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    Nye le 13 janvier 2020
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    Je m'appelle Léocadie. Je voudrais laisser mon témoignage, pour ceux qui viendront après. Ils seront sûrement de moins en moins nombreux, mais ils voudront comprendre. Savoir comment ma génération les a privé d’un monde accueillant, de la possibilité de rêver, de la chance de faire des projets. L'idée ici n'est pas vraiment de vous parler de moi, mais de comprendre comment tout est parti en vrille. A quel moment nous aurions dû réagir.
     
    Il commence à faire froid. Je devrais allumer un feu. Il y a un certain temps maintenant que je suis installée ici, au bord de l'océan. Dans un vieille cabane de pêcheur sur la plage. A une époque, j'aurais rêvé de cette vie. Un retour total à la nature, au dénuement... Un idéal de vie saine ! Des millions de citadins stressés et hyper-connectés auraient payé très cher pour vivre ça pendant un de ces weekends "détox" qui faisaient fureur. Pour revenir à la cabane de pêcheur, c'est une expression bien sûr. Ca fait bien longtemps que l'océan n'a pas vu de pêcheur, et depuis récemment il n'y a plus non plus un seul bateau, qu'il soit pour le transport ou les marchandises. Enfin plus de bateau qui naviguent comprenons-nous bien. Parce que rien que de ma fenêtre je vois au moins trois épaves. Couchées sur le côté. Échouées en attendant d’être dévorée par l’océan. Au début, lorsque les gens voyaient un bateau couler près des côtes, il y avait toujours des volontaires pour essayer de s’en approcher, aider d’éventuels survivants. Mais très vite, plus personne n’a voulu tendre la main à son prochain et chacun attendait que la marchandise, nourriture ou objets divers, soit livrée directement sur la plage. Ca c’est le Amazon Premium de notre époque. Les cadavres aussi sont déposés sur la plage par le ressac, mais tout le monde s’en fout depuis longtemps. Moi ça me dégoûte toujours autant.
     
    Ca devient compliqué pour certaines personnes de trouver de quoi subvenir à leurs besoins de base. Mais s'ils ont tenu jusqu'ici, c'est qu'ils ont déjà de bons réflexes. Ils s'en sortiront. De toute façon nous n'avons pas le choix. Je n'ai pas le choix. Je n'ai pas que moi à nourrir. Camomille doit manger. Camomille c'est mon chien. Elle m'aide à m'endormir, d'où son nom. Je l'ai trouvé dans une poubelle. Littéralement. A l'époque où les gens ont commencé à comprendre qu'il ne valait mieux pas s'encombrer des plus petits que soi. Vous me direz, c'est aussi à ce moment qu'on a commencé à trouver des enfants dans les poubelles. Pour moi c'était Camomille. Comme j'essaye de me tenir assez éloignée des autres, on est très proches toutes les deux. Elle est immense et franchement effrayante si elle veut. Elle les tient à distance. C'est le couché de soleil sur la plage en ce moment. C'est superbe. C'est pour ça que j'ai choisi de venir ici quand tout a dérapé. Pour ça et parce qu'il saurait me retrouver ici.

    Lui. On s'est rencontré à l'école primaire. Il était le petit rigolo de la classe mais aussi un vrai petit génie. On était copains, mais il l'était avec tout le monde. On s'est perdu de vue rapidement, quand il a sauté deux classes pendant que moi je traînais lamentablement dans un scolarité molle et ennuyeuse. L'histoire de nos retrouvailles est un peu cucul mais bon. Quelques jours avant mes vingt ans, pour me changer les idées, et surtout par curiosité, j'ai accepté une invitation sur un énième réseau social : une soirée d'anciens élèves pour le départ en retraite de notre instit. La seule qui ne m'avait pas traumatisée. A peine arrivée, je regrettais déjà d'être là : ils avaient tous l'air de sortir d'écoles de commerce et avaient probablement une idée très précise de leur avenir, des récits glorieux de leur passé. Pas étonnant, puisque notre école était privée. Mes parents s'étaient endettés pour m'y envoyer. Avec le résultat qu'on sait. Comme dans un mauvais film de l'après-midi, j'étais sur le point de m’éclipser discrètement quand il m'a interpellé pour me dire bonjour. Et puis bon, tant qu'à être dans un mauvais film, on ne s'est plus jamais quittés. Il aurait pu être ce qu'il voulait. Il a choisi d'être prof de philosophie. Il voulait amener la lumière dans la tête de la génération d’après. Vu l'époque, c'était très noble de sa part. Peine perdue si vous voulez mon avis, mais noble. A ce moment, il y avait déjà les premiers signes et personnes ne voulaient les voir, y compris nous. On voulait juste être ensemble et "construire notre vie" comme disaient nos parents. Alors on a construit ce qu’on a pu.
     
