celui-ci en lui tendant la main.

– María », dit-elle en l’acceptant. Elle se remet debout.

« Cherchons un endroit pour discuter, reprend Pablo.

– Pour discuter ? demande-t-elle avec méfiance.

– Tu ne m’as pas dit que tu voulais changer de boulot ?

– Tu vas m’aider ?

– Parlons-en, María. Si ce que j’ai à te proposer t’intéresse, très bien, sinon c’est pas grave, je m’en vais et c’est tout.

– Là-bas, on peut boire quelque chose », dit-elle en leur montrant un café de l’autre côté de la rue.

María reprend son plateau avec les Thermos et ils se dirigent tous les trois vers l’établissement, s’assoient à une table et commandent trois sodas. Un serveur leur dépose les bouteilles en triangle sur la table.

« Je vous écoute, dit María sans préambule.

– J’ai une proposition à te faire.

– Laquelle ?

– On cherche quelqu’un comme toi, de jeune, qui ait envie de prendre sa revanche sur la vie.

– Qui ça, “on” ?

– Alberto et moi, répond Pablo tranquillement tout en regardant son ami.

– De quoi s’agit-il ? »

Pablo baisse la voix :

« D’abord, je veux que tu saches qu’on te respecte. Ce que je vais te proposer, c’est du business et rien d’autre. Tu ne nous intéresses pas à titre personnel, et ni Alberto ni moi ne profiterons de la situation. C’est clair ?

– Oui, affirme-t-elle en se calmant soudain, baissant la garde.

– C’est pas un prétexte pour t’aborder, ni rien de tout ça, poursuit Pablo d’une voix suave et posée. On a besoin d’une personne de confiance pour commencer à travailler, quelqu’un d’intelligent, de dégourdi, qui a envie de se faire du fric, quelqu’un comme toi.

– Qu’est-ce qu’il faut faire ? demande-t-elle avec une lueur dans les yeux.

– Il y a beaucoup d’argent en jeu, María, pour de bon.

– C’est une histoire de drogue ?

– Non.

– Vraiment ? Parce que moi, je ne veux pas faire la mule. Je préférerais mourir.

– Ça n’a rien à voir avec ça.

– S’il y a beaucoup d’argent, c’est que ça doit être illégal ! dit-elle, sa bouteille de soda à la main.

– C’est facile, María. L’argent, c’est les riches qui l’ont ; ils l’accumulent, ils le planquent et ils ne laissent aucun d’entre nous s’en approcher. On peut travailler honnêtement toute notre vie, on n’aura jamais un radis. Le système est conçu pour qu’ils soient toujours plus riches, pendant que nous, on est de plus en plus pauvres. Il n’y a pas moyen de se constituer un capital sans contourner quelques règles.

– Vous voulez faire des cambriolages ?

– Non, ne t’inquiète pas, on n’est pas des gens violents ni agressifs. Et encore moins des assassins.

– Alors ? »

Pablo vérifie bien que personne ne l’écoute aux tables voisines, il baisse encore la voix et dit :

« On a trouvé un moyen simple : les riches vont nous donner leur argent de leur plein gré, sans les contraindre, sans les agresser, sans faire de vagues.

– Comment ?

– Un copain infirmier nous a appris à utiliser un produit qui plonge les patients dans une sorte d’hypnose pendant quelques heures. Ils sont en transe et exécutent les ordres sans la moindre résistance.

– Et ensuite, qu’est-ce qui leur arrive ?

– Rien. Les effets s’estompent, ils retrouvent tous leurs moyens en deux ou trois jours, et c’est fini.

– Et s’ils meurent ?

– Ça n’arrivera pas, María. Même la police et les agences de sécurité expérimentent ce nouveau produit. Terminé les interrogatoires sans fin, les coups et la torture. Une petite injection et le prévenu répond à toutes les questions. Des psychologues étudient même les possibilités thérapeutiques pour les alcooliques et les drogués. Ne t’inquiète pas, à petites doses, ça ne produit qu’un trouble passager.

– Comment ça s’appelle ? »

Alberto répond, s’immisçant dans la conversation :

« La scopolamine. Mais dans la rue, on appelle ça burundanga. D’après les sorciers et les féticheurs noirs, ça fait des années qu’ils l’utilisent pour leurs sortilèges. Si tu veux plus d’informations, on a récupéré des articles dans des revues de médecine.

– Je ne sais pas, ça me fait peur, tout ça…

– On te promet qu’il n’arrivera rien de grave, poursuit Alberto à voix basse. Ton salaire initial sera de sept cent mille pesos par mois, plus les fringues et les bijoux qu’on t’achètera. Tu pourras vivre seule dans un bel appartement. Pablo et moi te traiterons toujours avec respect.

– Sept cent mille ?

– Ce n’est que le début, dit Pablo.

– Et je pourrai suivre des études à côté ?

– Tu pourras faire ce que tu veux, lui répond Alberto en la regardant dans les yeux. On te laissera vivre ta vie. »

María boit deux gorgées de soda à la suite et dit dans un murmure :

« Qu’est-ce que je dois faire ?

– Nous, on t’indiquera une cible, répond Alberto. Tu t’assois dans un bar ou une discothèque, tu prends un verre. Tu lui souris, tu flirtes un peu sans trop en faire, avec retenue et un peu de pudeur. Le type viendra te faire la conversation, il t’invitera à danser, et au moment il ne fera pas attention, tu laisses tomber un comprimé dans son verre. C’est tout. On se charge du reste.

– C’est tout ?

– Tu n’auras rien à faire d’autre, affirme Pablo.

