Pour comprendre la vraie douleur, il faut l'avoir ressentie. Pour estimer l'horreur, il faut l'avoir vécu.
Tends tes bras aux cieux, le vent prendra ta rage.
Laisse aux os brisés, le glaive de l’esclavage.
Le sang de ta peau te rappellera des maux.
Le cri de leurs yeux, tes péchés capitaux.
Tends tes bras aux cieux, le vent portera ta haine.
Les faiseurs de chaines ont bien compris tes peines.
Laisse aux os brisés, l’anneau du grand pardon.
Tu seras enchainée, aux ténèbres maintenant
Sur la soie beige, beige, je sentis glisser les corps à mes côtés. L’un d’entre eux se pressa contre moi, et je ressentis le moelleux de seins chauds contre mon bras. De l’autre côté, une main calleuse se posa sur mon torse. Je ne bougeai pas. Des froissements se firent entendre de nouveau. Je sentis une bouche glisser à partir de mon torse jusqu’à mon pubis, y laissant un sillon de feu. Je n’ouvris pas les yeux. Le visage était doux. C’était Tiashe. Quelque chose de chaud et de dur percuta ma joue, puis la tapota un moment.
— Ouvre les yeux, Shade. Je dois te rendre en fin de journée. Tu as encore largement le temps de me sucer.
Je n’obéis pas.
Il fit glisser son membre sur mes lèvres, pour déclencher un sursaut chez moi. J’avais appris depuis longtemps à ne rien laisser transparaître. Je ne réagis pas. Même quand il força sur mes lèvres closes, me fourrant son membre dans la bouche quand même.
— Tiashe, dit l’homme près de moi en se retirant. Réveille-le.
À peine, la phrase eut-elle été prononcée que je sentis les lèvres de Tiashe se refermer autour de ma queue.
Elle ne répondit pas immédiatement, se contentant de masser mon cuir chevelu. J’étais sur le point de m’endormir à même le sol, la nuque contre ses genoux, lorsqu’elle souffla :
— J’aimerais que tu vives ta vie comme un grand frisson. Le courage ne réside pas dans l’absence absolue de peur. Craindre, c’est ressentir et sentir c’est vivre. J’aimerais que tu retires ces chaînes autour de toi, que tu t’autorises à aimer, à être heureux.
Elle me redressa un peu et se décala pour encadrer mes joues de ses mains. Ses pouces caressèrent avec lenteur mes pommettes. Apaisé, je fermai les paupières.
— Tu ne peux pas éternellement rester à bord de l’avion, Mikhaïl. Il faudra que tu prennes ce parachute et que tu sautes de toi-même. Stagner n’est pas vivre. Sauter n’est pas mourir.
« Maman, pourquoi elle pleure ? »
Ma mère avait reniflé, et comme je ne voyais pas son visage, j’avais cru qu’elle avait attrapé froid.
« Parce que son petit garçon ne reviendra pas. »
Elle s’était tournée pour me dire cela en caressant mes cheveux du bout des doigts. Elle avait toujours apprécié mes boucles. Aussi douces que le poil d’un lapin selon elle.
Les stries aqueuses sur son maquillage m’avaient interpellé.
« Et toi maman, pourquoi tu pleures ? »
Un gros sanglot avait franchi les lèvres de ma mère. Elle ne m’avait pas répondu, néanmoins, j’avais saisi par moi-même.
Ses yeux avaient semblé parler pour elle :
« Parce que j’ai peur pour toi. »
Anastase passa son pouce sur ma lèvre inférieure ; ses traits virils, son regard pénétrant me brûlait.
— Laisse-toi aller, Mikhaïl. Personne ne surveille tes faits et gestes. Personne ne dira rien ni ne te jugera. Sois toi-même, abaisse tes barrières.
J’inspirai profondément et collai sa mèche de cheveux à mon nez, m’apaisant.
— Vivre dans un fort n’est pas vivre, les plus belles sensations sont celles de pleine liberté. Tu peux toucher qui tu veux. Rire avec qui cela te plaît. Agir comme un enfant si c’est ce dont tu as envie.
Je plissai le nez.
— Non merci, je laisse ça à Matt et Jimmy, deux enfants, c’est bien assez à gérer.
Nous sourîmes tous deux. Le brun me posa un baiser sur la joue, et peu de temps après, la porte s’ouvrit à nouveau.
— Hey ! Moi aussi je veux des câlins !
Mettant le téléphone sur haut-parleur, je tentai de lui envoyer ma localisation géographique, avant d’abandonner et de lui décrire où j’étais, pas sûr à cent pour cent de ce que je racontais. Ce n’était que maintenant que je me rendais compte que je n’avais pas la moindre foutue idée du nom du quartier.
— T’as pas mieux comme description ? Parce que, « une allée de lampadaires », ça n’aide pas.
Je ricanai. Il exagérait. J’avais tout bien détaillé. J’avais même donné le nom du bar accroché à l’écriteau. Enfin, si j’avais bien lu.
Je le taquinai :
— Oh… Le traqueur ne l’est donc que de nom ?
— T’es sûr de vouloir me provoquer ?
— J’irai même jusqu’à pimenter le tout : si tu me retrouves en moins de trente minutes, je t’accorde un vœu.
— Putain de génie.
Sa remarque me fit affaisser les épaules. Ce n’était pas des éléments auxquels je n’avais pas pensé… Bien au contraire. C’était justement les éléments qui retardaient autant le plan. Un plan datant déjà de quatre ans. L’idée avait été de faire du Colisée une forteresse et de renvoyer les criminels à leurs pays d’origine, sous menace de les relâcher dans la nature et donc de semer le chaos en Europe. Ainsi, ils auraient consenti à nous écouter et à établir des négociations. Mais dans le cas où nous nous adresserions aux mauvais dirigeants, nous perdrions beaucoup, voire tout. Quant à Luzy, il aimait bien trop la place de choix que l’Italie lui avait donnée en tant que grand maître du Colisée et ferait tout pour garder la mainmise sur son bien.
J’avais parlé trop vite. Rafayel siffla entre ses dents, toute rage à peine contenue.
— Je te remercie pour cette indispensable précision, grinçai-je , d’un ton acide.
— Putain ! Cela ne te fait pas réagir plus que ça ? Rafayel regarda avec mépris Kaheld de haut en bas. Merde, Yphaëlle, qu’est-ce qui t’attire chez ce sale type ?
— Tout ? proposa Kaheld d’un ton si suave et si hautain, que je vis une nouvelle bouffée de colère frapper Rafayel.
Il dégagea son visage et je pus admirer en personne, pour la première fois, les yeux aussi étranges que les miens dont tout le monde parlait. Pas d’un rouge écarlate. Un mélange bleu-gris tellement clair qu’il tirait sur le laiteux. À tel point, que n’importe qui pourrait penser qu’il était aveugle. Je l’avais vu combattre et je savais que ce n’était pas le cas.