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Critiques de Michelle Alexander (6)
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La couleur de la justice

Force est de constater que depuis la constitution des États-Unis d'Amérique par les Pères Fondateurs, les Africains-Américains occupent une place incommodante sur ce territoire. En fait, on aimerait bien qu'ils n'y soient plus, ou plutôt si, qu'ils soient là mais uniquement quand on a besoin d'eux. le reste du temps, puisque malgré les moyens employés ils persistent à s'incruster, ils demeurent les victimes permanentes d'un système de caste raciale qui ne cesse de se réinventer dès que celui en cours (esclavage, lois Jim Crow, ségrégation...) tombe sous le coup de la loi. On a ainsi pu voir chacune de ces idéologies méphitiques tour à tour interdite jusqu'à ce qu'enfin toute discrimination soit déclarée illégale. Et voilà, fini le racisme, terminé, out, on en entendra plus parler, pas trop tôt.



A moins que...

Quand en 1982 Ronald Reagan déclare la guerre à la drogue, cette fameuse « drug war » déjà initiée par Nixon et qu'il reprit d'une main de fer, on imagine aisément la satisfaction enfantine du ronaldus magnus, trop content d'avoir trouvé une nouvelle formule le faisant totalement passer sous les radars du ségrégationnisme. Parce que ne nous y trompons pas, quand Reagan parle de faire la guerre à la drogue (drogue = crack, dont de plus il se foutait royalement et qui n'était pas un problème majeur aux débuts des années 80) et aux criminels, ce qu'il sous-entend et que tout le monde comprend, c'est : "guerre aux nègres" ! Mais rien dans son discours n'étant racisé, il sera impossible de prouver quoique ce soit. Et voilà, un nouveau système de caste raciale vient tranquillement de se mettre en place. Parce que si la discrimination raciale est maintenant hors-la-loi, la discrimination envers les criminels, elle, est tout ce qu'il y a de légale, mieux même elle est encouragée. Suffit donc de laisser entendre que tous les Africains-Américains (et Latinos, pas de jaloux) sont des criminels potentiels et voilà le travail ! Bien joué l'acteur de seconde zone !

Plus qu'à attendre que ça prenne dans l'opinion publique et en effet, ça ne traîne pas. Politiques et médias n'ayant pas de scrupules à vendre ces insinuations tacites en martelant des communiqués sur une prétendue criminalité en hausse dont seraient uniquement responsables les Africains-Américains (c'est dans leurs gènes, que voulez-vous), les sempiternelles images biaisées des journaux télévisés et des discours gouvernementaux arriveraient presque à nous faire avaler cette couleuvre obèse enceinte de triplés : drogués = criminels = Noirs.

Donc, sans se poser la moindre question on accepte l'idée qu'une simple pigmentation de peau changerait intrinsèquement les valeurs humaines ? le fait d'avoir la peau foncée pousserait à se droguer, tuer, voler, violer, etc ?

Michelle Alexander a vite fait d'envoyer dinguer ces niaiseries et en profite pour rétablir la vérité au passage : ce qui pousse la plupart des Africains-Américains à commettre des crimes est la contrainte sociétale qui les parque dans des ghettos, leur refuse études et emplois décents, les traite comme des citoyens de seconde zone et autres joyeusetés, le tout finissant par former le cocktail explosif espéré et hop, plus qu'à ouvrir grand les prisons et attendre tranquillement qu'ils viennent les peupler.



Pour preuve de ce qu'elle avance : à crime égal dans le trafic et la consommation de drogue, un Blanc ne sera pratiquement jamais inquiété, une tape sur les doigts faisant largement l'affaire. Pour un Noir par contre, s'il se fait choper (ou pas d'ailleurs, suffit de le soupçonner et c'est déjà bien suffisant) il peut commencer à faire ses adieux à ses proches, il n'est pas près de revoir la lumière du jour sans barreaux pour lui gâcher la vue.



♫ If an officer stops you

Promise me you'll always be polite ♪ ♪

♪ ♫ And that you'll never ever run away

Promise Mama you'll keep your hands in sight ♫ ♫



A l'instar des bavures policières n'impliquant presque jamais l'assassinat de caucasiens, la guerre contre la drogue n'a que faire des dealers blancs, d'ailleurs il est bien précisé que le fléau étant avant tout le crack, drogue d'Africains-Américains en général rapport à son prix plus abordable, à l'inverse la cocaïne étant plutôt réservée aux Blancs, elle est assez bien tolérée dans le système judiciaire américain. Mais bon, du calme, c'est sûrement une coïncidence.



