Muriel Gavila

Je vous présente Camille, seelie de la terre. Nous l’appelons toutes « petit merle », car elle a la plus belle voix de l’arche bleue. Elle enseigne le chant des saisons aux autres seelies de la terre et aide aussi les élues à trouver leurs voix. Les sons sont très importants.

À peine eut-elle le temps de s’interroger que Sofia fut aspirée dans un nouveau tunnel, très court cette fois-ci, et se retrouva aux côtés de Chloé. L’atterrissage fut bien plus doux que le précédent.
Le bus était rempli de filles et Sofia préféra donc léviter. Chloé avait relevé sa capuche et collé son visage à la fenêtre. Elle se faisait la plus petite et compacte possible pour encaisser les moqueries et les insultes de plusieurs autres filles situées dans le fond du bus.
— Oh, le crapaud, c’est ta mère qui t’a coupé ta frange ?
— C’est fou, cette laideur. Tu devrais appeler la Sécurité sociale, il y a des chances qu’ils te remboursent une chirurgie.
— Si ça se trouve, elle n’est juste pas humaine !
Voyant que Chloé ne répondait pas et que personne, y compris le chauffeur, ne se préoccupait de prendre sa défense, les trois filles insistèrent.

— Mais c’est fini maintenant, cria-t-elle encore. J’ai Raja, Max et Liam, je ne suis plus seule, j’ai des amis !
Mais la petite Sofia se sentait seule, rejetée et la Sofia adolescente ne pouvait pas ignorer ses émotions. Elle se souvenait de tout, ressentait tout. Alors elle essaya de se parler pour apaiser sa tristesse d’enfant.
— Ce n’est pas ta faute. Tu es innocente. Tu n’as rien fait de mal. Ne sois pas triste, je t’en prie. Ils ont peur de toi. Parce qu’ils sont ignorants… parce qu’ils sont… méchants.
À ce dernier mot, une colère forte, une colère douloureuse envahit Sofia.
Les assiettes, les verres, les chaises et plusieurs tables furent projetés dans les airs. Une tempête avait surgi. Les parents attrapaient leurs enfants pour se réfugier dans les cuisines et se protéger du vent violent. Les ustensiles de cuisine volaient et attaquaient les seelies. Sofia vit Sarah se faire embarquer par une tornade naissante et ses parents qui lui couraient après… 

Il n’y avait pas de temps à perdre.

Sofia devait protéger Peter de Calypso et de sa bande, puis retraverser les voiles pour alerter les siens du danger que représentaient les unseelies ou les « éternelles », comme elles aimaient se faire appeler.

La seule façon était d’abord d’aider Peter à surmonter ses peurs pour qu’il ose retourner chez lui. L’accompagner puis trouver un moyen de le cacher était le plan de Sofia.

Mais ce n’était pas une mince affaire, surtout que si le jeune homme était dans cette situation, c’était sa faute à elle !

À cause d’elle, il était devenu sans domicile fixe, à la merci des dealers et des agresseurs, mais également de la dangereuse Calypso.

Ce matin-là, les deux jeunes filles s’étaient enfin décidées à rentrer. Elles ne pouvaient plus reporter leur retour au Grand Chêne. La cérémonie était pour le lendemain.

Les garçons avaient eu leur propre cérémonie la veille et c’était désormais au tour des jeunes filles de connaître leur destinée.

Les deux amies avaient prolongé leurs vacances d’une journée pour fêter le treizième anniversaire de Sofia loin de la communauté. Sofia était heureuse et reconnaissante que Raja lui ait proposé de le célébrer juste toutes les deux.

Son arrivée au sein de la communauté avait créé un petit cataclysme et les rumeurs étaient allées bon train pour expliquer cette apparition soudaine. Car il fallait bien l’expliquer !

Parmi toutes les histoires imaginées, une avait fini par mettre presque tout le monde d’accord : Sofia ne pouvait être que l’enfant d’une seelie bannie pour un acte assurément horrible et à qui on avait retiré la capacité de franchir les voiles séparant les mondes pour revenir parmi ses semblables.