    Les signes. Je ne saurais dire quand les premiers signes ont commencé. Je ne sais pas non plus si j'ai fini par trouver tout ça inquiétant parce que je devenais adulte et angoissée ou si objectivement la réalité commençait à tous nous rattraper. La politique ne m'intéressait pas. A vrai dire ma seule véritable opinion politique était que la politique était une énorme arnaque, une chape de plomb sur la vie des gens, leur possibilité à s'autodéterminer. Par extension je ne regardais jamais les infos, alors peut-être que j'ai mis un peu de temps à coller tous les morceaux : La baisse des naissances, l'invasion des rats dans la Capitale, les gouvernement extrêmes qui poussaient un peu partout dans le monde, ou encore nos façons de nous nourrir, nous pays riches... Nous aurions dû faire les liens, alerter, hurler, forcer les gens à voir. Parce qu’en le voulant ou non, nos modes de vie allait être complètement pulvérisés. A cette époque, notre vie à deux atteignait la perfection. Je me souviens d'un jour en particulier. Celui que les historiens identifieront certainement comme le jour où tout a commencé. A ce moment Alex avait été muté dans un lycée de province et j'avais réussi à trouver un boulot de serveuse dans un salon de thé. La vie était douce et nous commencions à parler de bébé. C'était l'hiver, Noël arrivait et j'étais chargée de décorer le salon de thé avec des petits pères Noël, des guirlandes rouges et blanches, des boules, des sucres d'orges... Créer une ambiance de fête pour faire oublier aux gens que le monde allait de plus en plus mal. Et ça marchait. Je ne pensais plus qu'aux cadeaux, au menu du réveillon et aux pulls moches que je forcerais ma famille à porter. La radio était allumée, et ce matin-là, avant l'ouverture, j'avais exceptionnellement choisi une radio d'info. Depuis quelques jours, on parlait dans les médias d'un nuage radioactif qui se baladait au-dessus du pays. Personne ne savait d'où cela venait. Un pays plus à l'Est qui aurait "oublié" de parler d'un incident dans une centrale ? Terrorisme ? Savant fou ? Toutes les extrapolations étaient permises. J'écoutais donc d'une oreille un spécialiste nous expliquer à quel point tout cela était bénin, que le nuage était très haut et très diffus... Enfin bref, braves gens, continuez à vivre et consommer sans vous inquiéter. Joyeux Noël. Et puis, le journaliste a interrompu son intervenant pour un flash info : une bombe H venait d'être largué sur une quelconque dictature par les États-Unis. La capitale du pays avait été rasée. On évaluait les dégâts à plusieurs milliers de morts. Le dirigeant complètement taré de ce pays avait menacé de répliquer... Ce qu'il fit trois jours plus tard sur un pays allié. Nous venions de rentrer dans une guerre nucléaire. Et mes mains tremblaient, serrées autour d'une guirlande lumineuse. Je me souviens avoir passé la journée en mode zombie. Je servais des clients hébétés, eux-mêmes sonnés par la nouvelle, inquiets, les yeux dans le vide ou collés à leur smartphones. La nature humaine est étrange : le premier réflexe des gens après avoir reçu une telle information avait été de venir boire un thé vert en mangeant un muffins aux myrtilles. La mienne, non moins étrange avec le recul, avait été d'ouvrir la boutique comme si de rien n'était et de faire ma petite journée en m'agaçant ou me réjouissant des choses du quotidien comme un jour normal. Parfois lorsque le choc est trop grand, le cerveau se raccroche à des informations futiles mais familières : une tasse ébréchée que je dois penser à remplacer depuis plusieurs jours, la météo, la machine à cartes bleues qui bug... Ce n'est que le soir en arrivant chez nous que j'ai réalisé : il se passait quelque chose de grave. Cette fois-ci qu'on le veuille ou non l'info ne durerait pas la quinzaine de jour réglementaire. Cette fois-ci cela aurait un impact sur notre vie, nos aspirations, notre avenir, notre liberté, nos choix. Jusqu'ici, les guerres dans des pays lointains, les millions de concitoyens qui vivaient dans la pauvreté extrême, les réfugiés qui sombraient en mer, les épidémies sous les tropiques, les purges ethniques, le retour de la traite d'êtres humains... Il faut être honnête, rien ne nous touchait, nous, les privilégiés. Nous entendions tous les jours des horreurs aux infos au moment de passer à table, et complètement indifférents on échangeait des "passe-moi le sel", ou des "j'ai pris rendez-vous pour les pneus neige". Moi la première, je pouvais fondre en larmes pour un hérisson écrasé devant chez moi, mais incapable de me représenter la souffrance de ces êtres humains loin là-bas. Pourtant ce soir-là je me suis effondrée. j'ai eu peur pour la première fois de ma vie, parce que j'ai compris que l'horreur s'abattait sur nous les privilégiés. Nous allions payer la note. Je ne ferais finalement pas partie de la génération qui n'a pas connu de guerre. Pendant que je passais la soirée prostrée à regarder en boucle les mêmes images aux infos et les rediffusions de l'allocution présidentielle, Alex était déjà dans l'action. Il ne me l'a dit que plus tard mais ce soir-là, entre deux mots de réconfort, il a préparé notre départ.
    Nye le 14 janvier 2020
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    Ces souvenirs sont douloureux. Mais aussi très lointains. La vie est tellement différente maintenant, et il me semble, depuis si longtemps... Je dois éteindre la lumière pour l'économiser, il fait nuit maintenant, et la nuit de nos jours, il n'y a rien d'autre à faire que de dormir avec le bruit de l'océan comme berceuse. Même aujourd'hui, je sais que c'est un luxe.
     
    Comme je disais, trois jours plus tard il y eu une nouvelle bombe. Relativement loin de nous mais de notre côté de la barrière si on peut dire ça comme ça : chez nous les occidentaux. Après ça cette guerre a continué sur un mode plus traditionnel avec des troupes au sol et rien de très visible ou compréhensible par le simple citoyen. Géographiquement tout ça se passait loin de nous et à priori on ne parlait pas de risque d’invasion. Mais cette histoire de bombe a fait péter un plomb aux gens, et c’est là que tout a commencé à aller très mal. Mon patron m’a annoncé par un simple texto de ne pas venir rouvrir la boutique, qu’il fermait définitivement et partait se mettre au vert avec sa femme. Du jour au lendemain. Ce n’était même pas vraiment légal de me virer comme ça, mais j’ai vite compris que ça n’avait désormais plus d’importance…
    EleanorTilney le 16 janvier 2020
     
    -          « Je veux partir. »

     

    -          « Plaît-il ? »

     

     Mon mari me regarde. Dérouté, fermé, renfermé. Et il détourne les yeux.

     

    -          « Je veux aller en Alsace, je veux voir Madeleine et Bastien. »

     

    -          « Christine, c’est sans espoir… »

    Sa réponde est plus douce, et aussi plus lasse.

