Si Hadrien a bien relancé l’activité des villes, il a également (quoi qu’on ait prétendu) plus ou moins contribué à un nouvel essor de la littérature en même temps que des arts. Avide de tout voir, curieux de tout savoir, il avait une gamme de talents divers à la mesure de sa fringale, qui correspond à un certain amour de la vie. Quelle idée en avait-il, philosophiquement, religieusement parlant ? Au vrai, la quête et l’expérience du « beau » ne vont presque jamais sans un certain sens du divin ou du surnaturel. L’histoire de l’art ne se comprend qu’avec ses connotations religieuses, souvent très difficiles à analyser.
(p.144)
Pour son avènement (...), Hadrien (...) fait brûler sur le Forum les registres du fisc
En 15, la ville de Gythion, en Laconie, voulut donner l'apothéose à Auguste en même temps que les honneurs divins à Tibère et Livie. L'empereur répondit pour décliner personnellement ces honneurs, réprouvant tout ce qui le mettait au-dessus de la condition humaine. En 19, il avait cru devoir rectifier ceux qui qualifiaient ses occupations de "sacrées" ou même de "divines" : elles n'étaient que "laborieuses", laboriosas. Mais Tibère voulut bien qu'on rendît à Auguste un hommage religieux pour "ses bienfaits envers le monde entier", ce qui correspond à l'idéologie hellénistique dont Pline l'Ancien se fait l'écho : "Dieu, c'est pour un mortel secourir un mortel".
pp. 237-238
Claude est proclamé [empereur] en tant que membre de la famille régnante (c'est l'oncle de Caligula) et parce qu'il se trouve sur le chemin d'un soldat en quête d'empereur...
Le culte d'Elagabal ne comporte pas d'initiation, il ne scelle pas de contrat entre le myste et la divinité qui l'adopte et lui assure un statut privilégié; Il ne garantit pas non plus à ses dévots une sécurité dans ce monde et dans l'autre, contre le destin ou les démons de l'au delà, contre les puissances du ciel et de l'enfer. Il n'a pas d'eschatologie et n'offre apparemment aucune perspective de survie.
p.164
Finalement, c'est Tacite, "le plus grand peintre de l'Antiquité" comme l'appelait Racine dans la préface de son Britannicus ou, comme disait Napoléon, un "détracteur de l'humanité", un "fanatique brillant d'esprit" selon Voltaire, qui a marqué les esprits. Etait-ce un historien ? ou plutôt un romancier, qui avait le "génie de l'imposture" ? Si c'est une imposture, le temps l'a consacrée. (...) "Ni Tacite ni Suétone n'avaient connu cet empereur", remarquait justement Voltaire, lequel n'avait pas tort de poser la question : "Croirai-je, sur le rapport d'un seul homme qui vivait longtemps après Tibère, que cet empereur presque octogénaire, qui avait toujours eu des moeurs décentes jusqu'à l'austérité, ne s'occupa dans l'île de Caprée que de débauches qui auraient fait rougir un jeune Giton ?" Il faut se défier des arguments de simple vraisemblance. Mais en l'occurrence, les variations des modes idéologiques donnent à réfléchir.
pp. 228-230
(Tibère gouvernant depuis Capri). L'histoire de Tibère à Capri nous démontre surtout qu'on a toujours le tort de se différencier. Sourdement égalitaire, l'humanité moyenne admet plutôt mal ce qui relève peu ou prou de la "distinction", un sujet qui excite aujourd'hui les sociologues. Emerger du commun de l'espèce, c'est s'exposer aux haines et à la calomnie. Dans un tout autre contexte, Tibère nous fait penser au héros de "La peau de chagrin", que poursuivait la hargne des curistes dans un hôtel d'Aix-les-Bains, car "il échappait à la juridiction de leur médiocrité."
p. 204
Ce dénigrement indirect est fréquent dans les Annales (de Tacite). Insinuations plus ou moins sournoises, sous-entendus hypocrites, commentaires frauduleux, références indécises ou implicites à des sources douteuses, qu'on fait mine de récuser pour finir : Tacite a tout l'arsenal équivoque et pernicieux du journaliste engagé qui, sous le couvert d'une fausse objectivité, veut dominer son lectorat.
p. 156
Ce désir d'assouvir tous les désirs (ou d'en inventer), d'expérimenter tous les délices et tous les vices fait songer à certains courants de la gnose qui fleurissaient aux époques antonine et sévérienne. Si Héliogabale n'était pas le grand-prêtre du bétyle émésien, on serait presque tenté de le croire et de le dire carpocratien.
l'Empire romain n'a aucune base constitutionnelle à proprement parler et (...) ce régime qui peut nous paraître monstrueux d'un point de vue juridique n'a aucune loi de succession. (...)
L'absence de toute règle constitutionnelle (...) favorise toutes les intrigues.