Tout était à reconstruire sur les ruines de l’ancien monde. Les pionniers de ce que nous appelons l’ère du « bien vivre » n’ont pas eu la tâche facile, mais grâce à la volonté et à la cohésion de notre peuple, nous avons pu unifier la planète, abolir le pouvoir de l’argent, construire enfin la ville sur l’eau, pour qu’elle échappe à toute empreinte territoriale. On l’a voulue automatique, pour délivrer au maximum les gens de leur existence d’insectes besogneux, et surtout non polluante, n’utilisant que les sources d’énergie naturelles, soleil et géothermie, et recyclant ses déchets à quatre-vingt-dix pour-cent.
(p.48)
Mon espèce est de la race pensante la plus ancienne et la plus évoluée de l’univers connu... De l’univers connu de mes semblables, qui englobe environ cinq cent milliards de fois la fraction d’espace infime que vous avez explorée. Nous avons depuis longtemps oublié les ambitions personnelles, les luttes intérieures et tous les désordres nés des motivations futiles de vos émotions. Nous gouvernons notre vie dans le simple mais absolu respect de tout ce qui vit, et surtout des principes mêmes nécessaires à la pérennité des équilibres naturels. En un mot, selon vos critères, nous serions soit infiniment sages, soit completement inhumains, c’est exactement la même chose.
(p.125)
Alors la mort avait frappé l’Aramanthe des anciens hommes, l’Aramanthe des premiers temps, bâtie d’orgueil et de gloire, laissant une terre dévastée et pelée, desséchée, monde mort, hostile. Et les fils des anciens, les savants, les mages, qui avaient oublié l’Autre et s’étaient aveuglés, faisant leur dieu de ce qu’ils avaient créé, s’étaient réfugiés sous la terre apyres du dieu, comme des bêtes peureuses, et ils s’étaient endormis dans la paix de son royaume d’ombre, pour attendre les jours meilleurs.
(p.51)
Un épieu anonyme, lancé de main de maître, envoya Rom rejoindre Koghor, Targui, et les autres, dans un ailleurs que sa vie terrestre laissait imaginer peuplé de plus d'épines que de roses.
Au fil du temps, les éboulis s'étaient aplanis et tassés. Le résultat était une sorte de champ clos, ouvert au Sud et limité sur trois côtés par une très belle paroi calcaire aux plis figés. Depuis longtemps, ces lieux paisibles et secrets n'accueillaient plus guère que quelques vénérables savants préhistoriens qui venaient gratter un peu la terre, persuadés qu'ils étaient tous, que leur célébrité se trouvait enfouie là, quelque part, sous la forme d'un crâne vieux de quelques dizaines de millénaires, ou d'une collection de cailloux ayant appartenu à l'homme du nez en derthal.
Bref, c'était l'endroit idéal pour tirer quelques flèches dans les environs plus ou moins immédiats d'une cible sans risquer de piquer au vif quelque benêt d'adulte assez maladroit pour venir se placer sur la trajectoire.
Viviane ne se connaissait qu'une seule faiblesse : elle avait besoin d'au moins dix heures de sommeil par nuit. Elle s'était depuis longtemps résignée à subir à ce sujet les plaisanteries de ses parents, tout en sachant parfaitement que si d'aventure il lui arrivait de se lever un matin une demi-heure plus tôt, tous deux ne manqueraient pas de lui demander d'une voix inquiète si par hasard elle n'était pas un tout petit peu souffrante.
— Ah, c'est du joli ! Vous pouvez être fière ! Vous les avez bien élevés, vos mouflets ! Des brutes ! De la graine de bagnard, des rebuts de prison, voilà ce que c'est !
Malheureusement, ponctualité et méthode ne sont pas, c'est bien connu, les qualités dominantes de ces gens imprévisibles que sont les artistes.
Les animaux de son espèce ne devraient avoir le droit de sortir que tenus en laisse et muselés.