L’économie réelle respecte toujours des limites. C’est cette transgression permanente du principe de réalité économique qui est à l’origine simultanée de la naissance du marketing et de la société de consommation, dont le questionnement fondateur se formule plutôt ainsi : « Comment créer de nouveaux besoins et comment pousser à l’endettement ? ».
[Préface Lucien Cerise]
En termes de croissance la progression des sociétés industrielles fut en moyenne de 286% entre 1922 et 1929. Malgré les hausses de salaire et des horaires relativement plus courts dans certaines branches, le salarié de l’industrie manufacturière ne perçut qu’une augmentation moyenne de 14% durant la même période. L’écart entre le pouvoir d’achat et le développement industriel s’explique en partie du fait de l’accroissement notable des ventes à tempérament, qui permirent de soutenir les marchés « fragiles » pendant la récession des années qui ouvrent la décennie.
A partir de documents d’archives, Stuart Ewen analyse comment ce consumérisme industriel qui émergeait dans les années 1920 a dû fabriquer en série un nouveau type psychologique adapté à son mode de fonctionnement. De même que le communisme, le nazisme ou le fascisme à la même époque, le capitalisme a lui aussi réfléchi à créer un nouveau type humain.
[Préface Lucien Cerise]
[…] Stuart Ewen nous fait assister à la naissance d’une nouvelle forme de contrôle social, inédite dans l’histoire de l’humanité, où la répression est interdite (« Il est interdit d’interdire »), mais où l’influence subliminale et la séduction sont poussées au paroxysme pour rendre le laisser-aller obligatoire.
[Préface Lucien Cerise]
La répression inhibe, or il faut désinhiber. Pour mieux désinhiber l’acte d’achat, le cerveau doit donc baigner dans une ambiance de plaisir. C’est ainsi qu’un authentique totalitarisme marchand se met en place, au moyen de l’excitation hédoniste du système nerveux.
[Préface de Lucien Cerise]
[…] le mouvement du Capital se fait toujours en deux temps : diastole et systole, expansion et contraction, production de richesse, puis production de pauvreté. Après la croissance, vient donc la décroissance. Dans les deux cas, pour désamorcer tout risque insurrectionnel populaire, il faut fabriquer le consentement du peuple à la croissance… puis à la décroissance ; au consumérisme… puis à la misère. La décroissance, l’anti-productivisme, la simplicité volontaire, la frugalité, peuvent évidemment être des idéaux de vie, mais ils seront de toute façon obligés par le mouvement du Capital lui-même.
[Préface Lucien Cerise]
La Jeune-Fille [modèle du Nouvel Homme du régime du Capital] est multi-usage : en période de croissance, elle pousse à la consommation ; en période de crise et de décroissance, elle sert à divertir, dans tous les sens du terme, par le « fun » ou sur les faux problèmes sociétaux, puis à culpabiliser ou à déprimer certaines catégories de la population pour les préparer à être liquidées.
[Préface Lucien Cerise]
En attirant l’attention sur le fait que les modes de production qui ont précédé l’industrie supposaient des perceptions différentes de la durée, Thompson a montré comment le temps mécanique de l’usine a constitué un moyen de discipline révolutionnaire. Il s’agit d’un véritable assaut contre le temps face à une population qui avait hérité, par son passé collectif, de rythmes basés sur les saisons, la course du soleil et autres notions propres aux sociétés rurales.
Le mécanisme de production de masse ne pouvait fonctionner à moins que les marchés ne deviennent plus dynamiques, en s’étendant horizontalement (au niveau national), verticalement (en pénétrant les classes sociales qui ne faisaient pas auparavant partie des consommateurs) et idéologiquement. Dorénavant, il fallait habituer les hommes et les femmes à répondre aux exigences de l’appareil productif.
Tandis que les patrons du XIXe siècle réduisaient leurs ouvriers à la condition de « bêtes de somme », la modernisation capitaliste chercha à faire passer la « bête de somme » à la condition de « travailleur », puis de « consommateur ».