Sylvie Buisson, commissaire de l'exposition "Femmes artistes".
Foujita ne triche pas, il ne fait que dessiner la vérité que lui renvoie le modèle, son âme plus spécialement, mais il n'en retient que la moelle, évacuant toute anecdote éphémère. L'essence du modèle est dans le trait, non pas dessinée ou peinte avec des traits, des limites ou des contours. L'art de Foujita est différent de ce que l'Occident considère comme un tracé ou un contour. Le trait est vivant.
... il ne ressemble à personne, même pas à un autre Japonais.
Sa frange noire, ses lunettes de myope, ses costumes étranges qu'il confectionne dans le tissu des rideaux et des corsets, ses bijoux trop voyants qui pendent à son cou et à ses oreilles comme ceux des gitans effraient....
Et que dire de la montre-bracelet qu'il s'est tatouée lui-même au poignet !
Le destin de Foujita était de naître Japonais et de mourir Français.
Le destin de son art est d'être, pour la postérité, ce trait d'union parfait entre l'art de l'Orient et celui de l'Occident.
La ligne est, à partir de 1915, son principal objet d'étude. Il se passionne pour elle, l'épure, la dirige, la courbe et la redresse à l'infini.
"J'ai étudié toutes les sortes de lignes que l'homme avait tracées : les premiers dessins de l'humanité, les peintures d'enfants, les lignes de l'art primitif des Nègres, les lignes tracées par les fous, les criminels, les dessins des peintres contemporains et même les lignes de style nouveau dans un état hors du bons sens, produites artificiellement sous l'effet de médicaments. Je me suis promis de tracer des lignes meilleures que tout cela".
"Ils n'abandonnent jamais. Ils sont prêts à tout pour obtenir ce qu'ils veulent. Ils ont des manières passionnées de tigre si on les provoque. Ils ont cette grâce, cette mystérieuse langueur, ces mouvements magnifiques. Ils ne sont jamais pressés, jamais anguleux. Ils se meuvent en douceur, lentement, tout en courbes et en déliés." (Foujita parlant des chats)
La finesse du détail et du tracé égale la fraîcheur des pigments végétaux et minéraux similaires à ceux des drapiers japonais.
Le mouvement calme et flexible de son corps, sa façon de s'asseoir à la japonaise sur sa chaise, les genoux repliés comme une panthère, sa voix douce et basse, tout cela permet de comprendre avec quelle délicatesse et à quel point l'élément tactile agit dans sa complexion même.
Tsuguharu Fujita
Tsugu (héritier) Haru (la paix)
Fujita (champ de glycines)
Foujita a l'audace d'une époque qui engendre l'une des productions multiculturelles les plus osées de tous les temps. Ceux que l'on nomme les Montparnos, électrons libres de la nuit, sont aussi dadaïstes, surréalistes, cubistes, orphistes, ou de l'École de Paris comme Foujita. "Sans doute Montparnasse est une Babel de la peinture, s'interrogent les critiques Adolph Basler et Charles Kunstler. Mais est-ce l'École de Paris ? Y a-t il même une École de Paris?" Le label "Montparnasse" définit mieux, en effet, un temps défini par l'école buissonnière !
Jaloux de ses secrets, l'artiste n'a jamais rien dévoilé de sa technique, découverte à la faveur de campagnes de restauration en France et au Japon. Foujita applique en fines couches successives un mélange d'huile de lin, de blanc de plomb ou de Meudon et de silicate de magnésium-du talc- auquel il ajoute des pigments en très petites quantités. Cette technique, inédite en Occident, confère à la matière une opalescence unique.