Cet ouvrage, modeste dans son volume, est un précis remarquable sur le sujet ; le premier emploi de ce terme “schaman”, date de la fin du XVIIe ...
— “S'il arrive que cinq ou six Tungules* habitent l'un auprès de l'autre [...] ils entretiennent tous ensemble un schaman, ce qui parmi eux signifie un prêtre, ou un magicien.” (p. 20) « Relation du voyage de Monsieur Evert Isbrand »**.
Ainsi donc, l'humanité qui a commencé par vivre de chasse***, dans une conception animiste du monde naturel, a développé un caractère structurel du lien entre la chasse et une vue globale de l'être humain inspirée par son entrée en « contact direct » avec les “esprits” de la Nature, ce qui rend plausible l'idée de l'universalité originelle du “chamanisme”, où les humains sont une espèce parmi d'autres.
« L'évidence de la chaîne alimentaire est le fondement empirique de la démarche qui conduit les humains à établir des relations avec les espèces gibier pour pouvoir vivre de chasse.
Ce qui rend possible d'établir de telles relations est la conception animiste inhérente au chamanisme. » p. 74/75
Dans ce rapport au monde qui détermine l'ensemble des représentations et des pratiques dans une relation aux biens vitaux non “réductible” à l'activité humaine et ce qu'elle peut produire ; c'est le soubassement de la démarche “chamanique”, un modèle applicable à d'autres biens tels que la pluie, le vent, et bien d'autres … le gibier en faisant partie (grands cervidés, gallinacés, etc.)
Dans une immensité d'espace très peu peuplé l'organisation sociale est dans un vécu égalitaire avec une absence marquée d'un pouvoir centralisé. C'est dans ce type de société que le chamanisme constitue un système religieux à part entière qui opère dans l'ensemble de la communauté, la vie quotidienne de ses membres en étant imprégnée.
« Vivre directement des ressources offertes par l'environnement naturel revient à prélever dans un “donné”, ce que l'on ne saurait faire sans prendre des précautions dans l'instant ni sans se préoccuper de la réapparition de ce donné naturel dans l'avenir. C'est pourquoi la chasse ne peut être une activité purement technique ; elle est aussi, de façon nécessaire et indissociable, une activité religieuse. Celle-ci doit rendre légitime le fait de prélever dans le donné naturel tout en en garantissant la perpétuation ; c'est la raison d'être du chamanisme en tant que système religieux “central” dans une société vivant majoritairement de chasse. » (p. 72)
« Tout dans la conduite du chasseur vise à souligner qu'il ne prend du gibier que la chair. Il ne dit jamais qu'il “tue” sa proie et dispose ses restes osseux en forêt avec le plus grand soin pour que son âme s'échappe de son corps, se recycle et revienne ensuite dans un nouvel animal de son espèce. » (p.77)
Dans cette étude nous est donc donnée la “mémoire ancestrale” de notre espèce proprement humaine, et peut-être la démarche de se demander si nous ne nous en sommes pas beaucoup trop éloignés, voire même si nous ne sommes pas dans une forme de rupture qui au demeurant pourrait bien nous être extrêmement préjudiciable !
Ici il est question d'une expérience religieuse en soi, dans sa forme à l'état brut qui offre à toute personne une voie particulière, autonome, dans l'accès à l'extase mystique.
Roberte Hamayon clarifie le propos dans ce livre, faisant un sérieux toilettage du sujet n'hésitant pas à préciser les choses :
« Non seulement des pratiques chamaniques se rencontrent dans les franges des religions universalistes, mais celles-ci semblent, du moins sous leurs formes populaires, comporter des éléments de type chamanique. Assurément, il y a eu adaptation mutuelle, et celle-ci n'a cessé d'être mouvante. Mais peut-être faut-il aussi tenter un parallèle entre ce qui fait le “caractère élémentaire” du chamanisme et ce qui fonde les démarches religieuses élaborées des religions universalistes. » (p. 126/27)
En outre elle souligne le contraste fondamental et très fort entre les systèmes chamaniques qui, d'une manière générale, privilégient les cadres naturels pour les grands rituels collectifs (habitations pour les rituels privés) et les lieux de culte bien identifiés des religions universalistes — églises, temples, monastères, mosquées, et autres sanctuaires —, dont l'histoire montre que ces lieux de cultes ont été des éléments décisifs dans les processus d'urbanisation et de contrôle social et politique.
Cette fusion du religieux et du politique accordant l'autorité absolue aux “instances spirituelles supérieures” se répercute sur tout pouvoir politique qui se réclame d'elles pour établir sa légitimité : « D'une manière générale, le politique et le religieux fusionnent dans les cultes publics qui leur sont rendus. Ce sont des cultes périodiques de caractère liturgique, perçus comme essentiels au maintien de l'ordre. »(p. 136)
« Cela explique pourquoi le christianisme orthodoxe et le bouddhisme ont pénétré chez les peuples pasteurs de Sibérie, alors qu'ils n'ont pu le faire chez leurs voisins chasseurs. Partout, la présence d'un mode de vie reposant sur la transmission de biens matériels au fil des générations et par conséquent l'importance des âmes de morts dont on hérite constitue un terrain favorable à l'intégration d'entités spirituelles supérieures à celles issues de défunts humains.
Intégration parmi les ancêtres ou au-dessus d'eux
Les ancêtres sont par définition considérés comme des instances spirituelles situées au-dessus de leurs descendants vivants. Ils concrétisent une vision hiérarchique qui permet de concevoir d'autres instances spirituelles situées au-dessus des ancêtres. Et si les ancêtres d'un clan, fondus dans une collectivité anonyme, ont autorité sur leurs descendants membres vivants de ce clan, les instances spirituelles posées comme supérieures à eux auront autorité sur un ensemble de clans, voire sur toute la société. » (p. 140)
Nous voyons donc cette vision complètement différente d'un monde à l'autre qui aurait sans doute tout à gagner dans une perspective cohérente d'une écologie éveillée, ouverte, inspirée, pour le bien de l'ensemble des êtres, animés et non animés.
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*Sibérie occidentale
Samoyèdes ; plusieurs groupes ethniques (Tungules, Nenets, Enets, Tuvas, Evenks, Nganassan, Selkoup etc ...)
** édition française de 1699, Evert Ysbrants Ides et
Adam Brand
*** Ce que démontre de façon irréfutable le documentaire scientifique : « KROMDRAAI » “à la découverte du premier humain” (Et alors Production - Altus & Fortis ©
EX Nihilo - 2021), en Afrique du Sud il y a -2 500 000 d'années, alors que la branche « paranthropus » elle exclusivement végétarienne à disparue.
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