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Citation de Luniver


Il faut dire que, si, après une longue période de dictature, des exilés, que favorise une circonstance imprévue, reviennent en masse au pays, ce n'est pas rassurant pour le pouvoir ; mais, contrairement à ce que l'on pourrait croire a priori, ce n'est pas tellement plus rassurant non plus pour l'ensemble de la société en place, trop bien façonnée par le temps et les habitudes, trop résignée à ce qu'on appelle la force des choses. [...] Les nouveaux venus ont des aspirations, un langage, un comportement non seulement étrangers, mais incompréhensibles, voire odieux. Le contraste de leurs façons de vivre avec les us traditionnels n'est-il pas un miroir où la société majoritaire lit nécessairement son arriération et sa décrépitude ? [...] De même que la cellule humaine se positionne de manière à s'accoutumer à l'imprégnation alcoolique pour en devenir finalement un artisan involontaire, de la même façon les populations sédentaires avaient dû s'accommoder des exactions, des turpitudes des autocrates ; elles en avaient pris le pli. Presque plus rien ne les blessait ni ne les étonnait, bien au contraire ; elles en étaient même arrivées à applaudir aux extravagances de la dictature. Là où le peuple a été trop longtemps tenu à l'écart des lumières du droit, le vice devient la norme, le tortueux la règle, l'arbitraire la vertu. L'arrivée massive des exilés causa un choc aux populations, en les contraignant à un brusque réveil. On se réjouissait en public du retour des enfants prodigues ; en privé, on les blâmait de ne pas agir en sentir comme tout le monde. S'indignaient-ils de la corruption ? on leur répondait : « Il faut bien que tout le monde mange », oh, le vilain mot ! S'abstenaient-ils de courtiser les puissants ? Le peuple sermonnait : « Dieu a dit : obéissez aux supérieurs. » S'acharnaient-ils au travail ? on les en blâmait, sous prétexte que l'homme n'a qu'une vie et qu'il faut la gâcher le moins possible. Se scandalisaient-ils des financements dérisoires de l'éducation et de la santé des populations ? Priorité au remboursement de la dette, leur rétorquaient la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Prêchaient-ils la révolution, comme c'est la manie chez les exilés revenus au pays ? on levait les yeux au ciel en invoquant la fatalité.

Les exilés étaient de retour, et c'est bien vrai que rien ne serait plus jamais comme avant. Mais, en attendant, le fleuve impavide des résignations mesquines et des turpitudes furtives continuait de couler, et c'est ce qui désespérait Eddie, trop attaché à son indépendance pour nourrir la moindre ambition politique à vrai dire, mais trop écorché dans sa dignité d'Africain par un long exil au milieu de populations racistes pour laisser courir les choses, et c'était là son drame.
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