Citations de Nikiforos Vrettakos (20)
SEMINAIRE
Si l’on me voyait me tenir
debout, immobile, au milieu
de mes fleurs, comme
en ce moment,
on croirait que
je leur enseigne. Alors
que c’est moi qui les écoute
et elles qui parlent.
En m’ayant en leur milieu
elles m’enseignent la lumière.
/Traduction N. Lygeros
Chant de chœur
Il est des peines que nul ne connait.
Il est des profondeurs que le soleil
jamais ne sonde. Des monts de silence entourent les lèvres.
Et tous les témoins se taisent. Les yeux ne disent pas.
Il n’est point d’escalier si profond
qui descende là où s’agite
l’être de l’homme. Si le silence parlait,
s’il soufflait, s’il éclatait – il déracinerait tous les arbres du monde.
/Traduit du grec par Ioannis Dimitriadis
Maintenant tu t'es tournée sur le côté droit
la main sous la joue.
Ton drap fait un mouvement d'eau.
Dans ses plis, le silence et la lumière
ruissellent comme les vers jamais écrits.
(" Le sommeil", extrait)
Une brise azurée
remue tes lèvres
tel un cyclamen.
LA LUMIÈRE
Il y a tant de lumière
aujourd’hui
que les aveugles
assis sur des pierres
l’entendent comme un chant d’oiseau.
/Traduit du grec par Ioannis Dimitriadis
LE GRAND REFUGE
Vent, mon vaste manteau d’enfant,
d’adolescent et d’adulte, le désert
s’est encore étendu. Couvre-moi davantage.
Ma journée s’est écoulée
comme un grand
soupir.
De nouveau il fait nuit.
Les étoiles vacillent. Notre Seigneur
répare son toit.
p.14
RECUEILLEMENT
Mes biens, c’est le monde entier.
Je les rassemble dans ce livre comme
le berger ses moutons quand le crépuscule tombe
sur le pré. Non pas qu’il fasse nuit, mais
nos jours sont divins, ainsi que les heures, divines
les minutes, leurs secondes. Quant à moi,
je ne me souviens pas bien, j’ai pourtant
je ne sais pas,
toujours l’impression
que quelqu’un m’a demandé
d’embellir le monde.
p.5
SI JE DEVAIS
Si je devais
t’offrir un lys,
je planterais
une tige
à l’étoile du soir.
/Traduction du grec par Ioannis Dimitriadis
LORSQUE JE CUEILLE UNE FLEUR
Lorsque je cueille une fleur
et la pose sur ta poitrine ou
dans tes cheveux
j’ai l’impression
de décorer le monde.
/Traduit du grec par Ioannis Dimitriadis
LE JARDIN VERT
J’ai trois mondes. Une mer, un
ciel et un jardin vert : tes yeux.
Si je les traversais tous les trois, je vous dirais
jusqu’où s’étend chacun d’eux. La mer, je sais.
Le ciel, je devine. Pour mon jardin vert, ne me demandez pas.
p.10
TOUTES CES ANNÉES OÙ JE M’ABSENTAIS
Toutes ces années où je m’absentais, c’est pour toi que je voyageais.
En quête de cette rose qu’aucun autre
ne pourrait t’offrir. Nul ne saura jamais
quels monts, quels déserts, quels océans j’ai traversés,
quelles averses m’ont sillonné le front,
quelles tempêtes m’ont tourmenté. J’ai versé mon cœur
dans un saint calice et cette belle rose
en est sortie, pure
comme une aurore de Pâques. Mets-la à ta ceinture,
sur ton cœur ou dans tes cheveux. Elle t’ira à merveille
comme au monde chaque matin le soleil.
p.7
VIE ET FEU
S’il ne pleut pas ce soir,
le monde
prendra feu
par ces roses.
Si je brûle un jour –
ma terre est
fibres et racines
pour
la masse enflammée
du soleil,
à chaque élément
son feu –
Si je brûle un jour
veuillez planter mes cendres.
/Traduit du grec par Ioannis Dimitriadis
GALOP
Galopant dans l’univers, le soleil laissa glisser un instant
son manteau flamboyant qui flottait au vent. Il surprit
au sommet mon âme seule et par bonheur elle fut
à peine grillée. L’ombre
des arbres fut calcinée.
p.13
CONVERSATION HORS DU TEMPS
Cette folie – ce cheval, où te mènera-t-il ?
L’espace galope sous toi,
nul besoin de route.
Viens donc,
parle-moi depuis l’avenir, ami qui existe en moi
aujourd’hui. Ami-prolongement.
Je suis, moi aussi, un bout de ta trame.
Donne-moi ta main, par-dessus le temps.
Asseyons-nous. Éteins la lumière.
As-tu besoin du soleil ?
p.12
ET T’EN ALLANT TU VIENS
À présent tu le sais : les montagnes ne peuvent
nous séparer. Et t’en allant tu viens.
Et m’en allant je viens. Il n’y a pas d’espace
hors du nôtre. Le vent est
le toucher de nos mains.
En voyage,
toi vers le nord, moi vers le sud,
regardant le soleil, chacun a
l’autre à ses cotés.
p.9
PLATEAU FLEURI
Si ce n’est pas le déluge
des forces du ciel
que sont alors
ces fleurs ?
/Traduction N. Lygeros
LE POULS
Le matin, avant que le soleil n’arrive jusqu’ici
tandis qu’il dépose encore sa bénédiction
d’or sur les cimes des montagnes,
je descends au jardin. Je me penche sur
mon rosier blanc
et le jaune, je me penche sur
mon rouge et mon blanc
géranium.
Et quel que soit
la tige que je prenne (comme si
Dieu m’avait tendu sa main)
j’entends son pouls.
/Traduction N. Lygeros
GRONDERIE
Regarde-moi dans les yeux. Qu’as-tu fait ?
En allant sur la colline qui mène
au-delà du vent, tu as tardé.
Tu pleures ?
Pourquoi ne dis-tu rien ?
Qu’est-ce qu’il te racontait, le soleil ?
p.11
L’HOMME ET LES APPARENCES
Ta main est une épée.
Avant qu’elle frappe la pierre, je l’ignorais.
Désormais une eau d’un bleu céleste
jaillit de mon cœur. Combien de jours et de nuits,
combien d’années, je l’ignorais. Je devais être
criblé de fissures. Tant de ciel en moi déversé.
p.8
LE MINEUR
Quoi qu’on écrive, ce ne seront que des mots.
Ces mots que je cherche à faire disparaître.
Et c’est pourquoi je me suis coupé la main.
Et c’est pourquoi je me forge
nuit et jour avec le feu, que je me suis laissé
fouler telle une
rose rouge.
Je veux devenir une autre sorte
d’eau. Une autre sorte de langage.
Tels des rayons dorés, darder mes paroles
par vos pores, à votre insu,
m’avançant, éclairant toujours plus
profond dans vos cœurs, comme
éclaire les galeries noires de la terre
en descendant
le mineur avec sa lampe.
p.6