Le métier de journaliste pigiste ne suffisant pas à payer les factures, et bien que s'étant juré de ne plus jamais prendre de job de service,
Racha Belmehdi manque à sa parole et candidate pour un emploi de vendeuse dans un grand magasin. Ce sera à la suite des deux ans d'expérience, moralement violents, dans cet emploi, qu'elle décide de mettre des mots sur les conditions de travail dans le domaine du service, forte des multiples petits jobs dans lesquels elle a pu subir humiliation, mépris, cruauté, réflexions blessantes de la part des employeurs et des clients.
Pour elle il y a urgence à parler de ces métiers méprisés. Elle désire apporter sa propre contribution afin d'inciter hommes et femmes à respecter ces travailleurs essentiels. S'appuyant sur de multiples témoignages, elle lève le voile pudique qui masque les horreurs subies. Les propos racistes et violents, les réflexions arrogantes et mesquines, ébranlent le lecteur.
Les anecdotes d'amis, de collègues, celles relayées par les réseaux sociaux, d'autres livres, viennent compléter sa propre expérience en faisant jaillir l'ampleur du mépris de cette classe dite inférieure.
Aujourd'hui, ce n'est plus uniquement les riches qui se font servir. Les applications qui se placent en intermédiaires, masquent le côté humain du service rendu et ne font retenir que le plaisir que l'on se paie, le confort auquel on accède.
En lisant ce récit, on a des faits écoeurants, des chiffres alarmants, qui matérialisent la quantité d'incivilités encaissées par les employés de ces secteurs liés aux services.
Qui n'a jamais été témoin du comportement d'un client insupportable à la terrasse d'un café ou à la caisse d'un supermarché ?
On a du mal à imaginer les gestes immondes que se permettent les utilisateurs des toilettes publiques sous prétexte que des êtres inférieurs en assurent le nettoyage.
On sera étonné de constater le nombre de personnes diplômées, souvent des femmes, racisées, qui occupent ces emplois. L'autrice nous dit « Mes études et mon extraction bourgeoise n'ont pas suffi à me prémunir contre la précarité. Nous sommes quelques-uns dans ce cas-là et nos rangs semblent appelés à grossir… D'où l'intérêt d'apprendre à ne pas juger, ni avoir honte de nos emplois, qui nous nourrissent mais ne nous définissent pas. »
Et, force est de constater que la misogynie est toujours de mise dans notre beau pays qui persiste à prôner l'égalité, la fraternité, la liberté ! La volonté de garder la bonniche à sa place a encore de belles années devant elle…
J'ai été atterrée à la lecture du cas, en Espagne, de cette télé-conseillère décédée au travail et dont le corps est resté sur place pendant des heures alors que ses collègues avaient obligation de continuer leur travail. Comment est-il possible que des managers donnent de telles directives, image glaçante d'une déshumanisation totale ? Et qu'un groupe de personnes tremble à ce point pour ne pas être capable de rébellion en une telle situation ?
Alors que les campagnes de communication prônent le respect et la politesse, force est de constater que ce n'est qu'une vue de l'esprit, une utopie, surtout pour ces métiers de service.
Après ces pages éprouvantes, où bon nombre de personnes considèrent encore que les esclaves existent, avec la certitude d'être le client-roi pour qui tout est permis,
Racha Belmehdi tente d'offrir quelques pistes pour qu'un changement s'opère. « Voici également ce que nous, simples clients, pourrions faire, à notre échelle : commencer à considérer les employés de service comme des humains. Oui, cette phrase semble provocatrice de prime abord, pourtant elle est basée sur des faits, relatés tout au long de ce livre. »
Selon moi, respecter chacun pour sa contribution au fonctionnement de la société tombe sous le sens. J'ai peur malheureusement que cet ouvrage ne prêche qu'à des convertis. Les personnes odieuses et cruelles ne se remettent jamais en question, à part dans les films de Noël !
Vivant dans une cité balnéaire, on constate qu'il ne vient même pas à l'esprit de certains touristes que les serveurs et serveuses sont des saisonniers qui financent leurs études supérieures et ils tentent de les rabaisser mais, heureusement, se font remettre en place certaines fois.
Merci à Babelio et aux Éditions Favre pour cet ouvrage que je vais offrir à la bibliothèque municipale afin de tenter de toucher un plus large public.