Comme moi et beaucoup d'autres, Rosa imaginait un monde post-pandémie plus respectueux de ces métiers essentiels, et plus humain. Mon amie Nolwenn, employée dans un cinéma, nourrissait les mêmes espoirs, même si elle les a abandonnés le jour où une cliente a jugé adéquat de la traiter comme un chiffon, en lui frottant sa carte de crédit sur la manche parce qu'elle "ne passait pas". Lorsque je lui demande d'évaluer le comportement des clients avant et après l'épidémie de Covid, elle me répond sans hésiter qu'il est "largement pire, encore plus agressif".
Voici également ce que nous, simples clients, pourrions faire, à notre échelle : commencer à considérer les employés de service comme des humains... Dites bonjour,soyez aimables, ne vous formalisez pas si vous n'obtenez pas ce que vous souhaitez,... Ce n'est pas bien compliqué : il s'agit juste d'être une personne décente.
Ne vous réclamez pas du féminisme si son application au quotidien vous rend malheureuse, s'il est trop difficile pour vous d'imposer à votre mec un partage des tâches équitable ou si être sorore ne vous parait pas naturel. Si, par la force de l'habitude ou de votre éducation, les injonctions patriarcales vous sont plus confortables, libre à vous de les suivre, la société vous en saura gré. En revanche, il est important avant tout que vous soyez consciente de votre propre aliénation.
Oui, je suis dure. Oui, je suis implacable. Mais le féminisme n'a pas vocation à vous faciliter la vie, en premier temps. Il est fort probable que vous y perdiez des plumes et quelques amis. Vous ne pourrez accepter cette perspective que si l'idée de vivre une vie étriquée vous est intolérable. Si vous n'êtes pas en colère face à l'injustice, révoltée par la laideur du monde, vous pouvez retourner à vos habitudes et à votre confort. Je vous le conseille en toute bienveillance. Oui, bousculer son quotidien pour vivre selon ses principes peut être compliqué. Mais vous ne pouvez vous prétendre écologiste et prendre l'avion plusieurs fois par an par loisir. Pareil pour le féminisme: on ne peut s'en réclamer et alimenter, même inconsciemment, et entre autres, les logiques de rivalité féminine.
Le niveau d'études d'une personne ne devrait en aucun cas être le baromètre de la politesse qui lui est due.
Je dois l'avouer: malgré mon féminisme viscéral, il m'a fallu du temps avant de m'auto-désigner comme femme, car le terme me mettait mal à l'aise. Je ne pense pas avoir été la seule. Fille me convenait mieux. Femme m'évoquait Marilyn Monroe, Nicole Croustille ou Line Renaud [...], une créature de séduction, éthérée, élégante, glamour... Il fallait être vieille. Ou morte. Femme était un statut à porter. Femme entretenue, femme battue. Femme à barbe. Perspectives réjouissantes...
Devenir une femme impliquait de rentrer dans le rang... et de ne plus jamais en trouver la sortie. Être une femme semblait lourd de conséquences. "La Femme" n'avait-elle pas mené le monde à sa perte, l'infâme ?
Nous sommes le produit d'un épouvantable conditionnement. En plus de faire de nous les petites gardiennes du patriarcat mis en place par nos oppresseurs, nous sommes les victimes d'un vol. Nous sommes dépouillées d'une infinité de possibles. Gardez ces faits en tête et apprenez à vous en prendre aux vrais responsables.
La société nous a dressées à mordre nos semblables. Nous nous haïssons autant que nous haïssons les autres. Ce n'est pourtant pas un sauf-conduit vers une attitude de merde. Le fait d'être victime d'une oppression ne nous autorise en aucun cas à piétiner les autres et leurs sentiments.
Vous avez probablement eu, à un moment ou un autre de votre vie, une attitude problématique envers une autre femme. Le problème n'est pas tant de l'avoir été que d'en accepter l'idée. Et d'agir en conséquence.
On pourrait s'étonner de constater à quel point certaines femmes s'acquittent à merveille de leur tâche de kapo, toujours promptes à faire rentrer les autres dans le rang. Il peut s'agir d'une stratégie de survie: interpeller les autres femmes sur leurs imperfections permet d'éloigner l'opprobre de soi-même, de signaler que l'on est irréprochable en affichant clairement sa condamnation des comportements "déviants". "Moi je suis conforme", disent ces attaques. Dans d'autres cas, simplement, c'est la faille narcissique qui est à l'œuvre. Exorciser ses propres souffrances en accablant les autres femmes est une stratégie de survie permettant, cette fois, de détourner maladroitement les regards de soi-même en les orientant sur les autres femmes. C'est souvent de soi qu'on évoque lorsqu'on critique les autres...
La belle-mère est une briseuse de couple alors que le beau-père est le sauveur d'une femme isolée.