Bruno Doucey lit un poème de
Peter Bakowski, extrait de son recueil "
Le coeur à trois heures du matin", paru aux Éditions
Bruno Doucey en 2015.
L’écolier bègue
(école primaire de St Bede, 1960)
Pris
au lasso
par le regard du maître,
qui lui pose
la première question
de la leçon.
Chemise poignardée de sueur, chaussettes effondrées,
planté entre deux rangées,
il garde les yeux fixés
sur le pupitre, son radeau.
Il ne sait
que faire de ses mains,
ne sait
que faire de ses frissons.
Essayant d répondre,
il se heurte
aux épines
de chaque syllabe,
à la prison
de sa bouche.
Les autres élèves
regardent par la fenêtre,
scrutent les cartes et l’encre sur leurs doigts.
Ils évitent le garçon
paralysé dans cette énigme,
le garçon qui chute
du cheval
de la langue.
Peter Bakowski
LE COEUR À TROIS HEURES DU MATIN
Dehors
des nuages
cherchent la lune
dans un fatras d'étoiles.
J'écoute l'horloge,
lis le livre
de mon sang.
Je m'interroge :
Que sais-je ?
Que l'eau érode la pierre,
que la solitude érode l'être humain.
Je nous vois,
à la croisée des chemins,
dépliant des cartes
de douleur et de désirs.
À quoi pense-t-on
en achetant un tableau ?
À quoi pense-t-on
en achetant un flingue ?
La nuit est pleine d'ambulances et de rêveurs.
Je pense que le sens de la vie
est de quitter notre cuirasse :
c'est pourquoi
je pilote mon cœur
sur le papier,
c'est pourquoi
nous nous risquons
aux journaux intimes, aux lits et aux baisers.
Extrait
J’essaie d’écrire
sur notre condition
d’être humain,
mais ça ne rate jamais :
chaque fois
que j’en rencontre un,
il m’oblige
à déchirer
ma dernière copie.
Météo intérieure
Parfois tes pensées peuvent te faire pleurer,
parfois tes pleurs peuvent te faire penser.
De Trois poèmes extra courts
CERTAINES DE MES CONVICTIONS
L'idée
est une abeille
qui cherche
à créer
un essaim.
Les nuages
sont
des livres gonflés de pluie.
L'aurore est
une fille
ôtant
son collier d'étoiles.
Le coeur
est un portier
las de traîner
nos bagages d'excuses.
La peur
est graine
de solitude.
Seuls les poissons
vivent
dans de belles
prisons.
L'amertume est le plus ancien désert.
La vérité seule peut
faire durer un poème
plus longtemps
qu'une bougie.
Crois-moi
Je connais un endroit
où
le pain grille
mais
ne brûle jamais,
les grenouilles
peuvent garder
leurs cuisses,
les arbres
refusent
de pendre.
Un endroit
où :
la pensée
suit bien
des capitaines,
le calme
est
symbole de prestige,
même
la solitude
perd son armure.
Je t'y emmènerai
si seulement
tu veux bien
poser ce flingue.
Je préfère
Pour Wislawa Szymborska
Extrait 2
Je préfère
l’épanouissement à la nostalgie,
les galaxies au train-train.
Je préfère
l’homme curieux à monsieur je-sais-tout,
la bonne fortune à la fortune,
un visage rougissant à un visage de marbre.
Je préfère
les hivers qui restent dehors,
les imprévus à la solitude,
lorsque la vie
gagne en valeur.
Je préfère
Pour Wislawa Szymborska
Extrait 1
Je préfère
les jeux d’échecs à la boxe,
la solitude aux commérages,
les tombes de vieux à celles de jeunes.
Je préfère
la victime à la brute,
les baguettes aux matraques
la raison au patriotisme.
Je préfère
l’errance à la fuite,
la légèreté à la pesanteur,
la perte de mes lunettes à celle de ma confiance.
…