Sarah Sutton

Elle savait qu’il sortait avec la docteure Harris, l’anthropologue légiste qui les avait aidés sur leur dernier gros dossier et avec qui elle avait appris que Warren avait eu une histoire. C’était au cours de cette affaire que Warren avait également admis avoir prématurément coupé les ponts avec la docteure Harris, et qu’il avait du mal à se rapprocher d’une femme.

Un sentiment d’injustice brûlait en elle. C’était ce qui l’avait incitée
à venir au travail de bonne heure et à se rendre au stand de tir. Elle avait espéré que libérer une partie de son stress enfouirait cette sensation pour de bon, mais il paraissait clair, à présent, qu’elle était enracinée trop
profondément. Pour être juste envers John, elle devait, semble-t-il, être injuste envers elle-même. N’ai-je pas le droit d’obtenir des réponses ? se demanda-t-elle en visant et en appuyant sur la
détente. Elle avait enfin l’impression d’avoir atteint le rideau de son passé.
Il ne lui restait plus qu’à faire quelques pas en avant pour l’ouvrir. Elle savait qu’attendre trop longtemps rendrait les choses plus compliquées.

Chaque fois qu'il s'exprimait, tout ce à quoi elle pouvait penser, c’étaient ses attaques de panique, son cauchemar et le sentiment accablant que tout pourrait resurgir à n’importe quel moment ; et cela la remplissait d’incertitude quant au comportement à adopter en sa présence. Mais Tara savait aussi que les hésitations dont elle pourrait faire preuve durant cette affaire ne feraient que l’enfoncer. Et alors qu’elle se tenait là, elle se rappela qu’elle devait aller de l’avant et se concentrer sur le dossier.

Ses yeux se portèrent vers le coin de la pièce tandis qu’il se rappelait avoir découvert la profession de Tara. Il avait
appris après sa visite qu’elle n’était pas comptable, comme elle le lui avait fait croire. Elle faisait partie du FBI. Cette information avait fait son
chemin dans les conversations entre les gardiens. Elle était ensuite arrivée aux oreilles des prisonniers. Et enfin, à celles de Richard. Au début, il n’y avait
pas cru, mais après, c’était devenu logique.

C’était un rictus qu’il avait déjà vu. La même expression qui avait vidé son cerveau de son sang et engourdi son corps. C’était
un sourire qu’il craignait parce qu’il reflétait l’imprévisibilité.

Elle avait du mal à accorder sa confiance à qui que ce soit. Mais il savait qu’il en était digne, plus que quiconque. Il avait fait tout son possible pour le lui prouver.
La colère lui monta à la gorge, mais il la ravala et contrôla soigneusement le ton de sa voix.

Il détestait devoir le répéter. Chaque fois, une vague de regrets traversait son corps, jusqu’à ce que la réalité s’installe. Il avait souhaité la voir pendant si longtemps, et maintenant qu’il avait eu cette chance, il avait dû la repousser après un simple coup d’œil. Mais au fond de
lui, il était conscient qu’il ne méritait plus rien d’elle. C’était sa faute si la vie et la situation actuelle s’étaient déroulées de cette façon.

Elle semblait plus épuisée que d’ordinaire. Son esprit dérivait constamment et son regard était fuyant et empreint de peur.

Elle avait eu la même apparence chaque jour où elle était venue ces dernières semaines, à l’exception de son corps qui semblait rétrécir et de ses vêtements qui, par conséquent,
paraissaient plus larges. Au début, elle était parvenue à cacher sa fragilité sous ses habits, mais maintenant sa clavicule ressortait nettement.

C’était ce qu’ils faisaient tous ici. Ils ne pouvaient jamais créer de liens trop étroits. Ils se regroupaient comme des meutes de loups pour se protéger, mais ils restaient des chiens, et leur environnement était impitoyable. Ils ne pouvaient faire confiance à personne.

Tout le monde était au courant
du fait qu’il écrivait à une femme depuis des mois maintenant, une ex-petite amie qui l’avait contacté, mais à chaque fois qu’elle avait promis de lui
rendre visite, elle lui avait fait faux bond.

Presque tout le monde dans cette prison savait qu’il recevait la même visiteuse quotidiennement. Mackenzie avait manifesté sa présence presque tous les jours depuis qu’il avait commencé sa vie derrière les barreaux, plus de vingt ans auparavant.

Il avait oublié la saveur des vrais flocons d’avoine, mais il savait que ce n’était pas ça. Ceux-ci avaient un goût de rassis, même lorsqu’ils étaient trempés et bouillis, et il était toujours étonné que la prison soit même capable de servir des flocons d’avoine dans cet état, étant donné leur
longue durée de conservation.

Elle se sentait mal à l’aise au vu de la façon dont John était parti. Aussi compréhensif qu’il soit, il était clair que le travail de Tara commençait à peser sur lui et sur leur relation. Mais elle savait également que ce n’était pas que son travail. C’était son manque d’implication quand elle était à la maison, et son esprit toujours ailleurs – focalisé sur Mackenzie James, sur ses cauchemars.

Il ne souhaitait pas connaître les détails. Pas plus que Tara ne voulait les partager avec lui. Il se connaissait assez bien pour anticiper que cela ne ferait que susciter des inquiétudes inutiles et que Tara était toujours réticente à partager ses informations. Ils avaient tous deux appris à mettre une distance entre lui et des détails des affaires.

Aussi difficile que cela soit, elle savait que pour l’instant elle devait mettre de côté toute recherche sur son passé. C’est peut-être une bonne chose. Cette affaire la forçait à interrompre ses investigations, et peut-être était-ce ce dont elle avait besoin pour honorer la promesse qu’elle avait faite à John.

Les choses étaient claires. Elle avait le choix, mais une seule décision était acceptable.
Il avait raison ; même si elle avait résolu deux grosses affaires, elle
était agent spécial depuis moins d’un an. Elle n’avait certainement pas fini de faire ses preuves, et la réaction de Reinhardt laissait paraître sans équivoque que refuser ne serait pas bon pour elle.

Elle n’avait jamais eu le choix. Elle Elle avait toujours imaginé qu’accepter les missions sans broncher faisait partie de son boulot. Mais cette fois, on lui demandait son avis, et cela la déstabilisa. Elle s’était déjà mis en tête que si c’était une option, elle refuserait.

L’affaire semblait énorme, mais certains éléments la rendaient
improbable. Le commissaire avait précisé qu’on avait assassiné Chloé Waterman de la même manière que les victimes du Traqueur Silencieux au début des
années 2000 et dans les années 1990. On les avait poignardées à leur domicile, mais cela ne suffisait pas à établir un lien dans l’esprit de Tara et
de Reinhardt. Le seul élément qui allait dans ce sens était le podcast.

Elle ressentit une certaine fierté. Mais ce sentiment se dissipa rapidement et disparut. Elle
devait en parler à Reinhardt, et elle imaginait déjà ce qu’il allait dire – qu’elle devrait accepter cette affaire.