AU PREMIER DE CES MESSIEURS
De juillet ou d'août mil neuf cent un
Maudite soit la seconde
Où la gouttelette de sperme de mon père
Atteignit l'ovaire de ma mère
Je me rétractais déjà et je criais NON
* Le sucre du printemps
Le printemps séreux
& ses roses sérieuses
- mais y eut-il des roses
aux magasins du Printemps? -
la série des seringats
& la seringue des sourires
la glu de tous ces fœtus
le resserrement des serments
& la sérénité des serins
la séquence des lys
& la séquanelle de leur pénis asiniens
les pommiers en fleurs
les sommiers en fureur
& l'antique serpent que fait lever
Hêve sur son chemin
les muguets les campanules
tout ça cloche.
Le décor est trop vieux
& trop vieille est la farce.
Glycines et cytises passent encore
avec les passiflores
& même les passades.
Mais les cloportes jouent aux âmes
les ruisseaux spiritent
les clochers cogitent
les saprophytes affroditent
& les colombes merditent
sur le retour de l'âge.
Les endocrines de ce printemps emprunté
sécrètent trop de psychologie.
LE PREMIER RÉDIMÉ
Le nommé Barabbas sort de prison
Il est libre
Le voilà qui s'enfonce à travers les déserts d'épines,
À travers la léthargie des eaux-mères,
À travers le quadrille des quolibets simiesques;
Il oblique devant les quinconces en œufs durs coloriés
L’épigastre mordu par le souvenir du fouet,
La nuque humiliée par le poids des senteurs de la mort,
Tandis qu'à chaque endroit où son pied se pose
Un petit jet d'eau fuse sans bruit,
Il avance tournant le dos aux hommes
Barabbas
Mendiant chassé de son lit de noces à coup d'épieu.
En lui des images pourpres surgissent et se culbutent,
Quelque chose d'indiciblement pénétrant
S'irradie peu à peu jusqu'au zénith de son être
Comme la lumière de l'aube force le blockhaus des paupières;
Et puis voilà que par-derrière une sorte de regard
Le poignarde lentement entre les épaules
Et que sous chaque caillou
Une petite voix dure l'appelle par son nom
Bar Abba
Le Fils du Père.
(La Lampe Obscure)
HELLAS
Lamente alitée le froid de l'amour.
L'amante alitée : l'effroi de l'amour.
L'âme en ta litée : la foi de l'amour.
La mentalité : la foi de la mort.
La menthe à lit est l'effroi de la mort.
Lamenta, lit et... le froid de la mort.
La littérature de l'impuissance va se développer sans mesure.
Seuls les rabâcheurs peuvent s'obstiner encore dans la description "saine" et la prédication "optimiste", lessives béates de l'ennui.
On va donc voir du nihilisme en gros et en détail, du roman psychologique à résonances pessimistes (pour faire profond), de la philosophie désespérée, du Dostoïevski retapé, et même divers repêchages du péché originel..., sans compter les postulats (mal avoués et mal inavoués) de Dada et des autres...
Malheureusement, Lautréamont a passé par là. Après la formidable purge qu'il a flanquée à l'humanité, tous ces petits laxatifs clystérieux sont assez anodins. En annihilant la "bonne" littérature, il n'a pas négligé de rendre l'autre inutile.
Avec le raffinement diabolique d'un apparent retour aux raisons de la raison (qui perdent une fois de plus leur pauvre sens), ses Poésies coupent tous leurs effets aux futurs écrivains "noirs" et aux innocents qui voyaient (et voient encore) en Maldoror un pessimiste romantique. C'est le poing qui écrabouille l'i de la droiture à face naïve ! Plus de retraite. Et pas de clé de Lautréamont; car Lautréamont n'est pas une porte (même de sortie): quand la maison saute, il n'y a pas à la fermer ou à l'ouvrir.
(Euphorismes)
LE DEVOIR DES VICTIMES
La toile cirée se lève
Sur L'Acte Zéro du Drame
Condamnés à mort, pelotez les guillotines en soutien-gorge
Dressées sur des soucoupes !
François-Donatiens, raffinez le suc des crèmes fouettées
Dans les châteaux mollets de la Rostopchine !
L’exécution capitule
Éclairant sa dent creuse d'un mégot à vif
Le cœur coincé entre l'omoplate et la glande pinéale
A travers les socs morts
Et les escouffes de la barbe d'Adam
Sous les coups de feu de la sentinelle
(très vite) Le loulou loue l'août lourd.
(L'accès aux mots)
ANTIQUES
Olympie, ô l'impie,
je rêve aux rives
de la saine Seine
Qui vive ?
Il y a des pies
à Olympie.
Les pies prient
les aines saines
loin des arbres
Les impies expient
le bris des débris
dans les abris des marbres
Au bruit des bris
les pies pépient et fuient
dans les arbres
Les rives des aines
rivent leurs plis
sans haine.
(Le Voyage en Grèce)
Ce n'est pas la lumière qui m'attire, mais l'ombre qui me pousse.