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Critiques de Mihail Sadoveanu (4)
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Ceux des Chaumines

Mihail Sadoveanu, comme le souligne Bernard Camboulives, est une personnalité controversée de la littérature roumaine. Pour des raisons essentiellement politiques, ce qui est un paradoxe, pour quelqu'un qui, finalement, en parle si peu. Lucian Boia décrit le personnage de manière relativement efficace : des propriétés, une ribambelle d'enfants, donc toujours des besoins financiers, une nécessité de plaire un peu à tout le monde, et une œuvre pléthorique. Au début, qui remonte au dix-neuvième siècle, Sadoveanu était traditionaliste, classé à droite, dirait-on aujourd'hui. Puis il a accepté d'écrire pour un journal de gauche (raisons probablement financières) et ses livres ont parfois été brûlés en public. Après 1945, il a sans doute senti le vent tourner et s'est converti, à fond, au réalisme socialiste.

Ce qui m'amène à ce livre, roman écrit à l'origine en 1912, mais traduction (en Roumanie) et préface de 1953, qui nous vante la capacité de l'auteur à décrire la honteuse exploitation des paysans par les abominables capitalistes. La traduction du titre « Ceux des chaumines » (en roumain « bordeienii ») est pertinente, il s'agit bien d'habitations paysannes assez misérables. J'y ajouterais pour ma part une dimension supplémentaire : en partie, ces habitations se situent sous terre. Les héros sont des troglodytes. Cependant, Sadoveanu est avant tout un conteur sans véritable discours politique cohérent, et il est assez nuancé en l’occurrence : certes on parle bien des propriétaires rapaces, mais le boyard du roman est travailleur et passe tout son temps sur ses terres à superviser le travail, jusqu'à ce que survienne sa fiancée, un « oiseau des villes ». Il permet par ailleurs le mariage du héros, ferme les yeux sur le passé de bandit de Faliboga pour une forme de rédemption et paye mieux que d'autres. De plus, la fin révèle le caractère passé des événements et souligne les changements qu'a apportés le progrès technique (le train entre autres) et la construction d'un village en « épilogue ». Les paysans sont divisés, parfois odieux entre eux, on est donc très loin du proletkoult. Ceci étant, cet aspect politique ne constitue pas la force de Sadoveanu, sauf lorsqu'il s'agit de la France et d'un phénomène habilement décrit. La fiancée du boyard, qui le détourne de ses terres, parle français et symbolise un mouvement de civilisation en Roumanie, qu'on a appelé le « bonjourisme » : les élites étudient en France, parlent français par pédantisme (un passage là-dessus utilise plusieurs jeux de mots) et s'écartent des réalités locales. À l'inverse, la tendance Sadoveanu est « antibonjouriste », à la manière d'un auteur oublié du début du dix-neuvième siècle, Costache Faca, qu'Eugène Ionesco évoque dans « Littérature roumaine » et qui prouve que les liens, bons ou mauvais entre les deux pays, ne datent pas d'hier.

Sinon, au fond, l'histoire se nourrit de bien peu de choses en dehors du talent du conteur : un jeune paysan arrive sur un nouveau domaine, fait connaissance, tombe amoureux, rencontre un ou deux problèmes et pourtant le récit nous tient en haleine et on se demande ce qui se passera au chapitre suivant. La performance du romancier, même s'il est probable qu'une partie du style se perde dans la traduction, se concentre dans la description de la vie paysanne, très pertinente et la trame minimaliste, mais suffisante au plaisir de lecture, qu'on peut aussi lire de manière simple et universelle : les chaumines sous terre, l'hiver rude, ce sont les difficultés, mais tout a une fin et l'on finit par voir la lumière au bout du tunnel à force de courage et d'espoir.
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Baltagul

"Baltagul", traduit en français par "Le Hachereau", chef d’œuvre écrit dans une forme alerte et parfaitement équilibrée selon George Călinescu, est un roman sur l'absence de résignation devant la mort. Mihail Sadoveanu l'aurait écrit d'une traite, dans une envolée d'inspiration.

