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Citations de Stephen Carrière (26)


"Soignez ma fiction", nous a fait promettre Daniel. Je me rends compte maintenant de ce que cela implique. Dan avait des théories scientifiques complexes pour décrire sa croyance - et il n'aurait pas aimé que j'utilise ce mot. Mais je suis sûr de ne pas trahir mon ami en simplifiant ses propos : il pensait que l'observation ne fait pas qu'influer sur le réel, elle le façonne. Moi, je ne comprends rien à la physique quantique mais le Barde fait dire à Prospero : Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil. Alors, je te crois, Daniel. Tu as vu monter les menaces avant tout le monde et heureusement, tu as deviné qu'on allait avoir besoin de renforts.
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- Qu'est-ce que je n'arrive pas à voir, Cassia ? Qu'est-ce qui m'échappe ?
- Si tu rates un truc évident, c'est peut-être parce que c'est une chose à laquelle tu ne veux pas croire ?
- Cassia ?
- Oui ?
- Je sais que la nature de nos relations n'est pas clairement définie, mais... j'ai le droit de te demander une faveur ?
- Bien sûr.
- Tu peux éviter de parler comme dans un manuel de développement personnel, s'il te plaît ? ça m'exaspère."
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Une bouffée de lucidité me fit nous considérer sous un jour nouveau et ce que j'entrevis me glaça : cinq ados complètement détraqués qui essayaient de transformer la mort de l'un d'entre eux en quoi... en une sorte de happening ? J'observais mes amis, coincés debout dans la masse des voyageurs, et je ne voyais plus les héros d'une épopée mais un ramassis de losers biberonnés à Youtube qui rêvaient leurs existences médiocres en flashmob. Toute la confiance, toute la foi que j'avais placée dans cette quête s'effondra.
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... Nommer, c'est partager une histoire, et seules les histoires, c'est mon espérance, ont le pouvoir de nous sauver du vide qui nous éloigne les uns des autres à l'infini dans le froid et le silence.
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La tristesse n’a pas de fin, mais le bonheur si.
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1

J’ai pris mon temps, il fallait que ça repose et j’avais des choses à vivre, pour que l’émotion cède la place aux idées claires et que des phrases s’y accrochent, mais je n’ai jamais reculé, c’était mon boulot, depuis le début, et mes amis ont été patients.

Je m’appelle Moh et je me sens enfin prêt à vous raconter notre histoire. Elle est extraordinaire, merveilleuse, avec toutes les erreurs qu’on a commises, avec la puanteur de la mort qui nous a rattrapés, avec le vide atroce que tout ça a laissé, même quand Stan a fini par le faire, son putain de miracle. De toute façon, on ne vivra jamais rien de plus fort. Et on ne sera jamais plus beaux que pendant ces quelques mois, entre la rentrée scolaire et la Fête du fleuve.

Vous aurez du mal à me croire. Ce n’est pas grave, nous, on sait que c’est vrai. Et si je suis à la hauteur, vous baisserez la garde et vous ouvrirez au mystère. Ou traitez Puck de menteur, comme dit le Poète.

LIVRE I

DES HÉROS

2.


Nous vivions dans une des villes les plus prospères de France. Les attentats nous avaient épargnés et nos banlieues n’étaient pas en flammes ; les bourgeois étaient très riches, les classes moyennes mettaient leurs enfants dans des écoles privées et mangeaient bio, les pauvres n’étaient pas miséreux, les miséreux ne pouvaient plus se loger en ville depuis longtemps ; de nouveaux restaurants ouvraient toutes les semaines ; on était fiers de nos universités, de nos musées, de notre Opéra, de notre stade, les touristes du monde entier venaient se promener sur les berges du fleuve. Pourtant, la ville était en train de tomber malade et nous commencions à ressentir les premiers symptômes. En ce début d’année scolaire, on était loin de se douter de la gravité de la situation. Et puis au rayon maladie, on avait déjà de quoi se tourmenter – mais je prends trop d’avance.

