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Citations de Yolande Egyed (93)


— Elle a l’air fragile.
Le murmure presque inaudible du Lieutenant Nasser Temime, n’a pas échappé à Yasmina Avataria. Le silence s’opacifie. La Commissaire, femme de peu de mots mais lourds de sens, ne quitte pas des yeux la meurtrière. Sa parole tarde à venir. Sa bouche dessine un virage forcé. Comment résister à la répugnante fascination qu’exerce Adélaïde ?
— Elle est atteinte d’un mal qui ne se voit pas.
La Commissaire ne peut qu’apporter cette réponse. On est forcément troublé du décalage entre l’atrocité des meurtres et la terrible fragilité d’Adélaïde. Tout va de travers et la Commissaire commence à avoir la migraine, elle poursuit, malgré tout.
— Observez ses mains, elle les dissimule, comme des serres implacables sur le cou de ses cobayes. Le dernier, s’est uriné dessus avant sa dissection.
Le Lieutenant Temime fixe les mains d’Adélaïde. Un vague sentiment d’irréalité flotte dans l’air. Le silence oppressant se dilate à l’infini. Une simple vitre les sépare.
De l’autre côté, se tordent des doigts osseux maculés de taches brunes. Il les imagine à l’œuvre. Seule coquetterie sur cette peau fanée, une alliance en diamant étincelle dans la pièce vide. Une table, une chaise, face à elle, la chaise de l’enquêteur, c’est tout. Nasser laisse son regard errer à la surface de ce corps chétif. Il ne répond rien à la Commissaire Avataria.
Le principe de mort est descendu froidement et sans secousse de la tête aux doigts de cette vieille dame, songe-t-il. Si on lui avait demandé son avis, les manchettes des journaux auraient titré : SURPRISE ! Au rythme d’un par mois, douze crimes affreux ont été commis à Nice, une Old Lady sous les verrous ».
Il ne démêle pas encore ce qui se passe dans sa tête. Sans y prendre garde, il arrête de respirer. Le choc, les battements de son cœur qui s’accélèrent, ses tempes, où il sent tambouriner son pouls. Sa gorge se desserre légèrement, il oublie le temps, le lieu. Le passé pénètre par effraction dans sa mémoire. Il entre dans une zone de turbulence. Dans le silence alentour, le jeune Lieutenant se souvient de cette voix. Elle susurrait des mots à son oreille. Tant de choses que son corps a mémorisé. Le retour du refoulé vient toquer à sa porte.
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La vieille est assise au bord de la chaise. Sèche comme une trique, elle éprouve la morsure de l’interrogatoire. La torture s’amplifie. Quel masochisme dans son chignon qui lui tire les cheveux jusqu’aux veines apparentes, prêtes à céder sous la pression. Translucide, la peau, comme éclairée de l’intérieur, contraste avec l’ébène de sa robe. Le corps frêle disparaît sous l’étoffe en jacquard. Les yeux regardent dans le vide, détachés de cette fureur médiatique que la présumée coupable a provoquée, presque malgré elle.
Va-t-elle s’excuser pour cela ? Compte là-dessus et bois de l’eau fraîche, lui répétait sans cesse sa nounou, quand elle était enfant.
Les mains, repliées sur elles-mêmes, voilent la vérité. Qui sait ce qu’un esprit malade cache à la face du monde ? Je pense donc je jouis. Dormez tranquille, jamais ô grand jamais, cette charmante vieille dame ne viendra sonner chez vous, vous menacer des pires outrages. Vous la regardez sans la voir, la voisine dont on découvre la mort, un jour chez elle, odeur nauséabonde oblige.
On a fait savoir qu’elle est riche à millions. La rumeur va bon train : « Une fois la criminelle incarcérée à qui va l’argent ? J’ai vu l’émission de Morandini, c’est quoi déjà le nom ? Héritage ! Oui c’est ça ! Où va le pognon ? Aux victimes je crois, vu leur nombre ! Les familles n’auront que des miettes. »
Dans cette pièce dépouillée, baignée de pénombre, Adélaïde, impassible à son propre sort, attend. Des yeux attentifs l’observent derrière une vitre sans tain. Les pensées des enquêteurs s’enchevêtrent. Le calme imprègne ses traits. S’ils savaient ce que révèle le rictus sur ses lèvres défraîchies. Le sentiment du travail bien fait. Rien ne l’atteint, personne ne l’attend. Elle se sent observée, elle éprouverait presque de la compassion pour ces pantins qui questionnent, qui répètent leur inlassable rengaine.