D'aucuns le qualifient de roman policier dans lequel, suite à une disparition, une enquête est conduite pour démasquer le(s) coupable(s) afin qu'ils reçoivent leur juste châtiment. Si au premier abord c'est le sous-préfet Anastase Balmez qui mène l'enquête, dans l'ombre, c'est la ténacité et la détermination de Vitoria qui œuvrent efficacement. Elle n'accuse pas directement les auteurs du crime, mais agit de sorte à les inciter à se démasquer eux-mêmes. En cela le roman s'éloigne de la balade populaire, car si dans Miorița le berger moldave accepte sa mort avec une sorte de résignation calme, la veuve de Mihail Sadoveanu rejette cette mystique jugée par certains littéralement antipatriotique, et, en femme simple mais vaillante engage le combat de la vengeance. La loi du talion n'est pas loin. Vitoria Lipan serait ainsi l'archétype même de la femme forte, d'une héroïne légendaire, une justicière. Diverses comparaisons à l'appui de cette thèse ont été proposées par la critique : la volonté de retrouver son mari tué pour lui offrir une sépulture chrétienne rappelle Antigone qui affronte Créon dans le but de faire respecter les traditions et d'enterrer son frère, ce qui lui doit d'être enterrée vivante elle-même, l'énergie passionnelle qu'elle dégage rappelle la colère qui s'empare d'Achille à l'annonce de la mort de son ami Patrocle, tué au combat par Hector.

C'est aussi la métaphore de la victoire des valeurs archaïques ancestrales sur les innovations de la modernité, par assimilation partielle de celles qui ne sont pas contraires aux valeurs éthiques préétablies. Les institutions modernes au service de la justice (tribunal, police, préfet) n'inspirent pas une confiance suffisante pour remplacer les lois non écrites en vigueur depuis des millénaires et fondées essentiellement sur des principes éthiques. La qualité humaine la plus prisée dans ces lieux est la virilité, la capacité à prendre des décisions fermes et à les exécuter sans hésitation, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
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Le Hachereau

Je ne vais pas revenir éternellement sur les raisons pour lesquelles Mihail Sadoveanu est un écrivain controversé. À vrai dire, la lecture du « Hachereau » (« Baltagul » en roumain) vous en révélera assez dès les premières pages. Sa publication et sa traduction aux éditions Mondiales, avec préface de Pierre Abraham et quelques mots dithyrambiques pour « Mitrea Cocor », doivent néanmoins beaucoup à une certaine idéologie que vous aurez reconnue. Le roman date cependant de 1930, bien avant les véritables controverses et il est presque comique que la préface associe (dans la gloire) Mihail Sadoveanu à Tudor Arghezi, qui le haïssait et le taxait d'opportunisme. Sans vérification détaillée, la traduction a l'air complète (début, fin, longueur, même le chapitrage original paraît respecté). Si l'on en croit Profira Sadoveanu, fille de l'auteur, l'idée originale serait venue d'un hachereau qu'on aurait offert à son père, qui se serait demandé ce qu'une canaille pourrait faire d'une telle arme. Puis un voyage dans la montagne aurait inspiré une bonne partie du périple de l'héroïne. Des années plus tard, l'auteur aurait surpris une conversation d'un montagnard qui disait que tout le monde lui demandait en passant où était mort Nechifor Lipan, pensant que « Le Hachereau » racontait évidemment une histoire vraie. Le voyage a inspiré le roman qui inspire à son tour le voyage. Ceci pour illustrer la portée que l’œuvre de Mihail Sadoveanu a eue et continue partiellement à avoir. Les ressorts en sont assez simples, voire universels, avec au centre la vengeance (cf. la tragédie grecque ou la « revenge tragedy » anglaise). Le romancier a écrit quelque chose comme 120 volumes, dont beaucoup avant 1930. En France, nous avons connu « Mitrea Cocor », désuet pour les raisons idéologiques évoquées plus haut et « Le Hachereau », publié sans doute pour les mêmes raisons, finalement assez mauvaises au regard du texte. Certes, il y eut également d'assez nombreuses traductions en français publiées en Roumanie. Mais on est bien loin d'avoir ne serait-ce qu'un début de tri…
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Mitrea Cocor

Pour faire presque du deux en un je vous propose un point de vue de Lucian Boia, qui pour une fois ne s'en prend pas à Camil Petrescu : «[...] il [Mihail Sadoveanu] devait honorer son statut officiel de premier écrivain du pays. Le résultat est en 1949 Mitrea Cocor, histoire de parcours initiatique de ce paysan pauvre et opprimé qui découvre la conscience idéologique et l'engagement révolutionnaire ; le roman est conçu de manière si schématique et il est écrit si maladroitement qui n'est pas même étonnant qu'ait circulé la rumeur selon laquelle Sadoveanu n'en aurait pas été l'auteur – même si l'écrivain, en plus de ses chefs-d'œuvre, avec sa massive industrie du livre, avait aussi donné des œuvres de second rang. Le roman fut en tout cas déclaré historique et étiqueté comme première œuvre du réalisme socialiste dans la littérature roumaine. »(Les pièges de l'Histoire. L'élite intellectuelle roumaine page 346)

J'ajoute que le paradoxe de ce statut d’œuvre officielle nous vaut aujourd'hui de trouver encore (bien qu'il faille payer le prix de la rareté) une traduction en français de ce court roman.
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