    -          « Même s’ils sont morts, je veux y aller, je veux voir leurs tombes, leurs maisons, des objets qu’ils ont touchés. Je n’arrive plus à ne plus rien tenter. »

     

    -          « Christine, les médecins ont très vite refusé de rendre les corps, ils les ont brûlés à l’hôpital quasiment dès le début. »

    Je retrouve l’accent de sa voix quand il répondait à Solange : non, pas de bonbons Schtroumpf au petit déjeuner.

    -          « Peut-être que la malédiction n’a pas touché leur région ? Peut-être là-bas ont-ils permis les inhumations un peu plus longtemps ? Nous n’avons plus ni communications, ni informations depuis longtemps. Je sens encore de l’espoir. Je veux partir. »

     

    Je voudrais que quelqu’un me parle d’eux, me raconte. Chez nous, tous les enfants sont morts.

     

    -          « Peut-être au contraire, là-bas, tout est mort : enfants, adultes, animaux, plantes ? »

     

    Mon mari n’est pas un optimiste. Au vu de la situation, je me garde bien de le lui reprocher.

    Mais moi, je le suis. Angoissée, mais optimiste. J’ai besoin d’une quête.

     

    -          « Ma chérie, personne ne sait rien de rien de ce qui a pu se passer au-delà d’Aix-en-Provence depuis au moins un an. Pour que tous les réseaux soient coupés, il y a forcément eu des émeutes, des violences, des guerres, des morts, il ne faut pas partir.

    Ici, nous avons au moins l’eau de la Sainte Baume, le soleil pour nos capteurs. Mais dans le reste de la France ? Les gens ont dû se battre pour les ressources ?

    Il faudrait des mois pour aller en Alsace, en vivant de quoi ?

    Et puis je ne veux pas partir de la maison où Solange a vécu »

     

    Je ne vois pas sa souffrance car son visage reste clos, mais je la sens : je ressens sa grande douleur dans mes intestins.

    Je comprends qu’il se raccroche à notre maison. Il avait cinquante ans quand je suis tombée enceinte de Solange ; il nous a fait construire la plus belle des maisons, dans le plus bel endroit qu’il connaissait sur la terre.

    Solange est décédée à trois ans et demi, au tout début de ce qui a tué tous les enfants.

     

    -          « C’est la même chose pour moi. J’ai besoin de voir mes enfants ou l’empreinte de ce qui reste d’eux. Je vais partir. »
    glegat le 19 janvier 2020

    Paradis perdu
    (environ 3 mn de lecture)

      Simon est assis dans son fauteuil, les jambes allongées, la tête légèrement en arrière, bien calée sur un coussin. Il contemple le panorama par la fenêtre ouverte. Une fine brise vient, par moments, tourbillonner dans sa chambre, puis repart vers l'océan. Loin du tumulte et de l'agitation de ses contemporains, dans le silence et l'isolement, il a l'impression de ne pas donner prise au temps qui s'écoule. Il vit reclus dans une ancienne maison de maître plantée sur une falaise face à la mer.

     La maison en briques rouges surplombe l'étendue bleue. Elle compte plusieurs corps de bâtiments. Cette demeure est bien trop grande pour un seul habitant, mais il n'aurait rien voulu d'autre. En contrebas, des cabanes de pêcheurs délabrées résistent encore aux embruns.

     Comme le prisonnier qui trouve réconfortante la compagnie d'un cafard, il apprécie le mouvement des vagues qui lèchent la grève s'évanouissent puis reviennent inlassablement. Il vit dans une claustration monacale, détaché du monde, mais pour quelque temps seulement. Il est grand et maigre, les yeux noirs, les cheveux grisonnants, une ride verticale sépare son front en deux, témoin des épreuves subies. Il y a si longtemps.

     Hier, il l'a aperçue. Elle marchait sur la plage, accompagnée d'un enfant qui jouait avec un cerf-volant. Il s'est approché par le sentier qui longe la falaise, mais il l'a perdue de vue. Lorsqu'il est arrivé dans la petite crique, elle n'était plus là. Même les traces de pas avaient disparu. Il a regardé de l'autre côté. Il a aperçu le rivage, puis sur les amas de sable, l'oyat et les ajoncs. Plus loin, le promontoire de récifs découpait l'horizon. Il pouvait voir sur la falaise la tache roussâtre de sa maison au milieu des pins maritimes. Elle était là, immuable, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Alors il est entré, avec dans le cœur une étrange sensation, comme une certitude qu'ils seraient là, tous les deux, comme avant.

     La maison est ceinte d'un mur de pierre enlierré. Le sol sans végétation est tapissé d'aiguilles de pins et la brise balance avec légèreté la cime des arbres. La maison est vide.

     Dans le grand salon, malgré la cheminée, il fait un froid glacial. D'un coup de tisonnier il ranime les braises agonisantes et y jette une bûche. Il s'approche de la bibliothèque, digue contre la douleur, passe la main sur les reliures comme s'il lisait avec les doigts et pouvait capter les histoires. Des histoires anciennes. Il ne se lasse pas de lire. Il choisit un livre et s'assied sur le sofa. Cette nuit encore il va plonger dans ses souvenirs en s'imprégnant de l'histoire d'un monde révolu. Demain, il retournera sur la plage et l'apercevra à nouveau, ombre, fantôme, illusion à jamais perdue. Elle disparaîtra et il reviendra dans cette maison, son refuge, unique témoin de sa vraie vie.

     Il met un disque. Une voix de femme chante le blues. Les notes s'échappent comme un cri déchirant et l'enveloppent de vibrations. Sur la petite table, un jeu d'échecs, une partie inachevée. Il y jette un regard, songeur.

     Autour de la maison l'horizon est borné par un brouillard opaque, il ne peut pas le traverser, il n'en a ni le droit ni l'envie. Il doit rester dans un périmètre limité, c'est la règle, il doit la respecter.