En conclusion, La Couleur de la Justice est une étude solide et réfléchie s'appuyant sur des statistiques vérifiées (et vérifiables) dont la critique démonte les croyances en un système qui se prétend juste et équitable, laissant sa chance à tout le monde à partir du moment où on ne s'écarte pas du droit chemin. Foutaises, nous dit Michelle Alexander et au vu des faits et de l'enquête qu'elle a menée, faut être costaud moralement pour ne pas perdre espoir ; comment combattre un tel système ? Les minorités devront-elles donc toujours se faire avoir ?

A lire en parallèle de « 13th », fabuleux documentaire d'Ava DuVernay (qu'il faut voir absolument) et qui reprend, images d'archives et illustres intervenants à l'appui (Michelle Alexander bien entendu, Angela Davis, van Jones, Bryan Stevenson, etc...), toutes les vérités énumérées et étayées dans cet admirable essai, véritable manifeste à la refonte de tout un système pénal détestable et criminel avec lequel il serait plus que temps d'en finir !

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La couleur de la justice

Tout d'abord, je remercie Babelio et les éditions Syllepses pour l'envoi de cet ouvrage dans le cadre de l'opération Masse Critique de juin.



J'avoue qu'en le recevant, j'ai eu un peu peur. Si le thème m'intéressait beaucoup, les 362 pages dans une police assez petite m'ont fait craindre une lecture trop complexe ou redondante. Mais au contraire, ce fut une lecture fluide, agréable et très instructive.



Évidemment, il faut s'intéresser un minimum à la question des inégalités raciales avant de se lancer dans une telle lecture. D'ailleurs, dès l'introduction, Michelle Alexander l'annonce, elle vise avec ce livre un public bien spécifique, ceux qui souhaitent s'armer pour démontrer la persistance d'un système de caste racialisé aux Etats-Unis. Elle souhaite par cet ouvrage, leur fournir des éléments d'argumentation en ce sens.



Je ne fais pas partie du public ciblé, il n'empêche que les mécanismes d'oppression et de contrôle des minorités décrits dans cet ouvrage existent, dans une moindre mesure, dans d'autres régions du monde, y compris en France. Quoi qu'il en soit, en savoir un peu plus sur le système judiciaire et carcéral américains est toujours intéressant. Avoir des bases de connaissances sur ces derniers est clairement un plus, même si mon ignorance n'a pas empêché ma compréhension.



Tout au long des 6 chapitres de cet essai, Michelle Alexander expose donc les éléments qui l'ont conduite à ce constat : le modèle judiciaire américain et la guerre contre la drogue, ont permis la mise en place d'un système de contrôle des populations noires américaines, qui s'apparente à un nouveau modèle de ségrégation : l'incarcération de masse des Africains-Américains. Bien plus sournois et subtil que Jim Crow – dont il est tout de même différent par certains aspects, l'auteur ne manque pas de le préciser dans le dernier chapitre – ce nouveau système qui s'organise en plusieurs étapes et autour de plusieurs questions ( contrôles policiers, arrestations, condamnations, « réinsertion »… mais aussi intérêts financiers des prisons privées, subventionnements étatiques, contrôle des contestations sociales etc…) maintient donc les hommes noirs dans un statut de citoyens de seconde zone, marginalisés dans tous les aspects de la vie quotidienne ; l'accès à l'emploi, au logement, aux coupons alimentaires, au droit de vote, et ce, même s'ils ne sont pas ou plus incarcérés.



Elle alerte également sur les dangers de la nouvelle tendance, le « color blindness », l'indifférence à la couleur de peau qui, à mon sens, rappelle fort par exemple le refus en France de procéder à des statistiques ethniques. Une tendance qui tend à étouffer et rendre invisibles non pas les couleurs mais les cas avérés de discriminations systémiques. Elle alerte également sur les limites et les dangers de la discrimination positive, une politique à priori bienveillante mais qui, cela est très bien expliqué, alimente ce nouveau système ségrégationniste.