Nous avions quinze ans, enfin Stanislas, Daniel, David et moi. Jenny en avait seize et elle était en première. J’ai une photo parfaite de cette rentrée : on est tous dans la cour, sur notre banc, sous le chêne et on a l’air tellement contents de nous. En fait, on n’en revenait pas de s’être taillé une place sur ce petit territoire. Notre lycée, le plus grand établissement public intramuros, avait plutôt bonne réputation. On ne peut pas dire qu’il abreuvait les prépas des grandes écoles, en tout cas il était sans histoires. Avec nos pedigrees modestes, on aurait dû raser les murs, en attendant impatiemment la fin de la journée pour retrouver l’univers anonyme d’un jeu en ligne. Un petit Black rond et chauve comme un œuf, une grande fille baraquée et mutique, un feuj fragile au gabarit de fillette et moi, le rebeu malingre, boutonneux et frisé. Le casting idéal pour une campagne de pub utilisant la mixité sociale pour vendre un produit discount. Or voilà, on avait Stan et, en deux ans, il avait nettement amélioré notre statut. Notre compagnie n’était pas beaucoup plus recherchée mais on était hors d’atteinte des petits caïds et respectés pour la qualité de nos services. Stan, que tout le monde appelait l’Enchanteur, avait en effet développé un business florissant. La nature de notre activité alimentait sans fin nos propres discussions mais, pour résumer, disons que les gens venaient nous voir avec leurs problèmes et que Stan trouvait des solutions. Nos réunions de travail se tenaient sur le banc de la cour. David m’a d’ailleurs suggéré de commencer là mon récit. En y repensant aujourd’hui, c’est vrai que ce banc a été décisif dans cette aventure, parce que c’était un peu notre table ronde, parce qu’il nous a été enlevé, puis rendu, parce que sans lui, nous n’aurions pas attiré l’attention de Prieur et que sans la haine que nous vouait notre CPE, les choses auraient pris une tournure différente.

À l’aube de la trentaine, Prieur donnait l’impression d’avoir conservé toutes les tares de l’adolescence sans avoir retenu aucun de ses charmes. Il était aussi mauvais qu’un chien sauvage et nous avait dans le collimateur.

« Vous êtes bien installés ? »

Je le revois devant nous, jambes écartées, vibrant d’indignation. Stanislas avait pris son temps, avant de se pencher vers Dan.

« Toi, ça va ?

— Moi, ça va.

— Tout va bien, monsieur. Merci de vous en soucier. »

Prieur se cherchait une contenance en dévisageant avec hostilité chacun des membres de la bande. Jenny debout, bras croisés, soutenait son regard sans ciller. David fixait ses pieds en sifflotant (sauf qu’il ne savait pas siffler et produisait un chuintement geignard qui avait le don d’exaspérer tout le monde). J’étais plongé dans mon vieil exemplaire écorné du Songe tandis que Daniel, adossé à moi pour soulager ses vertèbres, prenait des notes dans son carnet et feignait d’ignorer la scène. Stan posa alors sagement les mains sur ses genoux et s’arma d’un sourire chaleureux qui déclencha aussitôt chez le CPE un rictus affreux, dévoilant une incisive jaunie par le tabac.

« Tu dois savoir… » Prieur pointa un doigt accusateur. « … que je ne suis pas dupe. C’est le meilleur banc de la cour ! »

Je n’avais pas pu résister : « Un banc remarquable ! »

David et Jenny avaient pouffé. Prieur ne s’était pas démonté : « Le plus large, le mieux exposé au soleil. À l’abri des regards. Et pourtant, tous les jours de l’année, à toutes les pauses, il n’est occupé que par toi et tes amis. Alors que la cour est pleine de types plus balèzes… et de filles plus populaires », avait-il ajouté à destination de Jenny.

Prieur ménagea un silence intimidant, ce qui n’empêcha pas Stan de le relancer d’un haussement de sourcils interrogatif. Le doigt du CPE rejoignit sa main pour former un poing.