     Chaque jour se répète à l'infini. Il souffre et pourtant, il ne veut pas être ailleurs. Il a gagné l'éternité, mais il a perdu l'instant.

     Bientôt sa villégiature s'achèvera, il doit repartir.

     Le jour venu, il se dirige vers la cabine et pénètre à l'intérieur. Une voix mécanique l'accueille :

    — Votre séjour est terminé, les conditions sont réunies pour votre retour. Préparez-vous.

     Encore quelques instants, il songe à elle et à l'enfant.

     Quelques secondes encore...

     Son corps se dématérialise. Dans quelques minutes il sera de retour sur la station orbitale XW C15.


     Il fait partie des rares privilégiés à pouvoir revenir sur Terre pour de courts séjours depuis la grande catastrophe. Les vainqueurs ont gagné la bataille de l'élixir d'éternité, mais au prix de la destruction d'une partie de l'humanité. La Terre n'est plus qu'un champ de ruines. Quelques îlots ont été décontaminés et en particulier une maison au bord de l'océan, une maison où il a habité, il y a longtemps, très longtemps...
    Racketto le 19 janvier 2020
    Tout cela remontait à il y a déjà plusieurs révolutions culturelles. Serioja venait à peine d’aborder sur les rives de l’inframonde qui allaient le garder prisonnier, loin de sa Pénélope qui pourra tout à loisir tisser et retisser jusqu’à ce que sa jeunesse se fane définitivement. Les persiennes ne laisseront plus passer la lumière qui sculptait ses profondes rides simiesques et permettaient ainsi d’éloigner jusqu’à présent, au fur à mesure les charlatans pressés.
     
    A vrai dire, cette dérive permanente et sans but n’avait déjà plus beaucoup d’importance. Le système de navigation Galileo n’avait jamais bien fonctionné jusqu’à la catastrophe finale qui avait fini par détourner de sa trajectoire la super « mama » destinée à Téhéran, mais qui atterrit finalement sur Jérusalem. Glonass et son équivalent chinois étaient restés marginaux face au GPS qui implosa à son tour lorsque la dernière batterie de secours au plutonium avait fondu. Jeu de hasard sans doute, les Dieux depuis longtemps avaient décidé de ne plus s’occuper de renégats aussi ingrats et incontrôlables. Le pari de Pascal avait été perdu et soldé depuis des lustres...
     
    Et donc, débarquant de sa pirogue passablement usagée, Serioja eu quelques difficultés à se repérer dans les brumes hivernales qui recouvraient cette forêt neo-primitive. Les oiseaux étaient bien présents de par la symphonie de leurs échanges sonores, mais restaient invisibles, même pour les yeux les plus perçants du chasseur qu’il avait toujours été. Plus habitué à la jungle urbaine qu’à l’alignement des pins géants, il ne s’attendait pas à ressentir l’angoisse des trappeurs de Jack London qui l’avait terrassé sur son lit d’enfant. Les amours étaient passés, mais le premier revenait en boucle comme l’inaccessible absolu qui viendrait le hanter en permanence, alimentant son angoisse de l’échec, d’inachevable.
     
    Toujours est-il que paralysé en lisière, les flots tumultueux l’empêchant de faire demi-tour, il n’avait que cette étroite bande recouverte de limons sablonneux pour contenir ses pieds meurtris après une interminable lutte entre la multitude de rapides qui constituaient chacun une nouvelle menace de fin certaine à chaque apparition. Ce n’était pas un fleuve… tranquille, celui qu’il venait de descendre. Il faudra bien finir par se décider et écarter le rideau de mystère pour pénétrer dans cet espace.
     
    Il était pourtant tentant de profiter de ce sas infime pour revenir sur ce qui le hantait. Mais à ce stade, sa mémoire avait été effacée par les épreuves. Incapable de changer le cours de son errance, ne pouvant se décider pour une direction quelconque, un sentiment éphémère d’éternité lui envoya une décharge rayonnante qui acheva sa reprogrammation. C’est finalement dans un hurlement sauvage destiné à effrayer des ennemis imaginaires qu’il consentit à quitter la berge et à plonger dans cet univers résineux. Les branches du bas des troncs, depuis longtemps sans épines, constituaient autant de pièges, testant la détermination d’aller de l’avant malgré les inévitables griffures occasionnées par cette progression forcée.
     
    Certes, la recherche de la clairière de l’Histoire constituait une motivation sérieuse. Il fallait pour cela non seulement une motivation imprescriptible, mais une résignation à l’épreuve de la raison. C’était la voie, le salut. Tenter de l’atteindre ne pouvait que faciliter la rédemption, se faire pardonner d’avoir osé malgré soi, avoir existé parmi tant d’autres qui eux aussi courraient vers leur lumière au bout de leur propre tunnel.
     
    Et effectivement, après s’être habitué à la faible lumière, à travers les branchages une zone plus claire semblait se dessiner loin, très loin, de plus en plus loin, mais de manière précise. Le besoin de parler lui séchait la gorge, il avait besoin de confirmer la direction prise avec autrui, de s’exprimer tout seul, ce qui n’était qu’un palliatif lui évitant que le trop plein d’images ne vienne paralyser totalement ce qui lui restait de moyen de penser pour orienter ses pas.
     
    Au fur à mesure de sa progression et alors que les ombres à la fois plus accentuées et allongées permettaient de mieux appréhender l’espace végétal qui l’enveloppait, le sol devenait de plus en plus spongieux. Les mousses recouvraient le bas des arbres, les fougères devenaient de plus en plus grandes. Les insectes l’assaillaient., pas de simples mouches, mais des coléoptères multiformes dignes des manches de sabres samouraï d’un Japon englouti par la montée des océans. Huit pattes velues, six paires d’antennes géantes, une tête à facettes dorée munie de quatre yeux pouvant pivoter à 360 degrés indépendamment les uns des autres. Et ils virevoltaient par… milliers.
     
