Citations de Salvador de Madariaga (46)
Cortès fit la conquête de tous ses adversaires, dont certains, particulièrement Juan Velazquez de Leon, devinrent ses plus fidèles amis. Ce n'est du reste pas cette grâce et ce charme de notre conquérant qu'il convient d'admirer le plus en cette occasion, mais sa capacité de rester au dessus de la querelle de personnes que cette division de son camp impliquait; son aptitude à faire la différence entre Cortès l'homme et Cortès le chef; la fermeté avec laquelle il garde son attention fixée sur le but à atteindre et néglige ses sentiment personnels quand il décide de l'action à entreprendre à l'égard de rebelles et d'adversaires d'aujourd'hui, les amis et les utiles soldats de demain. Cette maîtrise de soi, cette sérénité, cette subordination complète du moi à l'oeuvre en cours, est l'une des principales qualités de Cortès; elle contribue à faire de lui l'un des plus grands hommes d'action que l'histoire ait connus.
Vous ne pourrez jamais traverser l'océan si vous n'avez pas le courage de perdre de vue le rivage.
A ce jeu des différences, Madariaga triomphe par la constante ingéniosité de ses remarques.
André Maurois, préface
Quant à la variété européenne, Madariage a eu recours, pour la montrer dans toute son étendue, à une méthode d'exposition ingénieuse et neuve. Il commence par analyser les tensions européennes, c'est-à-dire qu'il considère les nations de l'Europe par couples : France-Italie, France-Espagne, Italie-Espagne, Angleterre-Espagne, Allemagne-Russie, et caetera, et détermine pour chaque couple, les forces qui tendent à le diviser. Cela revient à opposer les uns aux autres les caractères nationaux. Y a-t-il réellement des caractères nationaux ? La psychologie des peuples n'est-elle pas une pseudo-science ? A la vérité, ce n'est pas une science, mais un art.
André Maurois, préface
Cortès occupe dans l'oeuvre de Madariaga la place qui lui revient, entre le découvreur, Colomb, et l'émancipateur, Bolivar. Les trois biographies - celle de Colomb déjà parue, celle de Cortès, qui parait aujourd'hui, celle de Bolivar, sous presse - constituent donc l'extraordinaire épopée des trois grands prototypes du monde hispanique; les modèles de tant de pilotes, navigateurs, explorateurs, de tant de conquistadores et capitaines, de tant de soldats de l'émancipation, qui remplissent de vie et de mouvement les trois phases de l'oeuvre de l'Espagne et de l'Amérique - le défrichement, la semaille, la récolte.
Comme tous les hommes qui voient loin, il (Cortès) était pleinement conscient de l'importance des apparences. "Il se mit, dit Bernal Diaz, à soigner et à orner sa personne, bien plus qu'il n'avait coutume de faire, et il se mit à porter un chapeau à plume, avec une médaille d'or et une chaîne, et une veste de velours toute parsemée de noeuds d'or." Voilà pour le chef. Voyons à présent pour la bannière : "Il ordonna de faire deux étandards ou deux bannières, brodés d'or, avec les armes royales et une croix de chaque côté, et une volute où on lisait : "Frères et compagnons, suivons le signe "de la croix avec foi véritable, et avec lui nous vaincrons."
Cette fois encore, son évasion (Cortès) dut être le résultat d'un mélange de chance, d'audace et d'une astucieuse habileté à se procurer des complices; il réussit non sans mal à se dégager les pieds des fers; puis à la nuit, ayant changé de vêtements avec son domestique, il monta froidement sur le pont et s'éloigna sans hâte, passant sans être reconnu près du groupe de marins assis autour du feu de la cuisine; voyant que les circonstances étaient favorables, il se laissa glisser dans le canot du navire et s'éloigna à la rame dans la nuit. Pourtant, il rama d'abord vers un autre navire à l'ancre dans le port et détacha la corde de son canot, pour que la mer l'entraîne et qu'on ne puisse s'en servir au cas où l'on s'apercevrait de sa fuite. Cela fait, il s'efforça de ramer vers la terre, mais le courant était trop fort pour lui, et il se décida à nager. Voici une autre indication sur sa double personnalité : en cette heure de péril, "il se déshabilla et, avec un mouchoir, il attacha sur sa tête un certain nombre de papiers qu'il détenait en tant que notaire du conseil municipal et fonctionnaire du Trésor, et qui étaient défavorables à Velazquez". Bel exemple d'homme de plume et d'épée.
Las Casas défendait sans compromis la véritable attitude chrétienne : les Indes appartiennent aux Indiens; c'est la demeure qui leur a été assignée par Dieu, et tout ce qu'on y trouve, minéraux, végétaux et animaux est leur propriété. Le seul titre des Espagnols à se trouver là-bas, c'est l'évangile.
