Lauréat du Prix du roman gay 2019 dans la catégorie Recueil de poésies, Michel Bellin est sans doute l’une des personnes que j’ai croisées lors de la remise, au centre LGBTQ de Paris. Mais, et je m’en excuse, peu de souvenirs de cette soirée sont restés gravés dans ma mémoire (de poisson rouge, je l’avoue), hormis la rencontre très amicale avec ma co-lauréate ès romans policiers, Annabel. Une année plus tard, Michel a sûrement fait un autre discours, par vidéo interposée pour cause de pandémie, puisqu’il a reçu le Prix d’honneur pour l’ensemble de son œuvre dans la cadre du Prix du roman gay 2020. Mais j’ai l’impression de n’avoir réellement rencontré l’homme que lorsqu’il m’a déposé en mains propres le recueil dont je m’apprête à parler ici. Je me rappelle d’un homme petit, mince, presque chétif, très discret, presque timide, mais d’une extrême politesse et amabilité, avec lequel j’ai immédiatement pu bavarder sans malaise, moi qui suis plutôt fermé comme une huître quand je dois faire tout seul la connaissance de quelqu’un d’inconnu (NB : si vous voulez me présenter quelqu’un, restez à mes côtés ! ou donnez-moi à boire, de préférence une boisson alcoolisée !).
Bon, j’ai enfin pu lire le livre. Non que je n’en aie pas eu envie plus tôt ou que je n’aie pas trouvé le temps nécessaire, mais un recueil de poésie ne se lit pas comme un roman, page après page, d’une seule traite. Pas si l’on veut le lire sérieusement, en tout cas. Les poèmes, ça ne se précipite pas. J’ai donc feuilleté cet opus à plusieurs reprises, picorant, si j’ose dire, poème après poème, lentement, comme on déguste des petits fours, que l’on savoure, que l’on laisse fondre sur sa langue, dont on analyse le goût, la texture, la bouche, les arômes qui restent pour un moment en suspens avant de s’évanouir, et enfin, les sensations et émotions que l’on se surprend à se rappeler longtemps après encore (étrange, mais ces souvenirs-là n’ont aucun mal à se graver dans mon esprit !)… Et quelle différence avec l’homme si aimable, si doux, si discret qui m’a apporté cet ouvrage !
Bien entendu, et cet avertissement retentit dès la première page, Délices et infamie n’est pas un livre autobiographique – comme l’écrit si joliment Michel Bellin, « […] le Poète […] entend, selon l’usage, dans ses rimes comme dans sa couche, s’arroger licence ou abstinence ». Les poèmes rassemblés dans ce volume sont donc, à quelques exceptions près, des fantasmes, des odes au rêve, des monuments littéraires érigés pour célébrer les rencontres imag(in)ées avec tel prince, tel éphèbe, tel beau gosse, tel dard, tel derrière… « Rêver, c’est déjà créer », comme le dit si justement l’auteur.
Tout comme lire un recueil de poésie prend plus de temps et, souvent, demande davantage de focus, davantage d’attention, écrire une critique d’icelui s’avère également plus hardi que pour un roman. Certes, on peut faire l’impasse de livrer, en ses propres mots, un résumé succinct de l’intrigue, mais le choix demeure : faire dans l’analyse structurelle, formelle (rien que de l’évoquer, je baille, donc c’est non pour moi), ou se concentrer uniquement sur son ressenti ? Et comment le formuler sinon en écrivant soi-même des poèmes ? Ou, mieux, en réalisant une peinture ?
J’imagine votre tête si, au lieu de vous livrer une petite chronique, je vous jetais dans ce article une espèce de croûte indicible faite par mes petites mains (je ne suis pas très doué en peinture, donc forcément croûte il y aurait)… non, je vais tenter de rester dans l’univers du mot. Si j’ai évoqué, dans les premières lignes, la différence entre mon souvenir du personnage de l’auteur et ses poèmes, c’est que… loin de la discrétion aimable de Bellin (en tout cas en public, après, dans le privé, je n’en sais rien), dans ces « bellinades », comme il les appelle, tout n’est que volupté. Volupté du sujet d’abord, le plus souvent un (des) mâle(s) et ses atouts/atours, et on ne va pas se plaindre, il y a pire (et peut-être justement pas mieux) comme sujet. Le mâle, les rencontres avec, les enlacements, entrelacements avec, les collages au, les touchers, sentirs, peaux et organes, appendices et protubérances, le mâle dans toute sa splendeur, dans toutes ses couleurs, fragrances, goûts… Volupté du verbe, ensuite, qui ici coule comme coule la semence au moment du bonheur suprême : chaud, sans entraves, blanc et exquis, porteur de vie et d’espérances. Oui, Michel Bellin manie le verbe avec virtuosité, avec effervescence, avec brillance. Rien n’est opaque ou difficile à deviner, comme ceux qui « n’aiment pas la poésie » craignent souvent, tout est clair et limpide à qui veut comprendre, mais tout est enrobé d’un vernis délicieusement, savoureusement poétique, tout est porté plus haut par le phrasé, le rythme, le choix des mots, les images, analogies, métaphores etc. Car, pour finir, on désire aussi la volupté du style ? On est servi, ici, et ô combien bien servi. Du vers libre en passant par le sonnet et les allitérations, l’amateur de forme sera comblé.
Je ne vous donne pas de citation favorite, ici, car il y en aurait tellement à vous proposer – des passages qui m’ont coupé le souffle dans chaque poème, me donnant envie de piocher dedans pour mes propres exercice d’écriture (tel ces « sourires d’étoiles » qui clignent dans un ciel nocturne – alors que tout auteur a déjà cherché comment dire d’une façon nouvelle le ciel de nuit, justement…) Sachez juste que Michel a eu la gentillesse de me donner l’autorisation de publier quelques-uns de ses poèmes dans le dernier numéro de L’autre Rive. Je vous invite donc à en découvrir trois ici. Ensuite, allez-y, procurez-vous ce recueil, de toute beauté, ou l’un des autres que l’auteur a déjà publiés. Et surtout, ne ratez pas les mini-textes que Michel publie très régulièrement sur son blog personnel et qui sont toujours très réussis.
Lien :
http://livresgay.fr/delices-..