    Ces organismes se déployaient sans dessein apparent, montant, descendant en vastes groupes qui se croisaient pourtant se télescoper, sans se mélanger. Menaient-ils un combat ? En tout cas, ils étaient suffisamment insistants pour freiner l’avancée de Serioja, dont la peau portait les stigmates des morsures subies à répétition. Il n’était pourtant pas question de faire demi-tour. Non, non, la jungle n’aurait pas le dernier mot. Au contraire. Se ressaisissant, il comprit que tout n’était qu’une vaste épreuve, une série d’obstacles placés sur son chemin pour tester sa détermination.
     
    Serioja avait-il pour autant en tant qu’acteur conscientisé de son destin le profil de l’amant invétéré ? Son expérience en la matière se caractérisait plutôt par les occasions manquées, les invitations ignorées, les attentes de confirmation trop longues qui corrompaient la patience des émissaires. Dans un monde où la suggestion même s’assimile à une action invasive difficile de saisir sa chance. Il avait pourtant fini par trouver le grand amour exclusif, même si cela impliquait souvent le recours à des formes de stimulation extérieures. Les fantasmes de la nuit l’avaient souvent pris en défaut de manière douloureuse, le manque avait gangréné ses périodes de séparation forcées qui peu à peu s’étaient imposées comme la norme dans une dérive sans fin, une quête vouée à l’échec du remède à l’insatisfaction faute d’avoir choisi résolument le renoncement au dépend de la futilité.
     
    Oui, il était encore très amoureux sur ce sentier crépusculaire qui n’avait pourtant plus rien de lumineux. L’amour constituait l’antimatière de son existence d’être social auto-proclamé, le rapport avec un individu particulier s’opposait au communautarisme qui justifiait sa démarche, ses pas qui s’enfonçaient maintenant dans un terrain marneux. La chaleur humide, les champignons appartenant à la génération spontanée de l’année développaient une odeur suave enivrante de mucus, de cyprine. Le tunnel dans lequel il tentait de s’engouffrer était devenu très étroit. Il en était l’unique sentinelle.
     
    Revenir en arrière n’était plus une option. Les aiguilles de pin au sommet battaient comme des cils protégeant d’un regard aveugle le sol quelques infimes particules d’année lumière plus bas, là où l’histoire s’écrivait donc dans le futur du sommet. Serioja se débattait prosaïquement avec les ronciers dépourvus de murs en cette saison, indépendamment de cette ligne espace-temps. Adieu les rêveries sur « l’origine du monde », à la fois si banale et pourtant multipliée comme autant de visages, racontant autant de vies à celui qui prenait la peine de les dé-enfouir.

    Les radiations de l’explosion du dernier sous-marin atomique avaient achevé le travail de rajeunissement des espèces, un retour à l’âge des grandes fougères et des pins géants aux épines fourchues. Serioja n’avait pas eu l’attention nécessaire pour constater par lui-même le phénomène. Il faut dire qu’à moins d’être féru de l’histoire des plantes, certaines mutations ne choquaient pas de prime abord, enfin pas nécessairement. L’époque était confuse, dramatiquement confuse. Il ne s’agissait pas de suspension temporelle, mais bien de confusion des âges géologiques, bouleversés. L’évolution connaissait des errances. Serioja s’associait intimement à ces mutations dont il était à la fois l’instrument, la victime et finalement en quelque sorte l’acteur, même si sa participation était involontaire et inconsciente. Il vivait ou plus précisément incarnait un drame.

    La descente laisse une impression d’immersion dans un milieu aquatique, légèrement salin mais sans aucune viscosité : un tunnel dans un onsen du nord jusqu’à la décharge brutal sur un terrain plus dur. Et donc, reprenant lentement ses esprits, Serioja déplait ses membres endoloris, encore marqués par les multiples blessures subies, les épines encore saillantes, plantées de manière désordonnée et non en cercle. Signe de martyre, la souffrance n’avait été finalement que de courte durée quand résumée à un instant de vécu. Le passé concentré dans une image : cette forêt dantesque l’avait bien étouffé jusqu’à ce qu’il en perde conscience. Il en avait été relâché soudainement dans un mouvement de pompe aspirante.
    Il ne savait pas pour autant où il se trouvait. Il aurait fallu pour cela apercevoir et aborder des congénères en espérant qu’ils parlent un langage, ne serait-ce que celui des signes qui lui aurait permis au moins de connaître l’heure. Un moindre repère parmi les dimensions de sa conscience humaine, réduites par choix des plus hautes autorités scientifiques au service de la morale.

    Le Christ en majesté transparaissait en filigrane dans le granulé du bois de la porte sans chambranle. Serioja ne pouvait donc prétendre être seul dans ce qui apparaissait de plus en plus comme une couche espace-temps et non un univers autonome. Les codes et les racines du mal demeuraient les mêmes. Il éprouvait toujours ce besoin inextinguible, ce désir inassouvi de constater que les sexe des femmes étaient bien différents du sien, des autres, mais aussi entre eux, ce qui rendait impossible de s’en rappeler comm
     le 19 janvier 2020
    Entropie 1/2


    D’une tige à l’autre et de fruit en fruit, ses petites mains agiles glissaient outre les épines des ronces. Je ne l’observais pas, je ne tentais pas de mémoriser ce que je savais être un moment de grâce. J’étais juste assis à flanc de colline quelques mètres derrière ma fille qui cueillait des mûres au crépuscule d’un jour d’été. En réalité, j’étais elle, pleinement. Si pleinement que je ressentais le goût des fruits à chaque fois qu’elle en mangeait un. Je replongeais dans le vertige qui m’envahissait alors enfant face à l’immensité du monde quand, dans le même mouvement, un autre vertige m’enveloppa ; celui de l’adulte que j’étais, conscient de l’étendue des possibles qui l’attendent, elle, déjà sur son chemin.