Les mots sont forts, les analogies peuvent offusquer. Cependant les arguments et les situations concrètes qu'elle expose tout au long du livre rendent compte de l'inégalité flagrante subie par les hommes africains-américains. le pire, ce sont les chiffres, juste édifiants. Ce livre, écrit avant les récents épisodes de violences policières aux USA et le mouvement Black Lives Matter met donc déjà des mots sur un des plus grands drames de l'Amérique. Je comprends qu'il soit devenu un classique du militantisme contre les discriminations ethniques aux USA.



Même si cet ouvrage est très américano-centré et propose, non pas des solutions mais des pistes de réflexion, j'ai été ravie d'en apprendre beaucoup sur les mécanismes de ce qu'elle dénonce comme « le nouveau Jim Crow ». J'invite vraiment ceux qui sont intrigués par le sujet à se lancer dans cette lecture.
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La couleur de la justice

Un cauchemar pour les droits humains est en train de se produire sous nos yeux



Dans son introduction, Michelle Alexander souligne, entre autres, les « nouvelles tactiques ont été utilisées pour atteindre les mêmes objectifs, ceux que s’étaient déjà fixés les Pères fondateurs. Pour ces derniers, il était fondamental de refuser la citoyenneté aux Africains-Américains, alors que se constituait l’Union originelle. Deux siècles plus tard, l’Amérique n’est toujours pas une démocratie égalitaire », le pourcentage extraordinaire d’hommes noirs aux États-Unis légalement privés du droit de vote, les discriminations légalisées à l’embauche, au logement, à l’éducation, aux prestations sociales, au droit à être juré… « Nous n’avons pas mis fin aux castes raciales, nous les avons simplement remodelées ». Je ne vais pas ici discuter de la notion de caste (« Dans ce livre, j’utilise le terme de caste raciale de la façon dont il est communément utilisé pour désigner un groupe racial stigmatisé confiné dans une position inférieure par les lois et les coutumes. Jim Crow et l’esclavage étaient des systèmes de castes. Tout comme l’actuel système d’incarcération de masse. ») qui me semble inadéquate, ni du vocabulaire choisi par l’auteure – je signale que pour ma part je préfère parler de rapports sociaux et de leur imbrication.



L’auteure insiste sur l’invisibilité du sytème mis en place, sur la nécessité d’établir « un lien entre notre actuel système d’incarcération de masse et des formes antérieures de contrôle social. Je me suis rendue compte assez tardivement que l’incarcération de masse était un système de contrôle social racialisé, à la fois total et dissimulé, qui fonctionnait d’une façon semblable à Jim Crow ». (En complément possible, le livre d’Angela Davis : La prison est-elle obsolète ?)

Guerre contre la drogue et plus spécifiquement contre le crack, « L’impact de cette guerre a été considérable. En moins de trente ans, la population carcérale s’est envolée, passant d’environ 300 000 personnes à plus de 2 millions, les condamnations pour drogue étant responsables de l’essentiel de cette augmentation », les États-Unis ont aujourd’hui le taux d’incarcération le plus élevé du monde, « Aucun autre pays dans le monde n’emprisonne autant ses minorités raciales ou ethniques ».



Délinquance, peine de prison comme « un instrument de contrôle social », traitements différenciés des populations, « des études montrent que les gens de toutes les races consomment et vendent des drogues à des taux remarquablement semblables », incarcération de masse… « Ce livre avance que l’incarcération de masse est le nouveau Jim Crow et que tous ceux qui se soucient de justice sociale devraient s’engager pleinement dans le démantèlement de ce nouveau système de castes raciales ».



Michelle Alexander analyse le système judiciaire « non pas comme un système indépendant mais plutôt comme une passerelle dans un système plus large de stigmatisation raciale et de marginalisation permanente », les conséquences du contrôle social, la création et le maintien des hiérarchies sociales, la marque de la prison – largement indépendante du temps passé en prison. L’auteure trace des pistes de discussions et d’actions nécessaires pour en finir avec un système de stigmatisation raciale et de marginalisation permanente d’une partie des Africains-Américains.



Je choisis de mettre l’accent sur quelques dimensions de ce livre important.



Michelle Alexander revient sur la période de l’esclavage. Elle analyse la période de Reconstruction et « la réaction brutale des Blancs », l’absence de reformes agraires et démantèlement des grandes propriétés foncières, la construction et la fin du système dit « Jim Crow », les adaptations des politiques raciales aux contextes, la naissance de l’incarcération de masse, l’opposition à la législation des droits civiques et l’invocation de la loi et l’ordre, les imageries des émeutes et de la « criminalité »…



L’auteure souligne que la « guerre contre la drogue », outre qu’elle ne concerne principalement que le crack (utilisé majoritairement par les Africains-Américains, contrairement à la cocaïne plus pratiquée chez les jeunes blancs) – sans oublier la marijuana à la très large diffusion -, recouvre d’autres dimensions directement politiques.



