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Citations de Roberte Hamayon (41)


Le chamane “mari” d’esprit d’espèce gibier
Ce rituel constitue un cadre où le chamane doit endosser une identité supplémentaire, celle d'un grand cervidé mâle, et se conduire comme celui-ci le fait à l'approche de la période du rut, commençant par se battre pour écarter ses rivaux de façon à bénéficier ensuite des faveurs de la femelle.
Le chamane, “mari” d'esprit aquatique
Dans les groupes sociaux où la pêche tient une place importante, le chamane est censé prendre aussi une “épouse” esprit dans le monde aquatique de façon à légitimer l'activité de pêche.
p. 94
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Il arrive aussi que des tambours chamaniques miniatures soient donnés comme jouets à des enfants. Si tous les jeunes s'exercent à chanter et danser à la manière chamanique, seuls certains d'entre eux seront plus tard reconnus par leur communauté comme pouvant ou devant devenir chamanes dans l'intérêt collectif. Mais tous pourront continuer à s'adresser à des esprits, ce qui sera souvent compris comme « chamaniser » pour eux-mêmes. Toute communauté tient à toujours avoir en réserve des chamanes potentiels.
p. 80
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Partage de tâches entre espèces sauvages
Les esprits qui consomment la force vitale des humains ne sont pas ceux des espèces gibier qui ne sont pas carnivores, mais ceux d'espèces carnassières ou rapaces qui agissent pour eux (l'imaginaire des chasseurs respecte les réalités empiriques). Leur tâche est de prélever de la force vitale humaine pour protéger les espèces gibier d'un excès de consommation humaine.
L'interposition de médiateurs
En retour, pour se protéger d'un excès de consommation sauvage, les humains interposent des médiateurs qu'on regroupe sous le nom mongol d'ongon : ce sont soit des animaux vivants — des jeunes d'espèces carnivores, aiglons, louveteaux, renardeaux —, soit de petites figurines en bois représentant ces espèces, munies d'une bouche. “Nourrir” les ongon vise à faire attendre les esprits des espèces carnivores et donc à retarder pour les humains l'échéance fatale.
p. 78
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Un échange de nourriture avec les espèces gibier
Entrer dans une relation d'échange avec les espèces gibier constitue la fonction chamanique essentielle. Les peuples sibériens résument la conception de cet échange ainsi : de même que les humains se nourrissent de gibier, de même les esprits des espèces sauvages se nourrissent de la force vitale portée par la chair et le sang des humains. Ainsi, l'échange est proclamé symétrique et réciproque. La consommation mutuelle préserve l'intégrité de chaque espèce tout en garantissant un temps de vie à chacun de ses membres.
L'objet des grands rituels chamaniques est d'instaurer cet échange et d'en gérer le déroulement en sorte d'allonger au maximum le temps de vie des humains.
Une simple prise de viande
Tout dans la conduite du chasseur vise à souligner qu'il ne prend du gibier que la chair. Il ne dit jamais qu'il “tue” sa proie et dispose ses restes osseux en forêt avec le plus grand soin pour que son âme s'échappe de son corps, se recycle et revienne ensuite dans un nouvel animal de son espèce. Il se défend de supprimer un animal et revendique d'agir pour préserver l'espèce. Ainsi l'échange est-il loin d'être perçu comme illustrant l'adage « la vie des uns se paie de la mort des autres » ; bien au contraire, il est conçu comme assurant le renouvellement de la vie de part et d'autre grâce à la consommation mutuelle.
p. 77
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Des esprits d'espèces sauvages pour partenaires
La notion d'esprit est un élément essentiel de la pensée chamanique. Entité immatérielle comme l'âme, l'esprit s'en distingue par son caractère générique et par son indépendance de tout corps vivant particulier.
L'esprit d'une espèce sauvage n'est lié à aucun animal vivant de cette espèce ; il est conçu comme atemporel : il ne peut être affecté par la mort et représente la perpétuation de l'espèce au-delà du renouvellement des générations. Il est en quelque sorte l'âme générique de cette espèce, abstraite et intangible, non réductible à la collectivité de ses membres vivants. L'attribution d'un esprit à une espèce rend possible à la communauté humaine d'établir avec les esprits d'espèce gibier des relations institutionnelles indépendantes des individualités et des circonstances.
p. 76
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Une conception animiste du monde naturel
L'évidence de la chaîne alimentaire est le fondement empirique de la démarche qui conduit les humains à établir des relations avec les espèces gibier pour pouvoir vivre de chasse.