    — Papa, ils sont arrivés comment les humains ?

    J’eus à peine le temps de me demander comment répondre que déjà sa moue curieuse et impatiente pointait par-dessus son épaule.

    — Je ne sais pas.

    Elle se retourna, estima la récolte dans la poche de son tablier et reprit sa cueillette.

    — Ben imagine !

    À la vivacité de son esprit j’affichais un large sourire. Pourtant, sa question laissait resurgir en moi un sentiment désagréable. Le mélange d’une perte de repères et d’une peur infinie qui ne serait pas mienne, sourde, presque venue des entrailles de la terre.

    — Viens voir Aya.

    Elle leva la tête et observa le ciel un court instant. Le soleil était bas, l’horizon avait viré pourpre, orange, jaune, vert. Le retour au village était proche. Elle me fixa un instant, regarda sa longue silhouette noire projetée au sol et leva un bras. L’ombre de sa main recouvrit mon visage. Elle sourit. Je fichai une brindille dans la terre molle.

    — Viens !

    Elle boutonna son tablier pour assurer sa récolte et se rapprocha, curieuse.

    — L’ombre de ce petit morceau de bois va bientôt disparaître avec le soleil. Mais si tu reviens demain matin, tu la verras de l’autre côté. Et si tu reviens plus tard, l’ombre sera par ici et si tu restes et observes un peu, tu la verras même bouger pour finalement revenir là où elle se trouve maintenant.

    — Mais les humains papa, pourquoi tu me réponds pas ?

    Ses grands yeux perplexes me fixèrent et me rendirent au silence. Elle se détourna et s’approcha de notre panier d’herbes médicinales. Elle y ménagea une place avec attention et laissa rouler les mûres de son tablier.

    — Grand-mère à moi elle m’a dit un jour que il y avait déjà des humains avant les humains mais que ils ont presque tous disparus et que nous, on est nés très très très longtemps après. C’est vrai papa ?

    Les origines de l’humanité me ramenaient invariablement à la quasi extinction de l’espèce, avec la certitude que les mêmes qui avaient dû en leur temps se poser la question de leurs origines avaient provoqué leur propre fin. De plus, la réduction de toute chose à un début et à une fin me semblait inadéquate en même temps qu’angoissante. Je ne savais pas qui de sa question ou de mon ébauche de réponse me désemparait le plus.

    — Papa !

    — Oui. C’est vrai, les humains ont presque disparu il y a environ huit mille ans. Sans doute existe t-il d’autres peuples que le nôtre, mais il nous faudrait naviguer loin pour le savoir.

    — Huit mille ans !!!

    — C’est beaucoup hein ? Tu te souviens de ces ruines englouties au large dont parlent souvent les pêcheurs, et bien c’est sans doute une de leurs anciennes cités.

    — On ira un jour ?

    — Oui, je t’emmènerai.

    — Dis, t’as vu tout ce que j’ai ramassé !

    — Je peux en manger quelques-unes ?

    — Bien sûr ! Eh ! Regarde, moi j’ai déjà la langue toute bleue ! Laaah !

    De nouveau en phase avec son monde, elle se blottit entre mes jambes profiter des dernières lueurs du jour. Un instant plus tard, le soleil passait complètement sous la ligne d’horizon.

    — Dix !

    — Hum… Je dirais huit.

    — 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, zéro, zéro, encore zéro ! Zérooo !

    — Quatorze. On a tous les deux perdus !

    Elle se retourna et s’accrocha à moi comme un petit singe. Sa respiration comme un rythme, comme le seul métronome du monde. Sa voix résonnait dans la tiédeur de mon cou.

    — Et nous pourquoi on vit pas dans des cités comme eux avant ? Parce qu’elles sont englouties ?

    — Ceux que l’on appelle les « Humains d’Avant » étaient nombreux, très nombreux, et possédaient certainement une somme considérable de connaissances. Nous sommes les descendants d’une poignée d’entre eux et il nous faut encore tout réapprendre, très peu de leur savoir nous a été transmis.

    Elle se redressa et me fixa.

    — C’est quoi « transmis » ?

    — C’est enseigner, donner ce que l’on sait aux autres. Comme ta grand-mère quand elle nous conte La Nuit des temps chaque soir.

    — Oui c’est ça papa, et ça me fait un peu peur ce que grand-mère raconte, c’est triste aussi.

    — Non, ce que ta grand-mère t’a raconté provient de Avant la nuit des temps qui est l’histoire des Humains d’Avant, du moins ce que nous en savons. La Nuit des temps, elle, est l’histoire de notre peuple depuis les survivants. Ce n’est pas la même chose mais je suis d’accord avec toi, Avant la nuit des temps fait peur. Tu es encore un peu jeune pour ça, elle n’aurait pas dû t’en parler.

    — Et ben toi tu me transmis tout ce que tu sais sans me faire peur !

    — Transmets !

    Je ne pus m’empêcher de la serrer dans mes bras et l’écheveler en grognant comme un ours. Elle rit aux éclats, une brise sonore qui coucha le moindre brin d’herbe à des centaines de pas alentour. Soudain, la voix fluette de Tomi résonna.

    — Mon oncle ! Aya ! Venez venez !

    Il gravit la colline jusqu’à nous, essoufflé.

    — Nous avons ramassé plein de moules et des crabes aujourd’hui, on va faire un festin !

    — Et moi j’ai plein de mûres !

    Nous redescendîmes tranquillement vers le village. Tomi ouvrait la route, j’avais le panier d’un côté, Aya de l’autre, sa petite main dans la mienne. Elle était silencieuse, préoccupée.

    — Papa ?

    — Oui.

    — Pourquoi les Humains d’Avant ont disparu ?

