Le 1er août, un mardi de 1944, le temps était couvert, humide, il ne faisait pas très chaud. Je suis sorti à la mi-journée sans doute dans la rue Fraîche (ma rue à l'époque, au numéro 40), et je me souviens qu'il y avait de nombreux tramways, des voitures et des gens et, à peine dehors, au coin de la rue du Fer, j'ai pris conscience de la date - le 1er août - et des mots ont dû me venir à l'esprit :
"1er août - fête des tournesols."- J'ai le souvenir d'être tourné vers la rue Fraîche, du côté du marché de Kercelak. Mais pourquoi l'association avec les tournesols ? Parce qu'en cette période ils sont en fleurs, éclatent même en mûrissant...Que j'étais alors plus ingénu et sentimental, ni cynique ni blasé, que les temps étaient naïfs, premiers, plutôt insouciants, romantiques, clandestins, des temps de guerre...Donc - la couleur jaune devait y être pour quelque chose - Une lumière de mauvais temps mêlée de soleil qui rebondissait sur les tramways rouges, comme cela arrive à Varsovie.
(...)
Ainsi, ce 1er aout, peut-être vers deux heures, maman m'avait dit d'aller chercher du pain chez la cousine de Teik ; on manquait de pain et elles avaient un arrangement entre elles. Je suis parti. Et je me souviens qu'au retour il y avait beaucoup de monde et déjà une grande confusion. On répétait :
- Ils ont tué deux Allemands rue des Jardins.
(...)
Quelqu'un avait vu des milliers d'hommes à cheval (des nôtres) entrer à la hauteur du 11, rue de Mazovie.
(...)
Il était encore tôt, nous faisions des allers-retours entre la rue du Fer et Walice.
(...)
Nous entrons donc chez Irena. Il n'était pas encore cinq heures. Nous bavardons, et brusquement c'est la fusillade. Puis comme des armes plus lourdes. On entend des canons de toutes sortes. Et un cri :
- Hourraaa...
- L'insurrection - ce que nous avons tout de suite pensé, comme tout le monde à Varsovie.
Autoportrait ressenti
Ils me regardent
donc j’ai sans doute un visage.
Parmi tous les visages connus
c’est le mien dont je me souviens le moins.
Fréquemment mes mains
vivent en absolue séparation.
Peut-être je ne devrais pas les considérer miennes ?
- - -
Où sont mes confins ?
- - -
Finalement je suis envahi
par du mouvement ou une demi-vie.
Cependant toujours
quelque chose rampe en moi
avec complétude, incomplétude,
étant pour moi une existence.
Je transporte avec moi
un peu de mon propre
lieu.
Quand je le perdrai
cela signifiera que je n’existe pas.
- - -
Je ne suis pas
donc je doute pas.
/Traduit du polonais par Jean-René Lassalle, avec l’aide de l’édition allemande de Dagmara Kraus.
Eminences grises de l’extase
Extrait 1
Comme je me réjouis
que tu sois ciel et kaléidoscope
que tu recèles autant d’étoiles artificielles
que tu brilles ainsi en ostensoir de lumière
quand je soulève le vide
de ton hémisphère
autour des yeux
à l’intérieur de l’air.
Comme tu es peu maniérée dans ta splendeur,
passoire métallique.
...
/Traduction du polonais par Jean-René Lassalle, avec l’aide de l’édition allemande de Dagmara Kraus
Eminences grises de l’extase
Extrait 2
Le poêle aussi est beau :
il a ses jointures et carreaux
il peut être décoloré
argenté
grisé – ensommeillé
quand en particulier
il mixe les éclairs
ou quand il décline
et avec l’entier rythme de ses inexactitudes
dans les cloches fondues
du fond de la blancheur
se décompose en les éléments
de monumentales parures.
/Traduction du polonais par Jean-René Lassalle, avec l’aide de l’édition allemande de Dagmara Kraus
la mort
trivialise tellement
déverrouille sa dégoise
nimportequoise le corps
et si l’on pouvait savoir
qu’il gît
on arriverait à voir
pas dès le début
lamort lamort
il y en a tant d’elle
qu’on perd le goût
de l’orgueil à mourir
/Traduction du polonais par Jean-René Lassalle, avec l’aide de l’édition allemande de Dagmara Kraus