Ce qui rend possible d'établir de telles relations est la conception animiste inhérente au chamanisme. Selon cette conception, le corps animal est “animé” par une composante spirituelle individuelle ou “âme” semblable à celle qui anime le corps humain. Les âmes animales sont pensées homologues des âmes humaines en nature et en fonction, et spécifiques de chaque espèce. La notion d'être animé couvre à la fois celle « d'avoir une âme » et celle « d'être en vie ». Mais l'âme est conçue à la fois comme nécessaire à la vie du corps et survivant à sa mort.
L'âme logée dans les os est recyclée après la mort Chez les animaux comme chez les humains, l'âme individuelle est censée résider dans les os et survivre à la mort du corps pour revenir, plus tard, vivre une nouvelle vie sur terre. Aussi en prend-on grand soin à la mort : on dépose les corps humains et les crânes animaux sur des « tombes aériennes » pour ne pas enfermer les âmes. À son retour sur terre après une sorte de recyclage posthume, chaque âme revient “animer” un nouveau corps de la même lignée humaine ou de la même espèce animale ; ainsi les ossements qui sont le réceptacle de l'âme pendant son recyclage posthume représentent-ils la continuité de son espèce d'appartenance.
p. 74/75
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Les humains, une espèce parmi d'autres dans la forêt
En forêt, les humains sont une espèce parmi d'autres. Leurs huttes, couvertes selon les saisons de peaux fourrées ou de plaques d'écorce, tiennent pour eux le rôle que tiennent nids, tanières et terriers pour d'autres espèces. Comme les espèces animales qu'ils y voient vivre, les peuples chasseurs sibériens se sentent partie prenante de la chaîne alimentaire qui permet à toutes d'y vivre. Ils en ont généralement une grande conscience ; ainsi certains d'entre eux mettent-ils sur les sentiers des arêtes de poisson à la disposition des fourmis. Ils déposent les cadavres de leurs défunts sur de hautes plateformes entre les arbres (« tombes aériennes ») pour les offrir aux rapaces et carnassiers.
« Enfants de la nature »
p. 73/74
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La vie de chasse dans la taïga sibérienne
Au fil des sources s'installe l'idée que la vie de chasse dans la taïga « uniformise » la culture des peuples qui y vivent, marqués par une faible démographie, une organisation sociale égalitaire et l'absence de pouvoir central. C'est seulement dans ce type de société que le chamanisme constitue un système religieux à part entière, opérant au niveau global de la communauté tout en imprégnant la vie quotidienne de ses membres.
Représentative de la vie de chasse en général, la vie dans la taïga se caractérise en outre par l'immensité de l'espace, très peu peuplé, et par la nature du gibier comestible. Le « gibier par excellence » est constitué des grands cervidés (élan et renne) et des gallinacés (tétras).
Une activité à la fois technique et religieuse
Vivre directement des ressources offertes par l'environnement naturel revient à prélever dans un “donné”, ce que l'on ne saurait faire sans prendre des précautions dans l'instant ni sans se préoccuper de la réapparition de ce donné naturel dans l'avenir. C'est pourquoi la chasse ne peut être une activité purement technique ; elle est aussi, de façon nécessaire et indissociable, une activité religieuse. Celle-ci doit rendre légitime le fait de prélever dans le donné naturel tout en en garantissant la perpétuation ; c'est la raison d'être du chamanisme en tant que système religieux « central » dans une société vivant majoritairement de chasse.
p. 72
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Avec, pour arrière-plan, l'évidence que l'humanité a commencé par vivre de chasse, le caractère structurel du lien entre chamanisme et chasse rend plausible l'idée de l'universalité du chamanisme. Il rend compte de la présence d'éléments chamaniques dans toutes sortes de sociétés, y compris industrialisées, où ces éléments sont dissociés, marginalisés et mêlés à des éléments d'autres systèmes religieux correspondant à d'autres modes de rapport au monde.
