Marée montante de
Charles Quimper, une émouvante dérive sur le thème de l'absence, est lu par
Serge Bonin. Musique originale: Millimétrik
www.editionsalto.com/catalogue/
maree-montante
Je suis un casse-tête acheté dans un magasin d'articles usagés, quelqu'un à qui il manque des bouts.
J'ai pris la mer par un jour de juin sur un bateau qui n'avait jamais vu le large en n'emportant que l'essentiel: quelques kilos de vivres secs, ta petite boîte rose, un jeu de bataille navale et l'écho sans fin des jours passés avec toi.
Comme toutes les gouttes d'eau sont reliées entre elles, j'ai commencé à te chercher dans la bruine des soirs de novembre et dans les petites mares accumulées sur les trottoirs de la ville.
On dit de la peau du fleuve qu’elle peut s’étendre
et entourer la moindre blessure, de la toute petite
écharde à la catastrophique fracture ouverte.
On dit de ses lèvres qu’elles embrassent les
marins et les esseulés, les enrobent, serpent
assaillant une proie, puis les quittent subitement
sans laisser d’adresse ou même de courriel pour
les rejoindre.
On dit que le Saint-Laurent est une valse, un
tour de manège, le fil conducteur de presque
toutes les histoires d’amour entre Natashquan et
L’Assomption.
Il y a en moi un rythme de galère au repos, un émoi, un chagrin chargé de pluie. Il y a en moi une odeur douce, ambrée et claire. Un chant mélancolique.
Comment une catastrophe comme la nôtre peut-elle ne pas affecter le cycle des marées, l'inclinaison de la Terre ou le cours de la Bourse?
L'aurore nous arrache un cri
ses bras s'agrippent
à nos rêves gelés
des poèmes morts-nés
s'enroulent à nos chevilles.
Ta tête est pleine d'épines
et de merveilles nues
la mienne est un marécage.
Depuis toujours mon regard
se tourne vers la mer.
La maison tout entière baignait désormais dans un calme constant et, si je retenais mon souffle assez longtemps, si mon coeur ne battait pas trop fort, j'arrivais même à discerner le son des flocons de neige qui percutaient la chaussée.
J'ai planté un jardin pour toi en moi
azalées et betteraves
un carré de soleil pour te réchauffer
de ce vent polaire.
J'ai fabriqué une cabane d'oiseau
pour que tu y dormes
lorsque la vie devient trop dure.
Le fleuve est ton amant du dimanche après-midi.
Le reste du temps c’est tout toi et tout moi dans
une baignoire d’eau tiède. On a la peau qui pèle,
nos silences meublent la pièce beaucoup mieux
que n’importe quelle bibliothèque Ikea.
On se contente du même air. Il passe de mes
poumons noircis aux tiens, ma bouche contre la
tienne.
Tu chante comme un marin en mal de terre, un
épervier fou.