    — Hum. Il est dit, dans Avant la nuit des temps, que les humains ne cessaient de se battre par les armes et par l’esprit, en tous temps et en tout lieu. Mais il est dit aussi que le feu venait du ciel. Quoi qu’il soit arrivé, ce n’est sans doute pas une mauvaise chose. Vivre et se battre, se battre pour vivre. Aucun sens tu ne trouves pas ?

    — Mais papa, les animaux aussi se battent.

    — Ce n’est pas un exemple pour autant et puis, sommes-nous des animaux ?

    — Non.

    — Peux-tu imaginer nos voisins les Angs brûler nos maisons et nous tuer pour s’accaparer ton massif de ronces ?

    — Oh non alors ! Et puis j’aime bien les Angs !

    — Alors tu vois, l’humanité est sur le bon chemin.

    Nos pas dans l’herbe et le silence dans nos bouches. Ni Aya ni moi n’étions convaincus de ce que je lui disais et je sentais son intuition crépiter. Tomi marchait loin devant nous maintenant. Le distant ressac de la marée basse nous parvenait maintenant très distinctement. Nous allions bientôt apercevoir le village.

    — Tu te souviens quand Tomi m’a tiré les cheveux parce que je ne voulais pas lui donner ma flûte ?

    — Oui.

    — Et si un jour je ne veux pas partager les ronces avec les Angs, tu crois qu’ils vont me tirer les cheveux ?

    — Non, je crois qu’ils iraient chercher un autre bosquet, il y en a plein d’autres.

    — Et si y en a pas d’autre ? Et si ils n’ont pas envie ?

    Un froid me saisit le ventre et me glaça la nuque. Elle le décela dans mon regard.

    — Mais t’inquiète pas papa, je vais toujours partager !

    — J’en suis certain ma fille.

    De nouveau, je lui ébouriffais les cheveux. Le village était en vue. Elle me lâcha la main et s’engagea dans une folle course pour rattraper Tomi.


                                                                                     *



     le 19 janvier 2020
    Entropie 2/2


    Si elle ne peut le formuler clairement, Aya a senti ce qui me préoccupe. Un monstre qui sommeille depuis huit mille ans se réveille. Ce qui est nommé « vanité » dans Avant la nuit des temps commence à sourdre chez mes contemporains, imperceptiblement, sous des formes et à des endroits de notre nature des plus inattendus. Les Humains d’Avant en ont terriblement souffert et je suis intimement convaincu que cette chose a été l’instrument de leur déclin. Quant à nous, nous n’avons pas su maîtriser ce qui se répand en sourdine dans notre peuple depuis quelques années. Je crains qu’il ne soit déjà trop tard et que notre sagesse ne puisse vaincre les humains que nous nous découvrons finalement être. Je souhaite pourtant que jamais nous n’atteindrons le point de notre histoire où il nous faudra considérer les quelques millénaires de paix qui nous sépareront alors des Humains d’Avant comme une performance ou comme un nouvel échec de l’humanité. Quand la mémoire de la douleur s’estompe, s’estompe avec elle notre capacité à vaincre les causes de cette douleur. Sans doute sommes nous déjà trop nombreux pour enrayer une telle mécanique. Pour autant, chaque soir auprès du feu, inlassablement, ma mère – comme mes aïeules avant elle – tient le monstre en respect en terminant le récit de La Nuit des temps par ces mots : « Comme celui qui coupe l’arbre pour alimenter son foyer, comme celui qui donne la vie avant de mourir, il y a dans chaque création une part de destruction. On ne prend rien sans détruire, on ne crée rien sans détruire. À l’orgueil, répond la vanité. »

