Océane Valentin

Ce n'est qu'en fin d'après-midi, du haut de cette dernière colline à franchir, que la silhouette de Bourglefeu apparut. Lorsque l'horizon se dévoila à lui, le cœur de Pitro battait, non pas de joie, mais d'angoisse. La ville, son palais, et son phare monumental étaient assiégés. De leur position qui dominait l'île, ils entendirent les hurlements des habitants. Les regards hagards, les bouches figées par la stupeur face à la désolation qui s'abattait ici, ils ne comprenaient pas. Bourglefeu se détruisait elle-même. Ses édifices, censés surveiller pour elle l'horizon et défendre ses alentours, avaient retourné leurs trébuchets contre elle. Les bastions nord et ouest livraient bataille contre leur propre patrie. Quels affreux mutins se cachaient derrière pareille trahison ? Sur la rive est jusqu'au sud de Bourglefeu, au pied de la colline sur laquelle Pitro et ses amis surplombaient la scène, les hommes du roi Delfonte essayaient de s'organiser. Six mille soldats trépignaient, montant sur leurs chevaux de guerre, réajustant leurs casques tout en s'armant. L'attaque débutait seulement, ils avaient été pris par surprise et restaient sans nouvelle de leur roi enfermé dans son palais, ne pouvant en sortir. Les deux généraux à la tête des bastions est et sud se coordonnaient tant bien que mal, tentant de contenir l'ordre militaire inculqué lors de leurs classes afin de réfléchir à la meilleure cohésion.
Les aventuriers s'en retrouvèrent décontenancés, jamais aucun d'eux n'avait imaginé pareil accueil.
- Prince Pitro ? s'alarma Laurelin. Que faisons-nous ?
- Mes parents, mes sujets, mon royaume sont en danger, répondit-il sans décrocher ses yeux des énormes pierres qui s'écrasaient sur les habitations. Je vais à leur rencontre !
Il sortit son épée sans descendre de son cheval, jamais son visage ne fut aussi fermé. Le cœur de Pitro saignait.

L'enchanteresse qui jusqu'à présent était restée silencieuse s'était retournée pour faire face à l'auditoire. Ses seules paroles réussirent à tenir en respect le haut conseil des Pardiennes et les étrangers. Quelque chose de surnaturel émanait d'elle, si bien qu'en réalité, c'était elle qui manœuvrait le royaume des Pardiennes.
- L'humaine dit vrai. Je l'ai lu en elle...
Elle examina le groupe de ses iris de métal. Froide et pourtant si mystérieuse, elle accapara leur attention. Avril avait desserré son poing sans s'en rendre compte.
- Ce n'est pas son sacrifice qui rendra à la pierre de Lodrel son pouvoir. Poursuivit-elle en se tournant vers la Vihinars et les Hishi'san. Tout comme vous, je ressens le mal de notre précieuse roche, mes visions se font plus floues. L'arrivée de l'humaine semble pourtant bénéfique, la forêt m'a de nouveau parlé clairement, la présence des créatures de Mitsor sur Alcazor affecte toutes les énergies de ce monde, et accélère la mort de notre pierre. Chaque race, chaque espèce est directement concernée par la quête dans laquelle ces humains se sont lancés. Notre salut est dans la magie Euphosienne, le dieu de la terre ne peut plus rien pour nous. Avril doit trouver le sceptre.

Le regard attiré par la lumière qui jaillissait de la grande denêtre à sa gauche, Avril s'avança vers elle. Doucement, elle s'appuya sur le rebord en pierre polie, et découvrit des créneaux depuis la haute tour où elle trouvait. Ils habillaient la muraille qui encerclait le château dans lequel ils résidaient. Cette forteresse merveille de construction défensive aussi massive qu'impressionnante, rayonnait.

Ainsi ce termina le conseil diplomatique dans lequel se jouaient les décisions du monde. Ils se levèrent et, sans une bousculade, quittèrent la salle du conseil. Pitro vint une nouvelle fois prendre les trois étrangers en aparté.
- Au nom du royaume de Pagos, je vous remercie pour le courage dont vous faites preuve. C'est une longue et dangereuse quête qui vous attend.

- Endurcis-toi dès aujourd'hui ! N'aie confiance qu'en toi-même ! conseilla-t-elle en empoignant le visage de sa fille de ses deux mains. Les hommes utilisent les femmes. Ils s'en croient supérieurs ! Pour eux, elles ne sont que divertissement et jolis minois. Si tu veux que le monde soit tien, comporte-toi comme un homme. Comporte-toi comme un roi...