Ce rapport au monde détermine l'ensemble des représentations et des pratiques qui, dans la vie de chasse, visent à permettre la prise de gibier, exemple même de bien vital qui ne peut être « produit » par l'activité humaine. Il constitue l'embryon de la démarche chamanique. Il fournit un modèle applicable à d'autres biens qui, matériels ou immatériels, ne peuvent pas non plus être « produits », tels que la pluie, la santé, la fécondité ou le bonheur. Il explique la capacité d'adaptation reconnue au chamanisme.
p. 68
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Au cours de son « voyage » ou « quête de pouvoirs », il doit « trouver son animal de pouvoir », « créer son chant de pouvoir », pour « se relier avec les esprits de pouvoir » et ainsi « se réharmoniser ou se reconnecter » avec l'univers entier — chaque organisation ayant sa propre terminologie. Il ne s'agit pas, précise-t-on, de pouvoir sur autrui, mais d'un pouvoir qui n'est qu'une parcelle du « pouvoir de l'Univers » et qui doit être compris comme capacité d'agir. S'il n'en est rien dit de plus, c'est pour respecter la liberté des expériences et favoriser la variété des voies, tout en sapant à la base non seulement tout pouvoir personnel mais aussi toute velléité de s'ériger en spécialiste et instaurer une hiérarchie entre tous ceux qui s'adonnent à ces expériences.
p. 55
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Dans son principe, ce qui est expérientiel permet au sujet de se sentir à la fois unique et représentant de tous les êtres, et par là fait en quelque sorte se rejoindre l'individuel et un certain universel. Or, ce qui valide une expérience chamanique comme telle est la reconnaissance du récit que le sujet en fait par le milieu néochamaniste dont il fait partie. Ce récit doit donc réussir à transformer l'expérientiel émotionnel en spirituel, et cela de façon conforme au modèle d'expérience chamanique en vigueur dans le groupe.
Il en résulte que les récits présentent un caractère stéréotypé, qui est révélateur du groupe d'appartenance. Il en résulte aussi que rien ne permet de décider si le sujet qui fait le récit de son expérience a atteint ou non un « état de conscience chamanique » ; il en est seul juge. De ce fait, personne ne se dit chamane ni ne qualifie l'autre de chamane, ce qui permet d'éviter toute forme d'institutionnalisation.
p. 53
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« L'expérientiel »
Une autre notion se veut également gage de scientificité, celle d'expérience, dont Eliade avait fait le moyen et la preuve de la démarche chamanique. L'emploi « d'expérientiel » pour la désigner modifie l'évaluation de cette expérience ; en tant qu'adjectif associé, « expérientiel » se distingue « d'empirique » et « d'expérimental » en ce qu'il s'applique à « ce que le sujet ressent ». Son emploi fait glisser la démarche chamanique de la thérapie vers la spiritualité, et donne ainsi à la pratique une valeur positive.
Il a aussi l'avantage d'impliquer l'être entier : du point de vue de celui qui vit cette expérience, il spiritualise le corps tout autant qu'il corporalise l'âme. Il s'ensuit une spiritualisation généralisée : les objets de la vie quotidienne sont aptes eux aussi à procurer un ressenti « expérientiel » au terme duquel ils peuvent être dotés d'une valeur spirituelle.
p. 52
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Face à cette dévalorisation du chamanisme, Mircea Eliade entreprend de le réhabiliter dans son célèbre ouvrage Le Chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, paru à Paris en 1951. Pour le réintégrer dans la sphère de la religion, il le redéfinit, en maintient la dimension individuelle tout en la faisant basculer du psychique au spirituel. Il se sert de la notion de “maladie initiatique” comme pivot de sa démarche et peut ainsi réinterpréter positivement des éléments jusqu'alors perçus négativement : c'est en surmontant sa propre “folie” que le chamane devient capable de guérir autrui.
