Yasutaka Tsutsui

Le chef revint à la charge :
– Il y a un rapport d'enquête stipulant que des membres de la première équipe d'explorateurs sont entrés en Nunudie et ont pu observer la situation à l'intérieur. Comment sont-ils entrés, eux ?
– Mais ça, c'est parce que les Nunudiens n'avaient jamais rencontré de Terriens avant. Ils n'imaginaient sans doute pas que nous étions une espèce aussi vicieuse [...]

(…) sur les planètes où la théorie de l’évolution s’applique, il existe toujours une relation de prédateur à proie. Même les humains, qui sont le stade terminal de l’animalité, doivent fatalement se doter d’un instinct agressif, détruisant la nature et se livrant à des guerres. À l’inverse, si on crée une planète, comme ici, où s’applique la théorie de la dégénérescence et où toutes les relations seraient libidinales, on peut conserver la paix et la nature. On pourrait créer, au lieu d’un écosystème lié à Thanatos où celui qui ne mange pas se fait manger, un écosystème érotique où tous les êtres vivants s’aimeraient les uns les autres. (…) Quand je pense aux approximations douteuses du dualisme de Freud vers la fin de sa vie, moi-même je commence à me dire que ce type d’écosystème érotique a bien plus de légitimité au sein de notre univers.

Un jour, quelqu'un entrera dans ma vie. Qui es-tu ? Je te reconnaîtrai... Quand ? Je t'attendrai... Où ? Peu importe puisque je sais que tu viendras. Un jour, quelqu'un...

Il comprenait maintenant le calme soudain dans la cabine. C'était la mort qui leur avait apporté cette résignation, ce sentiment d'être soulagé du tumulte du monde, cette sérénité qu'on conquérait en s'affranchissant des désirs et des envies terrestres. Il était mort;

Il va partir et tout va disparaître, nos jeux, nos discussions, ses premiers mots d'amour... même les traits de son visage vont s'effacer...

Que tu viennes du futur ou non…
Il n’y a qu’une seule chose qui compte…
Tu restes celui que j’ai aimé.
C’est tout.

Yûzô avait ri en retraçant les circonstances de sa mort. Quelle manière ridicule de mourir, avait-il dit.
Mais, après tout, quelle manière de mourir n'était pas ridicule ? se disait Takeshi. Tout un chacun ne pensait-il pas la même chose de sa propre mort ? Les gens qui avaient accompli de grandes choses dans leur vie devaient se dire au moment de mourir que tout ce qu'ils avaient réalisé était dénué de sens.
Quand un riche mourait, il était ruiné. Même ceux qui profitaient d'une longue vieillesse en venaient à penser que vivre si longtemps ne rimait à rien.

- Quel chemin emprunteras-tu : le droit chemin ou le chemin de traverse ?
- Lequel est le plus long ?
- Les deux sont courts.

Il y avait de la colère dans sa voix. Masaru avait vu tout ce qu'elle avait souffert sans intervenir. Elle se mit soudain à le détester.

Si mes voyages m'ont appris une chose, c'est qu'il ne faut jamais refuser l'aventure quand elle s'offre à nous

Le temps serait-il revenu en arrière d'une journée ? Le matin du dix-neuf brusquement revenu au matin du dix-huit ? Non, ce n'est pas cela, sinon les autres s'en seraient aperçus également...

Mais nous sommes des hommes, et en plus nous portons des pantalons ; elles ne nous farfouilleront pas si brutalement, fit observer le professeur.

La fonction du rêve n'est pas seulement d'assurer un sommeil paisible, mais aussi de dissoudre petit à petit les douleurs de la personne.

En Enfer, il suffisait de fixer les gens du regard pour capter des moments de leur vie. Ce n’était pas une bulle explicative qui apparaissait au-dessus de leur tête, comme dans un manga, ni de la télépathie. La vérité surgissait d’elle-même comme une vision en arrière-plan de son propre esprit.

La plupart des japonais n’ont pas de religion, ni aucun substitut divin ; ils ont même perdu le respect de leur aînés. Alors dès lors qu’ils obtiennent une once de pouvoir, ils se prennent eux-même pour des dieux. On pourrait dire que l’enfer sert à se défaire de cette illusion. En fin de compte, c’est la seule différence avec le monde des vivants…

Après la journée de classe, un calme un peu triste régnait dans l’école. De temps en temps, le bruit d’une porte résonnait dans les couloirs déserts tandis que de l’autre côté de la cour, dans la salle des fêtes, quelqu’un jouait une polonaise de Chopin. Kazuko Akiyama, élève de troisième, achevait le ménage de la salle de sciences naturelles avec deux garçons de sa classe, Masaru Fukamachi et Goro Asakura.
- Laissez, dit-elle, je me charge de la poubelle, allez-vous laver les mains.
- Vraiment ? Merci.
Les deux garçons se dirigèrent vers les lavabos.

Au fait, tu es au courant de l'histoire de la pastille jaune ?
- Quelle pastille jaune ?
- Pour faire acheter aux étudiants de l'UV de littérature générale le bouquin qu'il a écrit, il leur fait coller sur leurs copies d'examen une pastille, à détacher de la couverture, sinon, il refuse de corriger. Ceux qui n'ont pas acheté le manuel sont bien emmerdés, et certains vont jusqu'à chercher dans le tas de feuilles rendues celles qui pourraient avoir deux pastilles.

Les professeurs m'en veulent parce que physiquement, je ne suis pas mal. Même si j'écris mes articles, le comité de publication trouvera toujours quelque chose à redire, et il ne les publiera pas. Quant à recevoir une subvention pour sortir un bouquin, en plus de celui de Saiki, il faut l'accord du chef du secrétariat. Non, vraiment, il vaut mieux avoir ton allure de rigolo.

Il suffit que les critiques parlent d'une œuvre pour qu'elle devienne sur le champ mortellement ennuyeuse (...) ces gens-là ne font que répéter, chacun à sa manière, les mêmes formules estampillées et homologuées par leur milieu (...) De nos jours, on nous rebat les oreilles avec les paradigmes, la parole, les métaphores, l'apocalypse, la déconstruction, la texture, la fausse lecture, le contexte, j'en passe et des meilleures. Les critiques sont les seuls à y comprendre quelque chose, puisque ce sont eux qui ont pondu ces termes, chacun pour son usage propre.

- Si j'ai bien compris, dit Kazuko, j'ai vécu une combinaison des deux phénomènes : à la fois un "saut dans le temps" et un "saut dans l'espace"...
- Je ne vois pas d'autre explication. Au moment où le camion allait t'écraser, tu as eu le réflexe de vouloir échapper au danger. C'est ainsi que tu es revenue instantanément à la journée précédente, dans l'endroit où tu te sens le plus en sécurité, c'est-à-dire ton lit.
- Mais pourquoi suis-je dotée d'un tel pouvoir ?
Monsieur Fukushima hésita avant de répondre.