Traitement sensationnaliste de l’émergence du crack dans les quartiers défavorisés de centres-villes, politique réduite à la répression, système judiciaire particulier, orchestration médiatique et institutionnelle. Michelle Alexander montre que les pratiques judiciaires ne sont pas neutres. En regard de ce qui se pratique de l’autre coté de l’Atlantique, je souligne les propositions de certains ici sur les peines planchers, la récidive, le plaider-coupable…



Le tout répression – « vernis imaginaire appliqué à un système d’oppression et de contrôle racialisé et brutal » – nécessite des moyens et des actions policières mais aussi un appareil judiciaire particulier (sévérité des sanctions, définition de nouveaux crimes, perpétuité pour certains récidivistes…)



Entre 1980 et 2000, le nombre de personnes incarcérées est passée de 300.000 à plus de 2 millions ; depuis 1980 plus de 31 millions de personnes ont été arrêtées pour des délits liés à la drogue ; fin 2007, plus de 7 millions d’étasuniens – près d’un adulte sur 30 – se trouvait derrière les barreaux ou en liberté conditionnelle.



L’auteure souligne que la guerre contre la drogue a porté « atteinte à pratiquement toutes les libertés civiles » (comment ne pas faire le parallèle avec cette même guerre dans certains pays d’Amérique centrale ou du sud ? comment ne regarder les conséquences de l’état d’urgence – et plus généralement de la « guerre contre le terrorisme » menée dans certains Etats ?). Elle détaille des éléments dans le fonctionnement de la police (suspicion arbitraire, perquisition sans mandat, fouille par consentement, arrêts-prétextes, utilisation d’infraction mineure du code de la route comme justificatif d’interpellation, profilage, approche quantitative, pouvoirs discrétionnaires, énormes subventions, équipements…). Il est légitime de se poser la question de l’enjeu pour les polices locales et étatiques, de la prolongation sans temporalité de cette « guerre » assurant les moyens des forces de police.



La question de la reproduction du système se pose aussi pour les systèmes pénitenciers privatisés et l’intérêt économique de leurs actionnaires à leur développement.



Police et justice (peines planchers, récidive, plaider-coupable, notion de « propriétaire innocent », mise à l’épreuve ou liberté conditionnelle, transfert de pouvoir « des juges aux procureurs », loi des « trois fautes », discriminations raciales non reconnues…)



Police, justice et prison. L’auteure analyse les conséquences du passage par la case prison, « marque laissée par la prison et non sur le temps passé en prison », Loic Wacquant cité par l’auteure parle de « circuit fermé de marginalité perpétuelle ». Michelle Alexander indique que « les délits ou crimes violents ne sont pas responsables de l’incarcération de masse » et montre le rôle du pouvoir discrétionnaire de la police.



J’ai notamment été intéressé par les passages sur les lieux privés et publics, l’invisibilité de la consommation et de la vente des drogues par les Blancs, les impacts sociaux de l’étiquetage criminel (contrat de location restrictif, discriminations autorisées sur la base du casier judiciaire, dette carcérale, exil social, privation des droits civiques et donc perte du droit de vote…), « production symbolique de la race »…



Michelle Alexander détaille les similitudes et les différences entre l’incarcération de masse et le système Jim Crow, la difficulté à regarder derrière la « lutte contre la drogue » et faire apparaitre les véritables ressorts des politiques menées. Elle rappelle que le « crime » n’est pas une catégorie générique mais toujours un construit et qu’il convient d’analyser ce qu’il recouvre et masque.



Le dernier point que je souhaite aborder, et je le fais avec mon propre vocabulaire, c’est l’illusion de l’« indifférence à la couleur de la peau ». Pour combattre les constructions sociales, les rapports sociaux de domination, les politiques institutionnelles, il faut à la fois nommer ces rapports – rapports sociaux de classe, de sexe, de racisation, etc. – et combattre la neutralisation abstraite du marquage social des individu-e-s, assumer la contradiction entre le futur souhaitable et le présent de domination. Des êtres humains mais aussi, parce les hiérarchies sont consubstantielles aux rapports sociaux, des ouvrier-e-s et des employé-e-s, des femmes, des racisé-e-s, etc. Impossible de court-circuiter les mots, le social incorporé, les marques de désignation, ici de la couleur de la peau. « L’égalité raciale requiert une transformation complète des institutions sociales et une restructuration radicale de notre économie, et non des changements superficiels qui pourrait être acquis au rabais ». Et cela reste vrai pour toutes les dimensions de l’égalité.