Bientôt, les experts se chargeront de son profil psychiatrique. "Quelle plaisanterie ! pense-t-elle. Ne voyez-vous pas que je vous méprise ? Je réprime ma joie, vous ne comprenez rien. Pauvres fous, en quête de pourquoi, de comment, de repentances peut-être, d’altération de la personnalité ou du discernement. Avez-vous peur d’apercevoir nos ressemblances ? Une madame tout-le-monde qui sait manier le scalpel. "
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Nageant dans une tenue de protection bleue, un calot stérile vissé sur la tête, les pieds protégés par des chaussons en tissu, un FFP2 collé au visage, le journaliste s’avança à pas hésitants vers le corps de la victime.
Le scalpel crissait encore sous les doigts du légiste, figeant le sang de ce pauvre Molinari. Malgré sa longue expérience, difficile de s’habituer à l’équarrissage. Il avait immédiatement remarqué l’étiquette attachée au gros orteil gauche du cadavre. Pas la peine de se pencher, il connaissait son identité.
Même si le corps était méconnaissable, le visage était intact, presque endormi. Les traits fins et réguliers du jeune homme, sa barbe taillée à la perfection, son visage très pâle, sous la lumière blafarde des néons, ignorait que son corps venait d’être ouvert en deux comme une vulgaire carcasse chez le boucher. Les chairs étaient retenues fermement par des pinces. Le légiste s’agitait au-dessus du corps, marmonnant à l’attention de son assistant, qui prenait en note :
— Les viscères sont intacts, le contenu de l’estomac indique qu’il venait de prendre un repas copieux. La température du foie est de 31°C à 12h31. La température relevée sur les lieux était de 25 °C. Le cœur de 230 grammes possède une artère coronaire droite dominante. Les vaisseaux coronariens sont neutres. Pas de signe de faiblesse cardiaque. Présence de lividités fixées à la base du cou et au niveau du torse. Un prélèvement de l’humeur vitrée de l’œil droit est pratiqué. On note une rigidité cadavérique totale. À Noter que tout y est sauf…
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Dans cette pièce dépouillée, baignée de pénombre, Adélaïde, impassible à son propre sort, attend. Des yeux attentifs l’observent derrière une vitre sans tain. Les pensées des enquêteurs s’enchevêtrent. Le calme imprègne ses traits. S’ils savaient ce que révèle le rictus sur ses lèvres défraîchies. Le sentiment du travail bien fait. Rien ne l’atteint, personne ne l’attend. Elle se sent observée, elle éprouverait presque de la compassion pour ces pantins qui questionnent, qui répètent leur inlassable rengaine.
Bientôt, les experts se chargeront de son profil psychiatrique.
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C’est étrange, je me sens prise de sauvagerie envers tout ce qui paraît avoir peur de moi. Vous ne connaitrez jamais ce sentiment de puissance quasi mystique que je ressens, quand un corps émet son dernier soupir. S’ils pouvaient tous mourir ! Moi, j’ai perdu la faculté de jouir de leur destruction. Je suis déjà morte, on ne tue pas deux fois un être. »
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Pour certains, j’aimais faire durer leur agonie, le banquier adepte du SM m’a follement amusée. Je lui ai réservé un traitement spécial, idem pour le ministre pédophile, un juste retour des choses me semblait-il. Ils n’auraient jamais été inquiétés. Je les ai maintenus longtemps entre la vie et la mort, il en faut de la dextérité et de la maîtrise ! le poison m’aide beaucoup, le bon dosage, pour anéantir leur défense, en les ligotant ensuite.
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Mon premier meurtre, ma première fois, j’ai été retournée, l’odeur m’a dégoutée, j’ai été malade, j’ai eu du mal à m’en remettre. Seulement le bouton était enclenché. La frontière était franchie. J’avais fait quelque chose que je ne pouvais défaire.
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Tous les enfants sont solitaires. Mon père me manque, mon mari me manque. Il n’y a que lui qui pouvait me protéger de moi-même. J’ai eu le goût de la vivisection très tôt, peut-être douze ans. Ma mère versait dans l’occultisme, pas trop le choix si je voulais garder le contrôle. Mes fantasmes ont toujours été à caractère sexuel.
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Laissez -moi vous rafraichir la mémoire. Il y a plus de treize mois, presque jour pour jour, sur le boulevard Carnot à Cannes. L’homme que vous avez renversé en voiture sans vous arrêter. Vous l’avez laissé pour mort sur la route, comme un chien ! On doit bien mourir de quelque chose n’est-ce pas monsieur Conforti !!
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Seuls les détails des différents crimes le renforcèrent dans l’idée que la fin était proche. Il espérait encore un miracle ou au moins que ça aille vite. C’était donc elle, le modèle féminin et contemporain de Jack l’éventreur.Mais pourquoi moi ?? Je ne le mérite pas ! J’ai encore tant de belles choses à vivre. Santa Maria, pensa-t-il.
