Là, dehors, il y a un monde dont j’ignore tout. Je me dois den apprendre autant que possible sur lui. Je veux avoir une vie extraordinaire, qui vie qui ne soit pas confinée dans les murs duun seul théâtre. [...] Je vais reprendre mes études. Je vais trouver ma place dans ce monde. [...] Merci pour cette aventure, mais il est temps pour moi d’aller explorer d’autres horizons.
Pour toutes les héroïnes méconnues qui évoluent sur la ligne arrière du corps de ballet
Enfants déjà, on nous a mis en garde contre la brièveté des carrières de danseuse. En primaire, mon professeur, Mme Eaton, une femme adorable et d’une minceur extrême, avait l’habitude de nous répéter : « Exécutez chaque pas comme si c’était le dernier. »
Nous la regardions fixement, le regard vide. Mais qu’aurions-nous pu comprendre, à l’époque ? Nous avions huit ans et, pour nous, une journée d’école était interminable, et l’enfance nous semblait devoir durer éternellement.
— Eh bien, je ne connais pas beaucoup de filles de dix-neuf ans qui ne trouvent pas un peu de temps pour leurs amis. Tu es différente, Ward, pas de doute… Et j’aime ça chez toi. Et je pense que ce que tu fais est extraordinaire. Je me demande simplement si ça te laisse un peu de temps pour vivre.
La remarque me hérisse.
— Ma vie, c’est la danse, dis-je sans réfléchir.
-Tu connais le mythe de Sisyphe, n'est-ce pas? Il a été condamné à faire rouler un rocher jusqu'en haut d'une colline pour l'éternité. Chaque jour il le poussait jusqu'au sommet, et chaque jour le rocher retombait en bas de la pente. En gros, ce qu'a dit Camus, un philosophe français, c'est qu'il faut penser que Sisyphe était heureux d'accomplir cette tâche. Parce que ce combat permanent donnait un sens à sa vie.
— On a des gamines de huit ans au régime, lui dis-je quand il décroche. Elles ressemblent à des, euh, danseuses de ballet en miniature. — Hein ?
Sa voix est enrouée, comme s’il avait somnolé. — Tu faisais la sieste ?
Il se racle la gorge.
— Qui ça, moi ? Non…
Comme c’est étrange et agréable de marcher dans la rue avec ma main dans celle de quelqu’un d’autre. Je n’arrive pas à croire que j’ai vécu presque deux décennies sur cette terre sans jamais avoir connu cette expérience. Les gens qui nous croisent doivent penser que nous sommes en couple. Et je ne sais pas, mais d’un coup peut-être que c’est vrai.
Mais peut-être que je ne devrais pas me soucier de Matt ou de Jacob. La solitude pourrait constituer une solution plus facile. C’est très certainement ce que dirait Annabelle Hayes. Je revois son visage étroit et pincé, sa petite bouche impitoyable. Votre travail, ce n’est pas de vivre. Votre travail, c’est de danser.
Je veux revoir Jacob, vraiment. Mais je repense à l’expérience que j’ai vécue en dansant la Séparation au Crépuscule, et je sais aussi que je veux avoir d’autres rôles comme celui-là. Et ils ne viendront pas à moi sans des efforts extraordinaires. Si c’est mon année, je dois me donner à fond chaque jour.
Bea vient de la Nouvelle-Angleterre, où les gens riches conduisent d’antiques Volvo et laissent le papier peint de leurs salles à manger lambrissées se décolorer et se décoller. Les gens qui ont de l’argent préfèrent que les vieilles choses restent vieilles.