Nommer, en refusant la pente de l’essentialisation, en historicisant et contextualisant les situations… « Comment le nous pourrait en venir à signifier nos tous ? »



Une remarque pour finir. Le choix de focalisation sur les hommes Américains-Américains, « on trouvera peu de choses sur l’expérience particulière des femmes, des Latinos et des immigrés dans le système judiciaire, et ce bien que ces groupes soient particulièrement exposés aux pires abus et à des souffrances qui sont importantes et spécifiques. Ce livre se focalise sur l’expérience des hommes africains-américains dans le nouveau système de castes » permet de spécifier les conséquences des politiques de lutte contre la drogue ou d’incarcération massive et leurs conséquences. Reste que parler des femmes Africaines-Américaines uniquement en relation avec l’incarcération des hommes, et non en tant que telles, ne permet pas d’aborder pleinement la « nouvelle ségrégation raciale » mais plutôt sa seule composante masculine. Cela n’invalide pas les grandes analyses de cet important ouvrage livre, mais montre une zone d’ombre. « Comment le nous pourrait en venir à signifier nos tous ? »
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La couleur de la justice

Avant tout, je tiens à remercier Babelio et les éditions Syllepse, qui m’ont permis de remporter ce livre dans le cadre de l’opération Masse critique non-fiction de juin dernier. C’est assez contradictoire que, pour la première fois que je gagnais un livre dans le cadre d’une telle opération, ce soit un livre dans un genre que je ne lis pour ainsi dire jamais. Seules les fictions m’attirent réellement, je n’ai plus lu d’essai depuis mes études il y a… une vingtaine d’années pour les plus récentes ! J’avais cependant décidé de tenter ma chance, ai choisi quelques titres qui pouvaient m’intéresser, et ai donc remporté celui-ci sur un sujet qui m’intéresse vraiment – en témoignent mes nombreuses lectures (de fiction) qui traitent de près ou de loin de sujets dans la lignée de celui-ci.



Et voilà : à la réception de ce livre, j’ai d’abord eu un mouvement de recul. C’est qu’il est lourd, peu agréable à la vue : plus de 350 pages écrites en petits caractères ! Quelques pages illustrent le thème (en noir et blanc), tout en séparant les différentes parties, et représentent ainsi le seul aspect visuellement plaisant. Mais cela n’a pas suffi à rendre ma lecture agréable. Plus d’une fois j’ai été tentée d’arrêter, et je l’aurais très probablement fait si ça n’avait pas été un « service presse ». Or, ayant donné mon engagement, j’ai été jusqu’au bout.

Ainsi, ce livre m’a profondément choquée, dérangée, mais pour autant pas convaincue.



Choquée, d’abord, car ce qu’il dénonce est absolument terrible, et entre en résonance avec des événements plus récents (survenus après la parution du livre) qui ont choqué le monde occidental : de voir comment une certaine police aux États-Unis traite une partie de sa population. Ici, l’autrice dénonce plus particulièrement l’incarcération de masse des jeunes hommes noirs défavorisés des ghettos urbains essentiellement, résultat d’une politique de la répression de la drogue très active et sur-financée, au détriment de campagnes d’éducation par exemple, et qui vise de fait les populations précitées pour toute une série de raisons liées à l’Histoire de ce grand pays que sont les États-Unis. Le résultat est que toute cette population est mise à l’écart, car les peines-planchers de prison, dès que ça concerne la drogue, sont quasi-automatiques et très longues, ne font pas de distinction pour les mineurs, et créent donc un casier judiciaire aux prévenus, qui se voient ensuite refuser tout un tas de droits élémentaires (du logement au travail, en passant par le droit de vote… ou les bons alimentaires, je ne savais même pas que ça existait, ni comment ça fonctionne !), à vie, ce qui provoque en outre des conséquences négatives diverses et variées sur des communautés entières.



