Sarah Sutton

Chaque fois qu’elle avait raconté la vérité à propos de son passé, son angoisse s’était amenuisée. C’était arrivé avec John, avec ses parents. Ils n’en avaient pas beaucoup parlé après coup, mais c’était comme si son esprit pouvait se détendre une fois le sujet mis sur la table. Peut-être était-ce le déclic dont elle avait besoin.

C’était une culpabilité qu’elle
portait depuis l’enfance, depuis ce moment où, cachée dans le placard, elle avait été témoin de la souffrance de sa mère. Elle n’était qu’une enfant – ça, elle le savait – mais il avait fallu un monumental travail personnel
et plus de maturité pour comprendre qu’il n’y avait rien que son jeune âge lui aurait permis de faire. Elle se rappelait toujours ce sentiment torturé qui lui donnait envie d’extirper ce souvenir de sa mémoire.

En général, les tueurs en série choisissent une cible spécifique.
Nous devons considérer l’éventualité qu’il choisisse ces femmes par intérêt sexuel et les pourchasse en cas de rejet.

C’était un point de vue valide, mais Tara restait dans le doute. À son sens, il semblait plus juste de penser que le tueur avait certaines raisons de se concentrer sur le sentier des Appalaches en premier lieu, et qu’il ressentait une colère refoulée envers les randonneurs pour un motif quelconque.

Pour elle, il était probable qu’ils avaient
affaire à des crimes d’opportunité – que le tueur avait choisi une zone de
chasse puis avait traqué n’importe quel individu qui s’y était aventuré, tout
comme un chasseur se serait avancé vers un cerf dans les bois.

Elle se contraignit à avancer, essayant de toutes ses forces de
stabiliser son souffle. Inspire. Expire, se répétait-elle. Mais chaque fois qu’elle entendait un cri, son cœur accélérait. Jusqu’à ce que la panique s’empare également de ses poumons, la forçant à prendre des respirations courtes et rapides et la laissant finalement pantelante.

Sa voix était empreinte de doute, ce qui ne faisait qu’appuyer
le ressenti personnel de Tara. Une impression pesait au plus profond d’elle – que c’était trop facile pour un tueur qui paraissait si rusé.
Après tout, il avait été suffisamment futé pour emporter les flèches, les effets personnels des victimes et les deux premiers corps. Il avait même disposé les boussoles de manière stratégique. Tout, dans ces scènes de crime, était stratégique.

— Est-ce que Greg Davis est ici ?

À la question de Tara, une expression apeurée l’envahit et elle passavv sa main dans son court carré blond, détachant ses cheveux de derrière son oreille. C’était comme regarder un rideau tomber devant une fenêtre, occultant une vue qu’on ne voudrait pas exposer à un étranger. Mais Tara voyait ce
qu’elle tentait de dissimuler – une récente ecchymose – car aucun
maquillage ni aucune coiffure ne pouvait cacher la légère déformation de son visage, résultat de sa joue enflée.

Il avait besoin de souffler ; c'était évident. Il devait laisser saigner cette blessure – il en sentait la réalité pour la première fois.
Et Tara savait, du fait de son expérience, à quel point cette sensation pouvait se montrer paralysante. Quand elle avait perdu sa mère, elle était passée par toute une gamme d’émotions.

Elle voulait que tout cela ait un sens, qu’il y ait un indice, mais voir les boussoles diamétralement opposées n’était
pas ce à quoi elle s’était attendue. Elle se concentra encore un peu sur la carte, et une pensée la frappa. Et si les flèches indiquaient en effet le lieu du prochain meurtre ? Sa théorie originale était peut-être correcte.

L’homme l’avait supplié de rendre sa liberté à sa petite amie, mais à chaque fois il avait envoyé à celle-ci une autre flèche, jusqu’à ce que les deux l'implorent de leur donner la mort.

Il détestait ça, les gens qui parcouraient ce sentier dans le seul but de dire qu’ils avaient vaincu certaines difficultés, comme s’ils comprenaient la vraie signification de cette notion.

Constater à quel point la frontière entre la vie et la mort était ténue lui semblait toujours étrange. Une femme s’était tenue quelques heures plus tôt précisément à l’endroit où elle était, et elle gisait maintenant sans vie.

Les mots de Warren la mettaient mal à l’aise. Une affaire difficile à résoudre.
Elle savait que certains cas étaient plus complexes, mais entendre de la bouche d’un agent expérimenté que sa première enquête pourrait être délicate pour lui poussa Tara à se demander si elle n’était pas dépassée par les événements.

Elle évoquait le dossier d’un tueur en série qui sévissait en Floride,
assassinant brutalement ses victimes dans leurs lits après être entré par effraction dans leurs habitations. Toutes avaient été frappées à l’aide d’un objet contondant. On avait classé le dossier jusqu’à ce que Warren intervienne.
Il avait découvert que le tueur était un éminent professeur de médecine légalede l’université d’État de Floride qui présentait une fascination maladive pour
les taches de sang.

Les cauchemars allaient
réapparaître sans cesse parce qu’elle n’en connaissait pas la raison. Son thérapeute avait conclu qu’ils étaient dus à la culpabilité du survivant – un syndrome dont Tara avait appris qu’il était très répandu. Et il avait fallu bon nombre de sessions de thérapie pour qu’elle se rappelle qu’elle n’était qu’une petite fille et qu’il était injuste qu’elle s’en veuille. N’importe quel enfant se serait caché dans la penderie.

Elle voulait qu’il ressente la même chose qu’elle : la passion.
Même si sa première semaine en tant qu’agent du FBI était principalement constituée de travaux administratifs et de recherches, elle savait qu’on
l’intégrait en douceur avant sa première affaire.

Elle voulait pleurer, mais aucune larme ne coulait. Son corps était
trop déshydraté suite à sa randonnée et à l’hémorragie. Elle escalada les marches et, avec le peu de force qu’il lui restait, tendit le bras devant elle et frappa du poing sur le bas de la porte.

À chaque pas, elle se sentait plus déconnectée de son corps. Sa blessure était sérieuse ; elle le savait. Après tout, il lui avait décoché une flèche.
C’était une réalité qu’elle n’arrivait toujours pas à appréhender.