Il sortit de sa poche un petit tube bleu transparent contenant une poudre sombre. Il en avala une dose homéopathique, puis fonça vers Blandine, de retour de la terrasse le smartphone à la main, d'humeur explosive.
— Ils vont me le payer ces connards ! Ils n'ont pas voulu me dire s'ils avaient déjà envoyé quelqu'un ici. Si ça se trouve cette camionnette est là pour…
— J'en ai rien à foutre ! Rends-moi mon mobile, hurla Cyril en le lui arrachant des mains. Cette pouffiasse de Montlouse a entrepris de me dévaster la clinique avec un sanglier. Je vais lui refaire son ravalement à la truelle, crois-moi ! Je ne sais pas d'où sortent tous ces cochons, mais si l'idée vient des fouteurs de merde de ta production, on ne va pas être copains ! Je vais leur en faire bouffer du lard, moi, et avec la couenne !
Mortifié, Adrien s'excusa d'un regard auprès de Gwendal qui lui répondit d'un sourire indulgent. Il n'avait jamais pu supporter le comportement vulgaire de ses parents, surtout, en présence d'un étranger à la famille. Il était envahi par un tel sentiment de honte qu'il avait du mal à empêcher des idées haineuses de tourbillonner dans son crâne.
La première fois que cela lui était arrivé, il avait douze ans. Au collège, il avait envoyé à l'hôpital un condisciple qui avait agressé et insulté sa copine Karine. Malgré la différence de force en sa défaveur, Adrien l'avait assommé à coups de chaise puis s'était acharné sur lui. Il aurait pu le tuer. Heureusement, pour lui et sa victime, il en avait été empêché par d'autres élèves. Quand il s'était calmé et avait retrouvé sa clairvoyance, il avait eu le sentiment de s'être totalement dédoublé pendant ces instants de fureur. Un alien avait, semble-t-il, jailli du plus profond de lui-même et avait agi à sa place avec une hyper brutalité de manière totalement déconnectée de son cerveau. Un jumeau maléfique et violent qu'il avait, peu après, personnalisé dans son esprit sous la forme d'une gargouille gothique, suite à ce qu'il avait appris lors d'une visite de Notre-Dame de Paris, avec ses grands-parents. Selon la légende, ces monstres de pierre grimaçants, en dehors de l'évacuation des eaux de pluie, auraient été conçus pour repousser les assauts du diable. Pour y parvenir, il leur était, paraît-il, possible de se détacher de leur cathédrale pour agir à égalité de violence avec Lucifer.
Anéanti par cet aveu corrosif, Vincent prit conscience qu'il n'avait plus en face de lui son "P'tit moineau" dévoué et admiratif.
Son couillon de frangin venait de s'envoler du nid douillet de son adolescence pour devenir un rapace adulte, éminemment nuisible. Adrien ne le considérait plus comme son ainé exemplaire, mais comme une proie à exterminer, au pire un vermisseau, au mieux un lapin!
Depuis sa crevasse, Rahel, le boomslang, inquiété par la remontée soudaine de ces deux humains, fut soulagé de les voir s’éloigner de nouveau. Il étira sa langue fourchue en quête de molécules odorantes et, celles-ci, une fois plaquées contre son palais, et analysées via son organe de Jacobson, constata qu’il y avait peut-être quelques rongeurs troglodytes à portée d’estomac, de quoi changer son menu, fait au mieux d’une souris congelée par mois. Comme, de plus, son analyse olfactive lui indiquait que l’un des deux humains qui venaient de le frôler devait être le fils de celle qui le séquestrait depuis tant d’année, il s’était dit, dans son cerveau de reptile reclus en terrarium, que si l’occasion s’en présentait, il pourrait enfin se venger.
Tout ce qu'il avait vécu ce matin semblait annoncer plus une tragédie qu'une comédie. D'un seul coup il voulut fuir, ne pas participer, ne pas être concerné, mais sa gargouille protesta face à sa lâcheté. Sa part d'ombre, elle, n'avait pas peur du lever de rideau, ni de jouer un rôle sous le feu des projecteurs.
La première fois que cela lui était arrivé, il avait douze ans. Au collège, il avait envoyé à l'hôpital un condisciple qui avait agressé et insulté sa copine Karine. Malgré la différence de force en sa défaveur, Adrien l'avait assommé à coups de chaise puis s'était acharné sur lui. Il aurait pu le tuer.
Rahel, le boomslang, toujours embusqué à l’extrémité d’une vielle canalisation, suite au bruit des chaîne agitées contre les barreaux, venait de sortir de sa léthargie… Il s’étonna de voir cet étrange humain avec une tête de lion, s’occuper des deux autres humains endormis au-dessus de lui et, voyant une jambe de l’un d’eux se souvint que juste avant de perdre conscience, il avait vu une veuve noire s’enfuir en l’escaladant depuis le pied. Tout en réactivant sa glande à venin pour qu’elle soit utilisable, au cas où, il guetta particulièrement ce membre humain, craignant le retour de cette araignée vénéneuse et observa les agissements de l’homme masqué….
Ce vide, grandissant au-dessus de sa tête, donna brièvement à Marina, avant tout infirmière, le sentiment d'être aspirée sur le piston d'une gigantesque seringue plantée dans un monde souterrain contaminé, dans le but de l'assainir.
-Y a-t-il eu des difficultés particulières lors des interventions qu’elle a subies dans votre clinique ?
-Elle ne les a pas subies, elle les a sollicitées. Au moins six ou sept fois en quinze ans et non pas deux, comme elle prétend. Qu’elle n’ait pas retrouvé ses vingt ans, c’est possible, mais la chirurgie esthétique ce n’est pas Photoshop ! Moi, je rectifie ponctuellement. Ensuite, la matière vivante évolue selon le milieu dans lequel elle baigne. Dans l’alcool, mon ravalement peut souffrir.
Il n’avait rien à regretter, aucun acte de contrition à effectuer. Certes, ce qu’il avait fait était immoral, mais il y avait toujours pris du plaisir.
Bien avant les vidéos de décapitations humaines devenues une arme des terroristes, il existait déjà des films clandestins montrant l’accomplissement d’un vrai crime, les snuffs movies. Dans les années 70, des sadiques filmaient l’agonie de leurs victimes, les copiaient sur des cassettes vidéo puis les vendaient sous le manteau