La lectrice blanche européenne que je suis a parfois eu du mal à bien tout saisir – certes, le langage est tout à fait accessible, mais clairement une connaissance approfondie du système poliltico-judiciaire américain aurait rendu la lecture plus facile, d’autant plus que le cheminement de la pensée de l’autrice, et notamment le découpage en différentes parties du sujet, m’a semblé opaque et plein de redondances (inutiles). Pour ne citer qu’un exemple : les fameuses lois « Jim Crow » sont citées encore et encore, et avancées d’emblée comme si tout le monde savait de quoi il s’agit. Or, moi je ne savais pas, et même si ça n’a pas tellement gêné la lecture (vive Internet et l’ami Wiki !), je déplore que l’édition française ne propose pas la moindre explication, par exemple à travers une préface ou que sais-je – mais ça, ça tient davantage à un travail éditorial qui aurait mérité d’être plus complet, pour rendre ce texte lourd et peu digeste, un peu plus attractif. J’ai aussi regretté les quelques fautes d’orthographe rencontrées dans l’introduction, mais ouf ! je n’en ai ensuite plus trouvé aucune.



Dérangée cependant, car l’autrice semble parfois tout résumer à un clivage entre, d’un côté, Blancs riches (qui, accessoirement, manipulent les autres Blancs, et notamment les plus pauvres, pour les mettre de leur côté) et, de l’autre côté, Noirs pauvres et délinquants trop lourdement punis. Certes, elle prévient d’emblée que son livre s’attache essentiellement au sort de ces derniers, mais oublie quand même trop facilement toutes les autres populations qui composent son pays, mais cite assez régulièrement « les Latinos », comme pour dire qu’on ne les oublie pas tout à fait, ou peut-être même quand ça l’arrange ? Je me pose encore et toujours la question…



Mais le plus dérangeant reste l’utilisation carrément abusive du terme de race ! Ce n’est peut-être qu’une question de vocabulaire, mais pour le coup il est extrêmement maladroit, d’autant plus qu’il n’est jamais défini, en aucune façon. D’une part, la majorité des scientifiques s’accordent sur ce point désormais : il n’y a pas de sous-espèce d’Homo Sapiens. Or, ce terme et l’idée qui le sous-tend ont été abondamment utilisés pour justifier le nazisme, l’apartheid en Afrique du Sud ou la ségrégation aux États-Unis – dès lors, ça me semble extrêmement malvenu que quelqu’un qui prétend lutter contre cette ségrégation, laquelle a pris une nouvelle forme légale extrême (dans l’incarcération de masse qui touche essentiellement les Noirs pauvres des banlieues), utilise précisément ce même concept à temps et à contretemps ! D’autre part, quand bien même elle aurait raison (ce que je ne cautionne absolument pas, mais admettons, le temps de quelques phrases) : qu’est-ce qu’un Noir américain ? À partir de quel pourcentage de « sang noir » fait-on partie de cette « race » ? Faudra-t-il recréer quarterons et octavons pour définir qui est concerné ou non ? Ce que je veux surtout dire à travers cela, c’est que, à partir du moment où on crée tout un débat qui semble opposer si durement deux facettes de la population américaine, il aurait été utile de définir chacune de ces parties – pas en termes de « race » qui sont vraiment très peu acceptables, mais en termes réellement analytiques : comment définit-on exactement ces « Africains-Américains » ? que représente chaque groupe, quel pourcentage de la population ? car ces questions en amènent d’autres, plus embêtantes encore, comme par exemple : ces hommes blancs non stigmatisés par la pauvreté sont-ils donc si nombreux qu’ils continuent encore et encore à centraliser le pouvoir réel, malgré la guerre de Sécession terminée il y a plus de 150 ans, malgré le mouvement des droits civiques qui a pourtant été marquant, malgré l’élection et la réélection d’un président noir ?



Certes, l’autrice avance ses explications à ces différentes questions, mais l’Européenne blanche que je suis, ne comprend pas. C’est que je vis dans une ville multiculturelle (Bruxelles), où il y a certes quelquefois des tensions ; mon pays n’est pas marqué par une Histoire d’esclavage mais bien de colonisation pas toujours reluisante ; quoi qu’il en soit, une intégration progressive des différentes cultures et couleurs de peau, s’est faite sans heurt majeur. Bref, réellement, malgré toute l’argumentation de ce livre, je continue de ne pas comprendre, profondément, comment les États-Unis « en sont restés là » !