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Le rire de son père, l’humour et l’indulgence de sa grand-mère qui pardonnait toujours ses bêtises. Ce qui terminait d’agacer sa belle-fille. Il se rappela l’odeur alléchante des gnocchis, la pâte malaxée avec amour et la sauce tomate préparée avec les trésors du jardin, l’odeur piquante du basilic.
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Nous sommes dans un lieu très isolé et je crains qu’il soit impossible de vous porter secours. Si vous prêtez l’oreille, vous pourrez entendre le chant des oiseaux.
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Son cerveau encore embrouillé n’arrivait pas à fixer son attention, et ordonner ses pensées lui était tout simplement impossible. Au prix d’un effort surhumain, il tenta de se relever et se rendit compte que ses chevilles et ses poignets étaient entravés par des liens solides. Il ne se souvenait pas d’avoir participé à une soirée SM, d’autant plus que l’endroit ne ressemblait en rien aux antres consacrés à ce type de plaisirs. Non évidemment non. Quoi alors ?
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Adélaïde attendait son heure, patiemment, telle une araignée tissant sa toile. Bien qu’à ses yeux, elle s’imaginait davantage comme une petite abeille laborieuse, ne se détournant jamais de sa mission, capturer Roberto Conforti. Elle se doutait de sa venue. Trop de flash et trop de fumée pour tenir éloigné plus longtemps le jet setter italien, avide de bling- bling et de starlettes. Après tout, il était temps de retrouver le chemin de la luxure.
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N’oublions pas le nerf de la guerre, l’argent. L’acte gratuit semblait exempt de cette manifestation. Des récompenses étaient attribuées aux différents artistes. Ces derniers départagés par le public via un vote sms (surtaxé), laissait supposer une pseudo- influence du téléspectateur. De fait, cette manne financière permettait aux majors, ayant l’exclusivité de la retransmission en direct, d’engranger de très lucratives rentrées d’argent. Animé par le présentateur vedette Nicolas Zarkis, tout semblait converger vers un nouveau record d’audience. Les coulisses, tel un paradis pour n’importe quel fan, donnaient lieu à des interviews exclusives, prises sur le vif,  dont Madonna, James Blunt, Rihana, Louane, M.Pokora, ou Mika, se prêtaient volontiers.
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En France , on juge les tueurs en série pour un fait ou deux faits, puis on abandonne les poursuites et les recherches parce que on ne sait pas rentrer dans leur fonctionnement. Il faut un pôle national avec des juges spécialisés de par leur expérience comme on le voit par exemple, pour le pôle du terrorisme. Il faudrait des magistrats aguerris dans les cold case mais aussi des enquêteurs et peut-être des avocats derrière. Cela éviterait les nombreuses zones d’ombre qui planent sur ce type de dossier. Parce qu’on saura traiter ce phénomène-là, on saura interroger ces tueurs en série, on saura aller vite et trouver les indices. On appelle à la création de ce pôle national depuis plus de vingt ans avec Maître Didier Alexandre, mon associé dans cette affaire. On doit soutenir les familles et les guider. L’ horreur a environné la vie si courte de Roberto Conforti. Quelles ont été ses dernières paroles ? Comment percer ce mystère?
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Quand on ne vit que de vengeance et de haine, voilà le résultat. La terreur que lui inspire Adélaïde le rend cruel. Il l’imagine sans cesse attacher à une chaise, à la place de son fils, lui rendre les coups subis par la chair de sa chair, œil pour œil, dent pour dent. Lui enfoncer son poing dans la gorge, lui faire rendre l’âme, refermer ses doigts sur son cou, sentir sa peau devenir glace. S’accrocher à ces tortures imaginaires l’ont sauvé du suicide.
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Un vieil homme, conscient de la manière intense dont on le regarde, attend, assis entre ses deux avocats, il s’inflige le silence. Il est mû probablement par un surcroît d’émotion mais aussi par la considération qu’il accorde à ces deux ténors du barreau. Les défenseurs de la partie civile sont réputés pour leur artillerie vocale envers les carences de la justice française.
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Son visage aussi rond qu’un melon et quelque peu empâté marquait deux petits points rouges, signe d’une vive émotion et son teint habituellement olivâtre parut soudain très pâle. Ses narines se mirent à palpiter, elle s’agita sur son fauteuil, quand la maîtresse de maison déposa un gâteau sur la table basse. L’odeur veloutée du chocolat se diffusa dans la pièce, terminant de rétablir la commère.
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Il faut différencier la magie de la science au risque d’un impossible deuil. Les morts ne reviennent pas, quand l’heure sonne, on s’incline.Depuis l’accident qui avait coûté la vie à son conjoint, Adélaïde devait supporter les fréquentes visites de ses voisines, aussi fielleuses qu’obséquieuses.
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