Le livre de Madariaga est un livre bienfaisant.
André Maurois - préface
"Que pourrins-nous faie pour agir dans le meilleur intérêt des indiens ? "demandait-on un jour à une autre ecclesiastique espagnol. Et celui-ci répondit : " Les laisser tranquille"
L'humanité dévore cruellement ses héros, qu'elle condamne à gaspiller des trésors d'énergie et d'abnégation en des gestes tragiquement inadéquats aux buts mêmes qu'elle se propose. Cortès, grand par son oeuvre, et plus grand encore par sa vie, symbole de la tragédie de l'homme sur la terre.
C'est dans ce dépouillement de l'âme que le 2 décembre 1547, à Castilleja-de-la-Cuesta, il quitta cette terre sur laquelle il avait si vaillamment combattu. Au cours de sa dernière lutte avec l'Ange dans ce crépuscule pénétrant du dernier jour sur terre, il a dû prendre une vue profonde de sa prouesse inouïe.
S'il cherchait à oublier son échec et à se consoler stoïquement par la pensée que son oeuvre serait remise à sa vraie place par la postérité, la lumière éternelle qui au bord de cette terre brillait sur lui de l'au-delà ne tarderait pas à briser ce rêve. Car l'histoire, miroir de la vérité, est au-delà et au-dessus des hommes : son noble nom serait en butte à toutes les insultes, le jouet de tous les malentendus; et de son vivant, ses compatriotes étaient ennuyés par son oeuvre et restaient froids et indifférents devant la tragédie de sa noble vie.
Et s'il cherchait à oublier encore et essayait de penser qu'au moins, même s'il n'était pas reconnu, il restait le créateur d'une nation nouvelle née de deux races - alors sa déception serait la plus amère de toutes - car cette nation n'a pas encore réussi à trouver son âme. Greffe d'une race sur la tige et la racine d'une autre, elle ignore encore son vrai sens et sa véritable destinée, et mène une vie agitée par une lutte perpétuelle entre les deux sangs, et chaque jour Moteçuçuma meurt et Cuauhtemoc est pendu, chaque jour le blanc défait et humilie l'Indien dans l'âme de chaque Mexicain.
"Je remercie le Seigneur de tout ce qu'Il veut pour Se rembourser des offenses que je Lui ai faites. Qu'Il veuille bien le compter à ma décharge, comme je crois qu'Il fera, car puisque mes services ont été tels qu'aucun vassal n'en a jamais rendu à son roi, et qu'ils ont été rendus au plus puissant, au plus catholique et au plus reconnaissant de tous les rois, cette reconnaissance et cette récompense seraient impossibles si le coeur du roi n'était dans la main de Dieu; et c'est de Lui que vient toute chose, et Il ne permet pas qu'il m'arrive autre chose."
En 1539, Cortès envoya Ulloa explorer le golfe de Californie, exploration qui donna à Cortès , et au monde avec lui, une idée assez précise du dessin des côtes, et prouva qu'il s'agissait d'une partie du continent.
Son but immédiat était "l'île" de Santa-Cruz, c'est-à-dire la péninsule de Basse Californie; son but final, la découverte d'un autre Nouveau Monde.
Lorsqu'ils virent les moines pieds nus et maigres, et leur froc déchiré et pas à cheval, mais à pied, et avec la peau très jaune, et Cortès, qu'ils tenaient pour une idole ou quelque chose comme leurs dieux, s'agenouiller ainsi devant les moines, ils suivirent son exemple et toujours, depuis ce moment-là, ils les ont reçus avec de semblables marques de respect."
Cette scène posait la première pierre spirituelle de l'Église chrétienne au Mexique. "Ce geste très mémorable, dit Mendieta, est peint dans de nombreux endroits de la Nouvelle-Espagne, pour rappeler à jamais une si haute action, la plus haute que Cortès ait jamais faite (...), car si en d'autres temps, il conquit d'autres hommes, ce jour-là, il se conquit lui-même.
Quand les dieux ont envie d'un désastre, ils peuvent toujours compter sur les hommes pour leur faciliter les choses.
Quand à l'ouest, il rapporte à l'empereur que l'expédition envoyée dans la mer du Sud a découvert des perles, un bon mouillage et "une île peuplée de femmes sans aucun mâle... très riche en perles et en or". Cortès signale ces découvertes, mais ajoute : "Je m'efforcerai de découvrir la vérité sur ce point, et j'en parlerai dans le détail à Votre Majesté." Cette "île", ce n'était rien d'autre que la Californie.
L'or et la cupidité se révélèrent plus dangereux que la pierre ou la flèche pour certains des humbles frères de Cortès.