Non, vraiment, elle ne m’a pas convaincue, et je dois dire que d’autres éléments m’ont carrément fait douter du sérieux de l’autrice. De longs passages de ce livre, à différents endroits, s’apparentaient à ce que j’appelle un « verbiage d’avocate » bien davantage qu’à un exposé analytique ; un argumentaire qu’on s’attend à trouver dans la bouche d’un avocat à la défense, mais pas dans un livre sensé, car elle a perdu le bon sens le plus élémentaire pour se perdre dans une défense qui frise l’inacceptable. C’est que l’autrice tend parfois (souvent) à une victimisation abusive des personnes lésées dans le cadre de cette incarcération de masse. Elle cite par exemple ces jeunes (noirs, bien évidemment) arrêtés abusivement parce qu’ils commettaient des infractions mineures au code de la route – alors, oui, c’est abusif d’arrêter des personnes essentiellement noires, alors que statistiquement, toutes les couleurs de peau contreviennent au code de la route… mais elle en arrive à dire que certains écarts de conduite (qui mettent potentiellement la vie d’autres usagers en danger), eh bien ce n’est « pas grave », et ces jeunes n’auraient pas dû être arrêtés. Ben voyons !!... À un autre endroit, elle dénonce ce qu’on appelle communément un « délit de sale gueule » (expression qu’elle n’utilise jamais, pourtant c’est clairement de cela qu’il s’agit) : ce jeune Noir qui se fait interpeller de façon tout à fait abusive par la police dans un car, et qu’on oblige à ouvrir son sac, alors que rien ne le désignait comme coupable de quoi que ce soit – oui, c’est terriblement abusif de la part de la police (même si les lois créées dans le cadre de la lutte contre la drogue le permettent) et il faut le dénoncer… mais quand il s’avère que ce jeune transportait en fait 500 grammes de drogue, qui faut-il encore dénoncer ?? L’autrice a choisi, et défend âprement ce jeune injustement fouillé… mais moi je suis très mitigée. Le délit de sale gueule dans le chef des policiers est bel et bien condamnable… mais transporter 500g de drogue l’est tout autant, oui madame !!

En permanence, elle minimise les délits commis, et ça, ça décrédibilise complètement son argumentation. Oui, les peines-planchers sont excessivement longues dans les affaires de drogue. Oui, les conséquences de cette incarcération de masse sont terribles pour toute une communauté et il faut les dénoncer, et tenter d’y remédier, je suis d’accord à 200%. Mais oui aussi, quand il y a délit, il y a délit !



Mais le sommet a été atteint quand, parmi les nombreuses références à l’Histoire, l’autrice élargit son propos à d’autres événements, et notamment à la 2e guerre mondiale, accentuant ainsi son approche très communautariste des diverses thématiques… En clair (je n’ai pas retrouvé le passage mais je sais que je l’ai noté), elle affirme que l’Amérique est entrée en guerre « pour sauver les Juifs d’Europe ». Sérieusement ?? Pour ce que moi j’ai appris dans mes cours d’Histoire, les États-Unis sont entrés en guerre (i) quand leurs propres intérêts ont été attaqués (Pearl Harbour…), alors que les Juifs d’Allemagne notamment étaient persécutés depuis une dizaine d’années déjà, les autres ensuite, et que la guerre faisait rage depuis déjà deux ans ; (ii) parce que la Russie très communiste, est apparue de plus en plus comme la menace d’un « péril rouge », il fallait surtout éviter que toute l’Europe le devienne à son tour ! et (iii) accessoirement, les beaux livres disent que les Américains se souciaient de tous les Européens et voulaient rétablir la démocratie face à la folie nazie – seule démocratie qu’ils aient réussi à sauver depuis lors, soit dit en passant, mais l’autrice ne semble pas au courant. Le pire, c’est qu’elle insiste, un paquet de pages plus loin, en résumant la deuxième guerre mondiale au seul Holocauste ! Alors, certes oui, l’Holocauste est un épisode terrible de cette guerre, il faudrait être révisionniste (ce que je ne suis pas !) pour le nier… mais résumer cette guerre terrible qui a ravagé l’Europe à « seulement » cela, c’est faire injure aux milliers d’autres victimes des nazis : comment oublier ces massacres dans les villages de nos campagnes (et ne parlons même pas de la véritable extermination des Russes sur le front de l’Est, avant que la tendance ne s’y inverse), et aussi ces camps qui réunissaient certes Juifs, mais aussi homosexuels et autres résistants, parmi bien d’autres encore. Cette vision toujours très afro-américano-centrée, puis de temps en temps judéo-centrée, est un biais dangereux dans lequel l’autrice s’engouffre sans sourciller, et qui au final désert complètement toute son argumentation juridique.