« Dans la chaîne alimentaire d’un lycée, il n’y a que deux choses qui peuvent donner du pouvoir à un gamin comme toi : le racket ou le deal. »

Stanislas ne souriait plus, il hocha pensivement la tête. « C’est une accusation sérieuse. »

Prieur fit un pas en avant mais Stan se pencha, visiblement captivé par quelque chose, loin dans le dos de son agresseur.

« Monsieur ?

— Quoi ? »

Prieur se retourna. À l’autre bout de la vaste cour en L, devant les grilles vertes de l’entrée, une bagarre entre les frères Irazustra attirait déjà une foule surexcitée. Prieur n’eut d’autre choix que s’y précipiter. Daniel retira sa casquette, passa lentement une main sur son crâne chauve.

« Tu vas trop loin. Les frères Irazustra, sérieusement ?

— Je fais ce que je peux.

— Non. Tu en fais une affaire personnelle. Ça va mal finir. »
J’intervins : « Bon, on reprend les affaires ? On a le temps pour une intervention, non ? Dan ? »

Daniel soupira mais tourna les pages de son carnet, s’arrêta sur une liste de noms.

« C’est au tour de Maxence Boulouque. »

Jenny scanna la foule des lycéens, porta deux doigts à la bouche et émit un puissant sifflement en direction d’un grand échalas sous le panneau de basket. David dévisagea notre amie avec la plus grande admiration : « Mais comment tu fais ? » Jenny ne répondit pas et retint Maxence d’une paume sur le plexus.

« Attends ! »

Elle jeta un coup d’œil à l’entrée du lycée. Prieur s’évertuait encore à séparer les deux frères.

« C’est bon. »

Maxence s’avança timidement.

« Tu m’avais promis que tu t’occuperais de mon cas. »

Dan lut dans son carnet : « C’est pour une Becky Thatcher. »

David était excité : « Tu sais que t’as du bol, l’Enchanteur n’en fait qu’une par an, de Becky Thatcher. »

Stan déclara : « Bon, je mets tout en place et on commence la semaine prochaine. Ça te laisse quelques jours pour passer chez le coiffeur. »

Le visage de Maxence s’illumina.

« Merci, merci, mec.

— On est toujours OK pour la contrepartie ?

— C’est cool.

— Bien sûr, c’est cool. Mais ton frère, il tiendra sa parole ?

— Sur l’honneur, mec. Tu es son dieu de toute façon.

— T’avais fait quoi pour lui ? demandai-je à Stan.

— Une Billy Elliot. »

La sonnerie retentit. On fila rejoindre le bâtiment, sachant que personne n’oserait prendre place sur le banc en notre absence.

Je sais, c’est la classe.

3.


Une marée d’élèves refluait dans les salles. Du palier, la voix nasillarde de Prieur perça le brouhaha : « Munio et Gabino Irazustra, dépêchez-vous ! »

Les deux colosses avaient rassemblé leurs affaires et ne semblaient pas vraiment inquiets. En les croisant, Stan leur tapa discrètement sur l’épaule.

« Vous avez été parfaits. Merci. »

Les frères fendirent la foule crânement vers leur sentence tandis que Stan rejoignait la classe où Benyahi se tenait déjà raide et blême. C’était le professeur le plus nerveux du lycée. Et aussi le plus harcelé. Son bourreau, Julien Vachet, venait d’ailleurs de s’affaler sur sa chaise face à l’estrade, mains croisées derrière la nuque. Julien était la pire brute de l’école et le cadet d’Aurélien Vachet, chef de meute des Taranis dont l’emploi du temps se résumait à courir les braderies pour minets stéroïdés, à s’entraîner au freefight et à tabasser des Antifas, une autre tradition locale. Les deux bandes avaient récemment franchi plusieurs paliers dans la violence, transformant les manifs en champs de bataille et faisant des dizaines de victimes collatérales dans les rangs des forces de l’ordre et des services de sécurité des syndicats. Juste après Charlie Hebdo, les Taranis avaient mené la première expédition raciste de l’histoire de la ville, s’attaquant une même nuit à quatre épiceries tenues par des Arabes. L’épisode avait laissé un goût amer : pas de témoins, beaucoup de supporters silencieux, aucune condamnation malgré les gardes à vue.

