J'ai vécu à New York toute ma vie, pourtant je n'ai jamais mis les pieds à l'hôtel Astor. Jamais je n'aurais pensé un jour gravir ces marches de marbre blanc en robe de bal, les cheveux ornés d'or. Cela dit, jamais je n'aurais pensé un jour être une sorcière non plus, donc j'apprends à ne pas me fier à mes attentes.
Notre travail consiste à vous protéger. Si les millénaires d'histoire nous ont appris une chose, c'est que le monde n'est pas tendre avec les femmes qui détiennent un pouvoir. Je vais vous donner cet avertissement, Frances : si vous suivez nos consignes, nous vous protégerons. Il ne fait pas bon être une sorcière seule dans ce monde, ni de laisser votre pouvoir vous consumer de l'intérieur. Vous me comprenez ?
Vous ne pouvez pas réduire le monde en cendres parce qu’il vous prend ce que vous aimez.
Haxahaven excelle dans l'art de repérer les filles douées de magie de la région. Riches, pauvres, toutes origines confondues, tout quartier ; des filles dont les parents croyaient qu'elles étaient des garçons à la naissance, des filles qui n'en sont que de temps en temps, des filles indécises, des personnes qui ne sont ni filles ni garçons. Nous les formons toutes. Nous laissons les hommes se débrouiller entre eux. Ils font ce que font les hommes.
- Détruire ? Accumuler l'argent ? Se battre ? intervient Lena.
- Précisément.
Je sens la chose en moi, la chose qui a envoyé les ciseaux sur M. Hues, qui me murmure que cette femme me dit la vérité. Je la sens dans mon ventre, inexplicable, vibrante, vivante. J'essaie d'assimiler cette vérité. Ce que cette femme veut me dire sans me le dire. La magie. J'ai de la magie en moi. Ce qui signifie que ... Je la regarde droit dans les yeux. Elle me voit assembler les pièces du puzzle une par une. Elle se penche en avant, en attendant que je prononce les mots.
- Je suis ... une sorcière ?
- Comment fonctionne le monde avec la magie ?
- Comme il a toujours fonctionné. La magie n'est pas une nouveauté. La seule chose nouvelle, c'est que tu es a présent au courant.
Je songe à William chaque seconde de chaque jour, mais mes pensées sont plus légères, partagées avec Oliver. Je ne sais pas grand chose sur la vie après la mort, mais au milieu du chaos qu'il a laissé derrière lui, je me promets que je vivrai assez pour nous deux. La mort est absurde, mais peut-être que la vie n'a pas à l'être.
La tristesse m'envahit, non seulement pour Maxine, prisonnière de ses pouvoirs, mais pour nous toutes. Nous sommes prisonnières de notre milieu, de notre magie et de la terrible malchance qui nous est tombée dessus quand nous avons eu la mauvaise idée de naître filles.
- Vous voyez, vous ne vous connaissez pas beaucoup.
- Je sais que je les aime, ça ne compte pas ? lance Maxine.
Je ne savais pas qu'elle nous aimait.
-Peut-on aimer quelqu'un sans le laisser nous connaître ? Raconte-leur ton histoire.
Ma curiosité ne cesse d'enfler. Je ne peux pas l'arrêter. Je ne veux pas l'arrêter. Si j'apprends tout ça, la magie, comment on l'utilise, comment être une sorcière, tout, peut-être arrêterai-je enfin d'avoir peur.