En effet, comment peut-on réellement accorder foi aux propos quelque peu vindicatifs d’une autrice qui a une vision si étriquée, et passablement erronée, d’un conflit mondial majeur, qui ne devrait pas souffrir de telles erreurs ? Peut-on réellement souscrire aux arguments d’une telle autrice, quel que soit le sujet qu’elle attaque ? Certes, elle cite de très nombreuses références pour appuyer ses dires, comme ça se fait dans tout essai… sauf que ces références sont pour la plupart invérifiables : qui va aller lire toutes ces sources qu’elle cite (et dont la grande majorité ne sont même pas traduites, en plus). Alors ? comment lui faire confiance ? Par ailleurs, j’ai vu certaines critiques dire qu’elle citait de nombreux chiffres… Pour ma part, à l’exception de quelques pourcentages cités çà et là (au compte-gouttes, comme ses références aux Latinos), je n’ai pas tellement vu de chiffres, de statistiques réellement étudiées, un graphique ou l’autre qui aurait étayé ses théories… ça aurait été pourtant bien intéressant, en plus d'alléger le texte tellement dense.



Oui, on veut bien croire que l’incarcération de masse telle que dénoncée dans ce livre est un réel problème, une nouvelle façon d’orchestrer une discrimination « raciale » sans la nommer… mais l’autrice se discrédite elle-même à plusieurs endroits, et ne parvient pas à susciter de réelle indignation chez la lectrice européenne lambda, si bien que la portée réelle de son livre me laisse très dubitative, ses pistes de solution (en toute fin du livre) à la limite du farfelu et, passe à côté du ressenti qu’elle a pourtant fait naître en moi, depuis ma lointaine Europe : ces États-Unis, bien plus qu’une remise en question des lois de type « Jim Crow » sans en avoir le nom, ont besoin d’un réel et profond changement de mentalité, un bouleversement du peuple américain dans son ensemble… ce qui reste apparemment un idéal inaccessible.

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La couleur de la justice

J'ai trouvé cet essai très intéressant et j'ai appris beaucoup de choses, principalement sur la guerre contre la drogue, ciblée pour que seule une certaine partie de la population soit concernée et le système de primes mis en place pour entraîner un maximum d'arrestations; sur les conséquences d'avoir un casier judiciaire aux Etats-Unis, qui poussent à la délinquance puisque toute vie normale est rendue très compliquée...

C'est un essai qui fait réfléchir et qui interroge sur l'évolution (ou non) de la société. Il est bien écrit et étayé de nombreuses citations. Il s'appuie sur des chiffres, des exemples de procès, est donc très bien documenté.
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La couleur de la justice

Je n’avais jamais entendu parler de Jim Crow ou imaginer la guerre contre le drogue sous cette angle. Un livre qui m’a ouvert des perspectives différentes et un éclairage sur la culture américaine inattendue (et pas dans le bon sens du terme).

Je comprends mieux les évènements suite à la mort de Floyd et combien nous sommes loin en France de cette situation.

En gros, après la fin de l’esclavage, toutes une série de lois (les lois Jim Crow) ont rétabli différentes formes de discrimination jusque dans les années 60. Dans les années 80, des lois dans le cadre de la guerre contre la drogue ont créé de nouvelles formes de discrimination : la possession de drogues entraîne des peines de prison de plusieurs années, trois peines = emprisonnement à vie, tout l’argent de la réhabilitation a été transféré vers des milices policières, ...

Cette guerre est pratiquement uniquement orientée vers les communautés noires et latinos. En 2010, 65 millions de personnes issues de ces communautés avaient été inculpés, perdus leur droit de votre, leurs droits aux aides aux logements... Bref, dans un contexte officiellement « neutre », les communautés noires se retrouvent à nouveau dans une forme de discrimination officielle non raciste.

Comment s’en sortir ? Il y aujourd’hui 7 fois plus de détenus aux USA qu’en 1980, il faut plus d’un million de personnes pour les garder et le business des prisons privés est très rentable. Autant de clés qui ne facilitent pas les choses.

Attention, le livre (en anglais) date du début de la mandature d’Obama. A actualiser
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