Maître Corbeau, sur sa chaire perchée, tenait dans son bec ce langage : "Convertissez-vous et vous entrerez au Royaume des Cieux".
Les Sauvages, par ce bagou peu alléchés, lui tinrent à peu près ce langage : "Casse-toi, pauv’ con !".
Cette entrée en matière humoristique – bien que résumant les grandes lignes ce superbe roman – omet la manière bien plus subtile dont se déroulera cette évangélisation du peuple des Hurons.
L’auteur fait dans le sérieux, moi pas. Mais la lecture (faite entièrement sur liseuse) fut enrichissante et enivrante…
Le récit m’a emporté en Nouvelle-France, au 17ème siècle, dans une tribu Wendat (Hurons) où le père Christophe vient de débarquer, ne doutant pas qu’il arrivera à évangéliser ceux qu’il nomme "les Sauvages". Lui sera surnommé "Corbeau" par les gens de la tribu.
Nous sommes face à un roman à 3 voix : 3 voix aussi dissemblables qu’elles sont indissociables…
Premier narrateur, le père Christophe, notre jésuite. En second, une jeune iroquoise prénommée "Chutes-de-Neige" dont la famille vient d’être massacrée par le troisième narrateur "Oiseau", un chef Huron qui va l’adopter comme sa fille. Oui, il massacre la famille mais il adopte…
Ce changement de narrateur à chaque chapitre donne un autre souffle au roman, nous faisant entrer dans la peau et les pensées de trois personnes différentes, avec une culture différente (de par le sexe du personnage, sa place dans la société ou son origine ethnique) et un mode de vie diamétralement opposé (prêtre et guerrier chasseur).
Si j’ai eu envie de baffer bien souvent le jésuite, il est tout de même remonté dans mon estime à la fin, en faisant preuve d’un courage que je n’aurais jamais eu.
Oiseau, grand guerrier, à eu le cœur brisé par le massacre de sa famille. Alors, en juste vengeur qu’il est, il massacre lui aussi des gens de la tribu responsable de la mort des siens et adopte la fille des gens dont il vient de défoncer la tête…
Chutes-de-Neige est habitée par la vengeance envers Oiseau, mais on sent le personnage mûrir, jusqu’à devenir une femme. Son évolution est présente au fil des pages, la gamine changeant au fil des saisons qui passe dans le récit.
Tout le récit est baigné par de l’incompréhension et de la méfiance de part et d’autre des protagonistes (prêtre, Wendats et Chute-de-Neige). Comme des chiens qui se reniflent, les Wendats observent avec des sourires ce Corbeau qui fait d’étranges signes et notre jésuite implore Dieu de leur pardonner parce qu’ils sont des sauvages.
Pourtant, je ne les ai pas trouvé si "sauvages" que ça, moi, ces Hurons ! Ils vivaient juste de manière différente, c’est tout. Cela en fait-il des barbares pour autant ? Non.
Ce roman magistral est une immersion dans la culture des différentes peuplades qui composaient la "Nouvelle France" pendant la colonisation et l’évangélisation. Impuissant, on assistera à un changement radical chez ces gens avec la découverte des armes à feu par la tribu "ennemie".
Oui, l’homme Blanc a tendance à faire pourrir les fruits intacts qu’il touche… Il lui impose sa pensée, veut imposer son mode de vie, son Dieu. Oui, nous avons corrompu des tas de gens qui ne nous demandaient rien. Juste parce que nous estimions que c’était "pour leur bien". L’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est bien connu.
Attention, les Hurons n’étaient pas des tendres non plus et se livraient entre eux à des guerres sans merci, mais ils le faisaient avec leurs propres armes, des arcs, des lances et pas avec des mousquets !
Un tout grand roman que j’ai dévoré en peu de temps, malgré les petits temps morts qui parsèment le récit. Les personnages étant tous bien décrits, ils étaient des plus agréable à suivre afin de les voir évoluer dans le bon ou le mauvais sens.
Quant à l’écriture, c’était un petit bijou, tant au niveau des descriptions que des personnages.
Seul bémol, quelques scènes de tortures qui auraient pu être suggérées et pas décrites. Trop de violences tue la violence et j’aimais mieux la violence sous-jacente du début que celle, brute de décoffrage, qui sévit à la fin.
Quand au titre, j’aurais préféré qu’ils laissent l’original "Orenda" qui non content d’éveiller notre curiosité, trouvait réponse dans le récit.
Pour le reste, un grand roman.
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