– Et vous, vous faites quoi ensuite ?

– On lui demande ses cartes de crédit et ses codes, on va à un distributeur, on tire l’argent et c’est terminé.

– Il y a combien de personnes impliquées, dans cette histoire ?

– Seulement nous trois, répond Pablo en se redressant sur sa chaise.

– J’ai combien de temps pour réfléchir ?

– Il faut que tu nous le dises maintenant, dit Alberto à voix basse. Si tu es partante, on t’achète des vêtements dès demain, on te trouve un appartement d’ici deux ou trois jours, et le week-end prochain on se met au boulot. Si ça ne t’intéresse pas, on s’en va, on trouve quelqu’un d’autre et tu nous oublies. »

María regarde la rue, pensive. Sur le trottoir d’en face, à la sortie du marché, le boucher don Carlos, la blouse tachée de sang, lui envoie un baiser de la main. La voix de la jeune femme prend alors un ton catégorique :

« OK, je marche avec vous. »
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On dirait que l’humanité s’écroule, comme si elle était vaincue par des forces hors du commun. Et j’ai l’impression d’être dans l’œil du cyclone.
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– Laisse-moi deviner… L’histoire de l’ange déchu, celui qui s’est rebellé ?
– Comment vous savez ?
– La problématique du bien et du mal, de la lumière et de l’obscurité.
– Mais il y a quelque chose que je ne saisis pas. Le mal n’est pas maléfique depuis les origines. Au début, le diable est un être céleste.
– Et nous sommes faits à l’image de Dieu. Donc, si une partie de nous est mauvaise, à quoi correspond-elle dans l’esprit de Dieu ? Comment le mal peut-il trouver son origine dans le bien et la perfection ? » Campo Elías prend une inspiration et poursuit : « Satan n’est rien d’autre qu’un mot par lequel nous exprimons la cruauté de Dieu. Il n’y a pas d’être suprême, Maribel. Nous avons une divinité bicéphale, à deux visages. Tu te souviens que Stevenson parle de jumeaux ? Nous sommes l’expérience d’un Dieu dont le côté maléfique s’appelle Satan.
– Vous me faites peur.
– La peur est une bonne chose.
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– Nous sommes à la fois ange et démon, a-t-elle expliqué. Nous ne sommes pas une personne unique, mais une contradiction, un ensemble de forces complexes qui luttent en nous-mêmes.
– Oui, peut-être.
– Nous sommes lâches et héroïques, saints et pêcheurs, bons et mauvais. Tout dépend de cette lutte entre les forces. Vous ne croyez pas ?
– Si, sûrement, me suis-je contenté de répondre, même si j’étais étonné d’entendre un tel point de vue venant d’une fille de son âge.
– Moi, je crois que oui. Le bien et le mal n’existent pas l’un sans l’autre, chacun de leur côté, mais ensemble, collés l’un contre l’autre. Et parfois, la frontière est trouble.
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On sait par exemple que des agents de la CIA ont entraîné et assisté les forces de police de plusieurs pays d’Amérique du sud en leur fournissant des instruments de torture, tout particulièrement du matériel destiné à produire des électrochocs au niveau des testicules.

Au bas de la même page, une dépêche d’agence de presse internationale indique : La CIA vient d’offrir plusieurs milliers de dollars pour acquérir le manuel de torture des dominicains, ordre religieux qui s’est distingué pendant plusieurs siècles pour son raffinement dans les sévices physiques comme psychologiques.
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Une Église dont la misogynie saute aux yeux dès lors qu’elle a décrété que "pour un homme dix mille femmes", voulant dire par là que pour chaque homme sacrifié ou torturé il y aurait dix mille femmes maltraitées ou assassinées.

Pourquoi ? Parce que ce sont elles les libidineuses et les concupiscentes, elles qui recherchent le sexe à tout prix et les plaisirs de la chair. L’éternelle rengaine d’une poignée de vieux garçons qui paniquent à l’idée de voir un clitoris et rêvent de les faire disparaître.
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Ce qu’il y a de plus grave dans cette histoire, se dit Andrés, c’est que les choses sont pires aujourd’hui qu’à l’époque de Gauguin. Les mass-médias, l’argent, les marchands d’art pour qui une toile n’est rien d’autre qu’un produit commercial, les publicités, la loi du marché…

"L’art, tu parles ! dit Andrés en refermant le livre. Ce qui est produit de nos jours n’est qu’ordures formatées pour des veaux."
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Andrés observe la reproduction de près, puis de loin, et finit par échafauder une hypothèse : Le Caravage n’a pas tant voulu représenter une mort en particulier (celle de l’apôtre Pierre) qu’immortaliser l’impossibilité que nous avons de nous défendre face à une fin qui nous prend par surprise et nous rappelle, dans les derniers jours de notre vie, la petitesse de notre condition humaine.
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– Il y a une sorte d’arrogance dans notre ministère, une espèce de supériorité idiote, je ne sais pas comment t’expliquer. Nous ne sommes pas comme tout le monde, nous nous croyons différents, nous menons un mode de vie qui nous interdit de nous mêler aux autres et d’être en empathie avec eux, d’égal à égal. Nous sommes une classe de privilégiés qui jouent les humbles.
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La tendance à homogénéiser la pensée et le comportement fait de chaque personnalité atypique un être indésirable, comme s’il s’agissait d’un élément dangereux pour le fonctionnement de la machine sociale.

Voici comment je me sens : exclu, rejeté, comme un lépreux du Moyen Âge, comme si j’étais porteur d’une maladie capable de créer une épidémie.
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