Un peu plus tard, couché sur le dos et fixant le plafond sombre, je me suis demandé quelle influence ces années-là avaient pu avoir sur des garçons comme moi. Alors que nous devions devenir adultes dans les années cinquante, soixante, soixante-dix. Nos écoles, nos études, notre premier emploi, tout ça en Pologne populaire! Alors qu'il nous fallait exister entre deux mondes, celui créé par les slogans des journaux, par les ouvrages falsifiés, le mensonge, la contrainte. Et le monde de tous les jours, celui des conversations à table, des opinions des parents, des amis et de toute la famille. Nous nous rendions compte qui'l fallait vivre ici et là en même temps. Parler deux langages. Ne pas se pencher au-dehors. Ne pas dire trop de vérités. Sans cette schizophrénie, impossible de vivre. Cette façon dédoublée de penser, de dire une chose ici et une autre là, n'avait-elle pas formé mon caractère, ma mentalité? Cette attitude de caméléon? N'avait-elle pas pesé sur mon comportement dans les années cinquante, lorsque j'avais traité Mirka avec tant d'insouciance?
Assez de justifications. J’ai décidé d’éclaircir cette histoire. Je vais partir à la Lagune. Je retrouverai bien quelqu’un de la famille Lachowicz. S’ils habitent encore là. S’ils sont encore vivants. Je demanderai aux voisins, aux parents, aux connaissances. A n’importe qui se souvenant de cette époque et qui saurait quelque chose. Peut-être que je tomberai sur des papiers administratifs, un acte de naissance, un acte de baptême. Il y avait bien une église. Il y avait un bureau d’état civil. Je connaîtrai les noms de père et mère, je saurai si cet enfant est réellement venu au monde. Je verrai de mes propres yeux. Même si, d’un autre côté, je me rends compte que tout ceci n’est que traces sur le sable. Tu marches le long de la plage, les vagues s’approchent, reculent, les empreintes de tes pieds sont effacées derrière toi. Tu ne vois plus que les galets qui roulent.