De nombreuses affaires de harcèlement et de diffamation sur les réseaux sociaux ont placé l’anonymat au centre des débats. C’est une question qui revient sans cesse à propos de Wikipédia, et qui est liée dans l’esprit de nos interlocuteurs à la notion de confiance : « Je fais confiance à tel auteur parce que je sais qui il est », que ce soit pour de bonnes raisons (il est professeur d’université, spécialiste du sujet) ou mauvaises (je le vois à la télévision depuis quinze ans et on l’invite tout le temps).
Sans doute faut-il d’abord déconstruire un peu cette notion : l’anonymat semble un problème fondamental sur Internet, alors qu’il est la norme dans la vraie vie. Personne ne se promène avec son nom autour du cou dans la rue, et personne ne nous demande notre carte d’identité pour nous laisser entrer dans un magasin ou poser une question dans une conférence. Les automobilistes délinquants pourront être retrouvés grâce à l’immatriculation de leur voiture (après enquête pour savoir qui la conduisait), tout comme les internautes délinquants à partir de leur adresse IP – et dans un cas comme dans l’autre, on peut chercher à se cacher. L’anonymat est plutôt le régime habituel de notre vie… et c’est très bien ainsi, le droit au respect de la vie privée contrebalançant largement les craintes que cela peut faire peser pour notre droit à la sécurité.
Comme un grande partie d'Internet, Wikipédia est l'enfant de la culture start-up de la gauche américaine (liberals). C'est un milieu où, depuis quelques années, la critique de la position dominante de certains groupes par rapport à d'autres (femmes, minorités ethniques...) est un enjeu majeur pour gagner en inclusivité. On dénonce le fait qu'être homme vous offre des privilèges dont ne jouissent pas les femmes, et ainsi des Blancs par rapport aux Noirs, des hétérosexuels par rapport aux homosexuels ou aux personnes transgenres, des "neurotypiques" par rapport aux autistes, etc. Cela laisse des traces dans la culture foncièrement relativiste de Wikipédia, où on a tendance à penser, dans cette ligne, qu'il n'existe pas une normalité et des marges, mais plutôt un continuum d'identités et de pratiques dont aucune n'est plus normale que d'autres.
Or cette culture woke vient entrer en contradiction avec les réalités d'un milieu wikipédien francophone constitué majoritairement d'hommes plutôt jeunes, où les blagues peuvent être sexistes et où l'on cultive l'entre-soi de type école d'ingénieur. Mais la contradiction est en fait plus profonde : la volonté de mettre en valeur la connaissance repose sur une approche rationaliste et scientifique née en Occident. Aucun phénomène n'est naturel : penser qu'il existe une réalité objective, que l'on peut rapporter de manière neutre dans le cadre d'un livre ou d'un site internet, c'est déjà réfléchir dans un cadre de pensée occidental qui, résumé très succinctement, a fleuri en Grèce et a été revivifié pendant le Moyen Âge, la Renaissance, les Lumières et le XIXe siècle scientiste.
Il n'est donc pas évident d'intégrer des réalités issues de toutes les cultures dans un cadre qui n'est en réalité pas si neutre que nous autres, Occidentaux, l'imaginons.
L'un des plus anciens fantasmes humains, en dehors du sexe et du pouvoir, a sans doute été de disposer de l'intégralité du savoir.
Mais le bon usage des Wikipédia demande des compétences à acquérir. Il faut savoir juger de la qualité d'un article en cherchant des éléments à analyser, des indices formels ou de contenu, dans l'article (...) ou en dehors (...).