L'arbre que je préfère est L'OLIVIER. C'est l'arbre de mon pays. Celui-là a toutes les vertus. (...)
Il est fraternel et à notre exacte image. Il ne fuse pas d'un élan vers le ciel comme vos arbres (je veux dire ceux du nord de la Méditerranée, d'Europe centrale et d'Asie). Il est noueux, rugueux, il est rude. Il oppose une écorce fissurée mais dense aux caprices d'un ciel qui passe en quelques jours des gelées d'un hiver furieux aux canicules sans tendresse. Il a traversé les siècles.
Certains vieux troncs, comme les pierres du chemin, comme les galets de la rivière, dont ils ont la dureté, ont vu naître, vivre et mourir nos pères et les pères de nos pères. A certains, on donne des noms comme à des amis familiers ou à la femme aimée (tous les arbres chez nous sont au féminin) parce qu'ils sont tissés à nos jours, à nos joies, comme la trame des burnous qui couvrent nos corps. Quand l'ennemi veut nous atteindre, c'est à eux qu'il s'en prend d'abord. Parce qu'il pressent qu'en eux une part de notre cœur gît et... saigne sous les coups.
L'olivier, comme nous, aime les joies profondes, celles qui vont par-delà la surface des faux-semblants et des bonheurs d'apparat. Comme nous, il répugne la facilité. Contre toute logique, c'est en hiver qu'il porte son fruit, quand la froidure condamne à la mort tous les autres arbres. C'est alors que les hommes s'arment et les femmes se parent pour aller célébrer avec lui les noces rudes de la cueillette. Il pleut, souvent, il neige, quelquefois il gèle. Pour aller jusqu'à lui il lui faut traverser la rivière, et la rivière en hiver se gonfle. Elle emporte les pierres, les arbres, et quelquefois les "traverseurs".
Mais qu'importe ! Cela ne nous a jamais arrêtés. C'est le prix à payer pour être de la fête. Le souvenir émerveillé que je garde de ces noces avec les oliviers de l'autre côté de la rivière - mère ou marâtre selon les heures - ne s'effacera de ma mémoire qu'avec les jours de ma vie.
Mouloud MAMMERI