Julien Vachet ne faisait pas partie de la bande de son frère mais, à lui seul, il représentait une source intarissable de complications pour Stan, en troublant le calme nécessaire à la conduite de ses affaires.

Benyahi tapa du poing sur son bureau à l’attention des autres élèves en train de prendre place.

« Un instant, s’il vous plaît, je dois vous transmettre un message de la m
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- J'aime bien parce qu'elle ne s'excuse pas.
- Pardon ?
- Elle a une vie de merde, elle prend son plaisir où elle peut, elle emmerde le monde et surtout sa famille. Et quand elle n'en peut plus ? Rideau ! Et il y a ces deux phrases géniales à la fin : "Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus." Elle leur fait un bras d'honneur, quoi. En partant, elle leur laisse l'ennui.
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C'était peut-être ça le grand secret de Jenny : chez les Baranov, on était beaucoup plus heureux que la plupart des gens. Alors on se taisait pour ne pas se faire dévaliser par un destin jaloux.
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Dans la fiction, et particulièrement si elle repose sur un postulat irréaliste, le lecteur fait un pas vers le narrateur en lui offrant de suspendre son incrédulité, et la tâche du narrateur n’est pas de le convaincre que ce qu’il raconte est vrai mais de déployer une fiction vraisemblable pour ne pas briser ce consentement.
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Il ne les connaissait qu’à partir du genou mais cela lui avait suffi pour faire deux découvertes majeures : la première était qu’un mollet pouvait l’exciter autant qu’une paire de fesse, la deuxième, que l’os latéral saillant de la cheville n’était ni plus ni moins, a en croire l’effet produit sur lui, que le sein du pied.
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« Vous savez, dit Jeff, je ne suis pas aussi cultivé que Johann, je n'ai pas la sagesse de Malena ou le don des mots de Coton. Je crois que je suis un type qui ne sait pas grand-chose. Je suis né comme ça et je mourrai comme ça sans avoir beaucoup appris entre les deux. J'écoute Coton et je sais qu'il dit vrai, pas parce que je comprends, ce serait un mensonge. Non, c'est plutôt parce qu'il y a cette sensation d'être à sa placeà côté de lui, à côté de vous tous en fait. Et …..tout ça pour vous dire que j'ai un peu peur. »
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Elle avait la force d’un poids lourd dans un corps de brindille, et rien ne semblait de taille à la faire plier.
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Évariste et Coumba sont revenus dans la chambre. Ils se donnaient du mal pour nous sourire. C'était une autre façon de se battre. Je préférais la nôtre.
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Ce n'était pas follement original, mais ça avait de la gueule. C'est toujours beau une ville en flammes.
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Ce qui gênait Julien dans tout ça, c'est que dans cette usine à fabriquer des mensonges, les ouvriers étaient si endoctrinés qu'ils croyaient aux conneries qu'ils inventaient.
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C'est sans doute moi, après ce qu'on a vécu... Moi qui vois des diableries partout. C'est sans doute totalement anecdotique. Je l'écris quand même, au cas où. Parce que, si ça ne l'était pas, "c'est sûr que ça change tout".
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Le désespoir est, je crois, la chose la chose la plus facile à définir : l'absolue certitude que dans le noir, tout au bout, est tapi un vide infini, froid et silencieux, et que cet endroit est ancien et que toute lumière, toute vie, chaque atome y finira gelé, séparé à jamais de chaque autre atome, vie, rayon de lumière.
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Tout ça pour dire : désolé de gâcher la fête mais oui, notre histoire, c'est aussi une histoire de monstres.
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L'immobilité de l'âme, c'est un truc encore plus flippant que la mort. Je pense que c'est ce que les gens appellent la dépression.
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Dan avait applaudi et, à la découverte de la camaraderie et de la discussion, David avait ajouté celle de la fierté.
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