« L'expérience religieuse » en soi
Mais il y a plus : dans cette démarche, Eliade décèle « l'expérience religieuse » à l'état brut. Sa plume qualifie cette expérience “d'extase” et la pare de touches mystiques ; en faisant d'elle le fruit d'une “technique”», il offre à tout individu une voie personnelle et autonome d'accès à l'extase mystique.
p. 43
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Son point de vue est partagé par Jean Filliozat à propos des chamanes sibériens : « La possession dont ils se croient atteints est bien un rôle qu'ils jouent, mais rien n'empêche que ce soit un rôle tenu de bonne foi et qui consiste non seulement à agir d'une certaine façon, mais à croire qu'on le fait par une force étrangère. »
p. 42
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Malgré cette avancée des réflexions, le dictionnaire de Littré s'en tient à une interprétation non confirmée : « chaman » serait le « nom de prêtres bouddhistes chez les tribus qui occupent le nord de l'Asie », résultant d'une « corruption du mot sanskrit sramanas, ascète ».
Une pure technique ?
Parmi les historiens des religions, certains en viennent à penser que l'action chamanique n'est qu'une technique et que cette technique est compatible avec les croyances les plus diverses. Autrement dit, faute de doctrines et de cultes identifiables, il ne saurait y avoir que des individus et des pratiques.
Ce constat d'une multiplicité des pratiques et de leur grande vulnérabilité aux influences extérieures décourage les spécialistes d'y chercher un fondement conceptuel et renforce leur tendance à attribuer le comportement chamanique à la seule psychologie des individus chamanes. C'est alors qu'apparaît le concept de chamanisme, aussitôt controversé.
p. 35
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Comment classer le chamane ?
Toutefois, leur usage se heurte aussitôt à la difficulté de catégoriser comme « religion » les pratiques des chamanes : celles-ci échappent à tous les critères de définition et de classification dont les théoriciens se sont dotés ; les chamanes ne se réfèrent à aucune doctrine, n'observent aucune liturgie ; ils ne s'organisent pas en clergé ni en confrérie ; ils sont en rivalité perpétuelle les uns avec les autres.
Il apparaît en outre que, partout où se sont implantés le christianisme, le bouddhisme ou l'islam, les chamanes entremêlent à leur pratique des éléments de ces religions universalistes. En effet, les peuples chamanistes semblent adopter sans difficulté apparente la “grande” religion de la société qui les englobe, mêlant leurs esprits à ses saints.
p. 34
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Mais surtout, le terme « chamane » paraît d'autant plus approprié pour les penser toutes ensemble qu'il n'existe pas de définition consensuelle lui conférant valablement du sens et délimitant l'extension de ses usages.
Un phénomène inclassable
La pratique chamanique, extrêmement variable, défie elle aussi les tentatives de définition et de synthèse. Elle varie en effet non seulement d'une société à l'autre, mais aussi d'un chamane à l'autre au sein d'une société, et surtout d'un rituel à l'autre d'un même chamane. Qui plus est, chacun revendique son droit à l'improvisation et la singularité absolue de sa pratique, tout entière inspirée par son entrée en « contact direct » avec ses “esprits”, conçus comme rivaux de ceux des autres chamanes.
p. 33
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Pour Serguei Mikhailovitch Shirokogoroff, médecin qui vécut de longues années parmi les Toungouses et auteur du fameux Psychomental Complex of the Tungus (1935), les chamanes ne sont nullement malades aux yeux de leur communauté, bien au contraire ; ils en sont les membres les plus solides même s'ils sont parfois nerveux.
p. 32
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L'invention de « chamanisme », une question de psychologie
La personnalité du chamane en question
Nombreux sont les chamanes qui disent souffrir s'ils n'exercent pas assez souvent, se sentant alors tourmentés par leurs esprits. Certains observateurs en viennent à s'interroger sur la santé mentale ou nerveuse du “chamane” lui-même, qui serait le premier bénéficiaire de ses rituels de guérison.
L'opinion que sa conduite rituelle est extravagante a sa part dans cette hypothèse : sa gestuelle, précédemment attribuée à l'imitation animale imposée par sa « religion diabolique et sauvage », est désormais mise sur le compte d'une forme de pathologie. Chamaniser est dès lors un signe d'arriération non plus culturelle mais mentale, qui souligne la primitivité et l'infériorité des peuples chamanistes. Les interrogations sur le psychisme du chamane se poursuivront pendant la première moitié du XXe siècle.
p. 31
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… ils (peuples autochtones) ne remercient ou ne rétribuent leur chamane qu'en cas de succès et sont choqués que les popes fassent la quête avant que la messe ne soit terminée, et donc avant que l'on ne ne puisse juger si les prières des popes ont été exaucées.
p. 20
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