Citations de Émile Bayard (130)
N'était le dépit d'avoir été dupé et parfois, coûteusement, on ne devrait logiquement n'en vouloir qu'à soi-même d'une mauvaise acquisition, car le sincère désenchantement esthétique ne peut provenir d'une révélation matérielle.
Le mirage de l'antiquité, en matière d'art, a souvent nui à la qualité de l'amateur qui, très souvent, a passé dédaigneusement devant la beauté de son temps pour se pâmer sur des ruines sans valeur. Le critérium esthétique de certains amateurs est, ainsi, borné au moindre délabrement, à la moindre poussière des temps, plus ou moins vénérables, selon l'artifice.
Malgré que, logiquement, le maquillage soit réservé au mensonge de la vieillesse, d'aucuns ne sauraient se contenter de la jeunesse sans fard, et c'est ainsi que l'artifice se venge cruellement de l'ignorance ou de son aggravation pédante: le snobisme, en présentant du faux vieux.
Tous les châteaux de la Loire font encore partie de la tradition des grands constructeurs corporatifs purement nationaux, tandis qu'à partir du XVIIe siècle apparaissent les architectes d'académie. C'est alors l'avènement des édifices à armature et à chaînage comme le Louvre. Que nous voilà loin de la savante combinaison des coupes de pierre au moyen âge! Qu'est devenu, de nos jours, la pratique éminente de la stéréotomie à laquelle nous devons tant d'incomparables arcs, voûtes et voussures, tant d'extraordinaires assemblages et appareils, grâce auxquels le maître d'oeuvre d'autrefois émerveillait à la fois d'art et de science ?
La maison, en revanche, sans cesse entretenue, restaurée, cumulant la brique, la pierre et autres revêtements calcaires, avec une charpente apparente et des boiseries (ces derniers matériaux protégés par divers enduits et peintures), doit aussi à son immobilité d'être préservée à travers les âges. Mais encore il y eut des maisons entièrement en bois (comme d'autres strictement en pierre), dont plusieurs demeurées aujourd'hui valides, et cela nous offre une occasion de présumer l'action protectrice de l'air, conjointement aux précédents moyens de garantie.
Le meuble, d'autre part, facilement remplaçable (en principe, car le mobilier ancestral, de par son poids s'avérait plutôt réfractaire au dérangement), ne devait guère nous parvenir que par sélection de qualité artistique et matérielle. Les modèles précieux étant davantage sauvegardés, — contre le volet les guerres religieuses,— et soignés, la valeur de leur sculpture, de leur bois et de leur construction, les attribuant au château ou à la cathédrale, antichambre du musée, tandis que le bourgeois et le paysan ne se partageaient qu'un mobilier courant, ou commun dont nous ne trouvons plus guère de traces.
Le mobilier étant solidaire de l'architecture, — son expression réduite, — nous conseillerons au lecteur d'envisager parallèlement l'étude du meuble
et de l'architecture.
Si le mobilier a presque disparu à travers les avatars des temps très éloignés, les monuments du passé le plus lointain, grâce à leur matière davantage robuste, nous ont laissé souvent un témoignage tangible qui nous permet de rêver, au moins décorativement, sur un mobilier primitif disparu.
... C'est dans une toile d'araignée qu'il aime à étudier la géométrie; les traces laissées sur la neige par la patte d'un oiseau lui fournissent à souhait un motif d'ornementation; et lorsqu'il cherche à rendre les inflexions d'une ligne sinueuse il ira infailliblement s'inspirer des capricieux méandres que la brise vient dessiner sur la surface des eaux. En un mot, il est persuadé que la nature renferme les éléments primordiaux de toutes choses et, suivant lui, il n'existe rien dans la création, fût-ce un infime brin d'herbe, qui ne soit digne de trouver sa place dans les conceptions élevées de l'art.
Les Japonais sont les plus grands décorateurs du monde parce qu'ils n'ont point vu les choses comme elles sont, mais comme ils les voyaient. On pourrait aussi associer à cet éloge et à cette optique surnaturelle les Égyptiens, les Assyriens, les Perses, qui, s'ils furent, chronologiquement, des primitifs, sont singulièrement, en revanche (avec les Chinois), les inspirateurs de notre art décoratif moderne !
Contrairement à tant de pays, le Japon n'a demandé ni à Athènes, ni à Rome ses directives créatrices; il a fondé son génie sur place, à peine irradié de celui des autres (si l'on excepte la Chine); son art a atteint au sommet de la personnalité par des voies spirituelles et rationnelles qui ne doivent rien à la plasticité conventionnelle et humaine.
Au vrai, l'art japonais, réfractaire au progrès européen, à son idéal, s'est cristallisé dans son soi, de toute la force des aspirations de son peuple, de son sol et de son climat; en un seul mot, de toute la ténacité de son caractère essentiellement traditionaliste.