Je songe à mon existence sans amis au collège Helen-Keller. Dans le cours de sciences, j'étais toujours seul pour disséquer la grenouille. Aucun camarade ne voulait être jumelé à moi, malgré une note maximale garantie. Avant d'adopter ma politique d'évitement, j'avais essayé à quelques reprises, en particulier en cinquième, d'engager la conversation avec d'autres élèves. Je m'étais au préalable exercé devant le miroir : par le passé, en effet, mes propos avaient eu le malheur d'offenser ou d'irriter. Devant la glace, donc, j'ai dit : "Tiens, salut, Cynthia Orwell. Comment se sont passées les épreuves de sélection des pom-pom girls, aujourd'hui ? Tu as réussi des grands écarts satisfaisants ?"
Vous êtes-vous déjà demandé, chère mère et cher père, quel genre de dentifrice utilisent les anges du paradis ?
Si j'étais mort d'un coeur troué pendant une mission de recherche dans l'Arctique et que j'avais été enseveli sous la glace, je serais bien content que, des centaines d'années plus tard, des scientifiques me déterrent pour m'exposer dans une vitrine à des fins éducatives. Passer mes journées dans un musée de science, ce serait pour moi le paradis.
L'intelligence que je possède — qui concerne les amibes, les nébuleuses et les formules — ne m'est d'aucune utilité ici. J'aurais plutôt besoin d'une autre forme d'intelligence, une intelligence qui m'aiderait à comprendre ce qui peut bien pousser un garçon à ouvrir le feu dans une école, ou pourquoi une victime est encline à pardonner, tandis qu'une autre s'y refusera à jamais.
Comme vous le savez, chère mère et cher père, chez nous, aux États-Unis, je n’allais jamais au théâtre. Je ne regardais pas de sitcoms ni de séries policières à la télévision. Je ne lisais pas de romans. Rien, en somme, qui suppose une incursion dans la fiction. Je ne comprenais pas la nécessité de la fiction dans un monde où les événements de la vie réelle – les drames qui se produisent à l’échelle cellulaire dans notre corps et sur le plan astrophysique dans notre univers – étaient à la fois fantastiques et fascinants.
Ce n’est que dans le monde réel du paradis que j’ai pris conscience du bien-fondé de l’illusion. La fiction a le grand avantage de vous dégager de la réalité lorsque la réalité devient peu engageante. Je regrette de ne pas avoir fait cette découverte aux États-Unis. Sa Majesté des mouches m’aurait peut-être aidé à survivre au collège.
C'est la première fois qu'il rit depuis son passage. Je suis encore plus fier que le jour où j'ai réussi à faire augmenter le pH de mon urine en consommant plus d'agrumes.
En conséquence, je me fends d'un sourire.
- Vade retro, Satana ! lui dis-je.
C’est une expression latine que j’adore, mais que j’ai rarement l’occasion d’utiliser. (Origine : formule d’exorcisme qui se traduit par « Arrière, Satan ».)
Cet objet m'attire, mais avant de pouvoir l'examiner, je suis distrait par autre chose. Punaisé au mur, un tableau périodique mise à jour !
Deux ans avant la naissance d'Abi, Joy avait perdu un petit garçon, mort-né à sept mois. Le cordon ombilical s'était enroulé autour de son cou.
- Pas fou, le petit salaud, a dit Abi à Eli. Il s'est pendu.