PÉTRONE Une vie, une uvre : vers 27-66 ap. J.-C. (France Culture, 2000)
Émission "Une vie, une uvre" diffusée le 4 juin 2000 sur France Culture. Avec : Florence Dupont, Paul Veyne, Thierry Éloi, René Martin, Françoise Quignard, Philippe Moreau.
Mais une récidive simple ne contenta pas cet éphèbe déjà mûr pour l'amour et que l'ardeur de la jeunesse rendait impatient . Il me tira donc de mon sommeil : « Eh quoi dit-il , vous ne demandez plus rien ! ... » . Je n'étais pas fourbu au point que sa proposition pût me déplaire . Me voilà donc suant et soufflant qui m'évertue à lui donner satisfaction après quoi, las de jouir, je repris mon somme .
« Mais une heure ne s'était pas écoulée qu'il se met à me pincer en disant : « Pourquoi pas encore une fois ? » Alors moi, trop souvent réveillé, je lui réponds , furieux , en lui resservant ses propres menaces : « Dors donc, ou je dis tout à ton père ! «
Le Satyrion , II, 88 ,
Je ne sais comment, mais le génie a pour sœur la misère.
A voir marcher quelqu'un, on connaît sa pensée.
Le Satiricon
Passons la nuit à humecter la lune et buvons jusqu'à l'aurore.
Il ne convient pas de se fier beaucoup aux projets que l'on forme, parce que la Fortune a ses voies à elle...
" Ces songes, légers fils de l'ombre et du sommeil, Que la nuit a formés, que détruit le réveil, N'annoncent point du ciel les avis fatidiques : L'homme à ses souvenirs doit leur jeux fantastiques".
Cela tournait au comble de l'ignoble, lorsque Trimalchion, alourdi par une ivresse immonde, dit de faire entrer de nouveaux artistes, et, appuyé sur de nombreux coussins, il s'allongea sur le bord du lit, puis : "Imaginez vous, dit il, que je suis mort. Jouez moi quelque chose de bien". Les joueurs de cor se mirent à jouer une marche funèbre.
Nous en étions à ces magnificences, lorsque Trimalchion lui-même fut apporté au bruit d'une symphonie, et déposé sur un amas de petits coussinets. Quelques étourdis éclatèrent de rire. Figurez-vous un capuchon de pourpre d'où s'échappait une tête rase, et autour d'un cou empaqueté une serviette jetée en laticlave, franges pendantes deçà et delà. Il avait aussi au petit doigt de la main gauche une énorme bague dorée, et à la dernière phalange du doigt voisin une plus petite, et, à ce qu'il me parut, tout en or, mais constellée d'acier. Non content d'étaler ces richesses, il mit à nu son bras droit, orné d'un bracelet d'or dont un cercle d'ivoire coupait les lames éblouissantes.
Puis, après s'être fouillé la mâchoire avec un cure-dent d'argent : - Mes amis, nous dit-il, je ne me sentais pas encore en goût de vous rejoindre ; mais mon absence vous eût fait languir, et j'ai coupé court à tout amusement. Vous permettez pourtant que je finisse ma partie ? - A deux pas était un esclave avec un damier de bois de térébinthe et des dés de cristal ; et je vis la chose du monde qui annonçait le meilleur goût : au lieu de dames blanches et noires, il avait des deniers d'or et des deniers d'argent. Tandis qu'en jouant il épuisait le vocabulaire des artisans de la dernière classe, et que le premier service nous occupait encore, un plateau fut apporté avec une corbeille où était une poule de bois sculpté, dont les ailes s'étendaient en cercle, à l'instar des poules couveuses. Aussitôt deux esclaves s'avancent, et au son des instruments se mettent à fureter dans la paille : ils en tirent un à un des œufs de paon qu'ils distribuent aux convives. A ce petit jeu de scène, Trimalchion se retourne : - Mes amis ! ce sont des œufs de paon que j'ai fait mettre sous cette poule. Et, pardieu ! je crains qu'ils ne soient déjà couvés : essayons pourtant s'ils se laissent encore avaler. - Chacun reçoit une cuiller qui ne pesait pas moins qu'une demi-livre, et nous brisons ces œufs figurés en pâtisserie. Pour mon compte, je faillis jeter le mien, pensant déjà y voir le poussin formé. Puis comme j'ouïs dire à un vieux parasite : «Il doit y avoir là-dedans quelque bonne chose !» j'achevai de casser la coquille, et je trouvai un succulent bec-figue, enveloppé d'une farce de jaunes d'œufs poivrés.
O misère ! ô pitié ! que tout l'homme n'est rien !
Qu'elle est fragile, hélas ! la trame de sa vie !
Tel sera chez Pluton votre état et le mien :
Vivons donc, tant que l'âge à jouir nous convie.
IV. CONTRE L'AMBITION DES PARENTS
Au fond, ce sont les parents qui sont les vrais coupables : ils ne veulent plus pour leurs enfants d'une règle sévère, mais salutaire. Ils sacrifient d'abord, comme le reste, à leur ambition, ces fils, leur espérance même, puis, pour réaliser plus vite leur rêve, sans leur laisser le temps de digérer leurs études, ils les poussent au forum : cette éloquence, à laquelle ils savent pourtant bien que rien n'est supérieur, ils prétendent la réduire à la taille d'un enfant à peine sevré.
Que les parents aient la patience de nous laisser graduer les études les jeunes gens pourront travailler sérieusement, mûrir leur goût par des lectures approfondies, faire des préceptes des sages la règle de leur pensée, châtier leur style d'une plume impitoyable, écouter longtemps d'abord ce qu'ils aspirent à imiter. Dès lors ils n'admireront plus rien de ce qui n'éblouit que l'enfance, et l'éloquence, jadis si grande, aura recouvré sa force, sa majesté, son autorité.
Mais aujourd'hui, à l'école l'enfant s'amuse ; jeune homme, on s'amuse de lui sur le forum, et, ce qui est encore plus ridicule, après avoir fait ses études tout de travers, devenu vieux, il ne voudra pas en convenir.
http://remacle.org/bloodwolf/roman/petrone/partie1.htm