                           
                                                                     ***
    vibrelivre le 21 janvier 2020
    Etait-ce vraiment la fin ?


    L'homme se tenait sur le bastion. Il regardait les eaux grises et rageuses, bien qu'il n'y eût pas le moindre souffle de vent. Les eaux se ruaient à l'assaut de la forteresse. Elle était solide, il ne se faisait pas de souci. Avec les autres, quand ? il l'avait construite sur le sommet de la colline, et il y avait stocké quantité de vivres et de boissons. Son désespoir et son obstination l'avaient doté de forces insoupçonnées. Et d'ingéniosité aussi. Les temps changeaient à peine, il était déjà un autre. C'est cette obstination qui faisait qu'il était encore vivant. Ce qui l'inquiétait davantage, c'était là, vers la droite, ce champignon fuligineux, qui flottait comme une montgolfière, et toujours fumant. Il n'exhalait aucune odeur, il n'empêchait pas de respirer. Auparavant, il tirait sur un ocre rouge, mais un jour, les couleurs avaient disparu, la grisaille avait pris leur place, du gris clair au gris foncé, presque noir. C'était le crépuscule à plein temps. La vie, si ce nom avait encore un sens, s'écoulait uniformément. Il était difficile de tenir le compte des heures. A gauche, des flammes s'élevaient grises elles aussi, comme livides. Le soleil en était demeuré cramoisi. C'était le seul ton qui restât. Une teinte désagréable, comme si l'astre était en état d'apoplexie permanente, pour avoir vu quelque horrible spectacle , ou pour avoir eu une vision abominable. Le paysage que les flammes avaient dévasté, et qu'elles dévastaient encore, sans qu'il comprît ce qu'il y avait encore à détruire, comme si elles avaient pour mission l'anéantissement éternel, était monocorde, couvert de poussière sale. Qui entretenait le brasier ? Le vent était inexistant, la terre n'était plus que cendres. Des flammèches et des étincelles se soulevaient sans doute sur le terrain brûlé qui effrayait. L'eau ignorait les brandons.
    Il parcourait des yeux son territoire. Tout, cette désolation qui s'étendait sous ses yeux, lui appartenait. A moins qu'il ne lui appartînt. S'il laissait courir ses idées, il se rendait compte qu'il était prisonnier. Le temps n'avait plus cours. Qui déplaçait les flots enragés ? Quand il partait en mer, il ne savait quel obstacle il allait rencontrer. Il manoeuvrait la rame prudemment, demeurait très près du littoral. S'il tombait sur un tourbillon, ou si des remous le balayaient, c'en était fait de lui. Il était parfois si oppressé qu'il prêtait à tout ce qui l'entourait une intention malveillante. Le champignon attendait l'heure de le tuer. Les flammes voulaient l'enserrer. Le soleil attendait sa mort avant de s'éteindre lui-même. Les eaux éructaient avec une fureur maligne son impuissance. Il était seul, trop seul. Heureusement une enfant de six ans à peu près, ses dents tombaient, qu'il ne connaissait pas, était avec lui, muette et les yeux constamment effarés. Il l'appelait Trésor. Il était soulagé d'avoir une compagnie, fragile, presque misérable, mais elle lui octroyait de la force. Ce qu'il ne ferait pas pour lui, au moins le ferait-il pour la fillette. Il lui prodiguait des mots d'espoir et des gestes pleins de tendresse. Il avait aussi une biquette, efflanquée, décharnée, un squelette en fait, qui donnait un peu de lait, sans doute parce qu'il tirait sur ses pis chaque jour, et qui annonçait des changements dans l'atmosphère d'un bêlement grêle et en tremblant comme une possédée. Cependant, il ne pouvait pas dialoguer. Mais l'humanité subsistait.
    Il avait un canot, qu'il avait fabriqué lui-même, et qu'il mettait parfois à l'eau pour échapper au huis-clos du bastion. Il avait trouvé un endroit abrité où il mouillait en toute sécurité l'embarcation. Il emmenait parfois l'enfant et la chèvre pour des reconnaissances quasi militaires. Ils cherchaient des traces, des signes, un élément nouveau, une voie d'issue? Ils jouaient à Robinson. Lui chantait, de façon dérisoire : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Il ne voyait que des ruines, des troncs d'arbres calcinés, et tout ce que le jusant apportait, plastique, cordes pourries, métal rouillé, coquillages cassés, des poissons morts, du bois couvert d'algues répugnantes et gluantes, qui se collaient à toutes les parties de son corps et de ceux de Trésor et de la biquette, et des os, beaucoup d'os, qu'il écartait de sa rame et de son esprit. Il voyait surtout les yeux pleins de terreur de l'enfant.
    vibrelivre le 21 janvier 2020
    Pour échapper aux images qui lui assaillaient la tête, il décida brusquement de fuir. Il se munit d'un grand couteau, d'une hache, d'une lampe-torche, il enfila des bottes. Il protégea Trésor avec un gilet de sauvetage. Trésor se protégea en embrassant Biquette.
    Il dirigea l'embarcation vers la droite. Ils passeraient sous le champignon. Ils inspecteraient ce qu'il survolait, terre et mer.
    Ils allaient à contre-courant. Le mouvement de la mer portait les vagues à gauche. L'homme dut souquer sur les avirons. Trésor aussi repoussait l'eau de ses maigres forces.
    Biquette reniflait, scrutait, écoutait. Ils se masquèrent le nez et la gorge avant de passer sous le nuage de fumée. A cet endroit les eaux se cloquaient et clapotaient comme un égout engorgé. Il leva sa rame, et l'enfant retira ses mains. Ils craignaient la brûlure, ou l'effet d'un acide malsain. Biquette frémissait. Ses pis gonflaient. Trésor tirait sur sa barbe frénétiquement. Plus loin, l'eau semblait rouler sur elle-même. Elle dessinait une ellipse. L'homme s'arc-bouta sur sa rame, à la fois pour avancer, et se soustraire aux bouillonnements. Ce qu'il voyait le déroutait. Les ondes paraissaient soumises à un magnétisme qui venait de sous la mer. Elles tournoyaient à une vitesse folle, et régulièrement fusaient vers la droite toujours. On aurait pu penser à une baleine ivre qui rejetait l'air par son évent. L'homme se rapprocha du rivage. Ils descendirent. Il tira la barque loin sur la grève, l'attacha solidement à un arbre. Il s'arma du couteau et de la hache. La lampe-torche était dans la poche de son pantalon.
    Le sol était chaud. Il crachotait de l'eau comme une casserole dont le contenu  est entré en ébullition. Marcher dans cette boue liquide créait une sensation bizarre. L'air avait une autre qualité. Il était plus léger, il avait des fragrances de printemps. Les tons gris s'adoucissaient. La mer fugitivement prenait des reflets irisés, le sol s'argentait. C'était le silence qui pesait. Tous les trois en étaient étranglés. Ils n'entendaient plus le bruit de succion, les vagues s'étaient tues. Ils continuèrent leur route cependant vers les rais de lumière. Sur leur droite, ils aperçurent, posée sur un tertre, une retraite circulaire entourée d'arbres morts, des bouleaux apparemment, on eût dit de grands cierges qui veillaient. La chèvre gémit. Ses pis étaient d'une grosseur incroyable. Peut-être y avait-il un accès entre ces arbres. Ils enlevèrent leurs masques. La ceinture de bouleaux formait barrière. L'homme hésitait à se servir de la hache. Une atmosphère mystérieuse imprégnait l'enceinte. Trésor se coula sous les branches. L'homme prit son couteau et marqua les arbres d'une croix sommaire. Là, Trésor était passée. Biquette avait trouvé un passage, elle s'égratignait les cornes et la peau, mais elle avançait résolue et sereine. L'homme la suivit. Aussitôt, les arbres se refermèrent. L'obscurité fut complète. L'homme grava comme il put quelques repères. Il ne voulait pas décharger les piles de la lampe. Un fil de lumière ondoyait sur Biquette, l'éclairage suffisait. L'homme avait l'impression de marcher sur de l'herbe policée. Le terrain était égal. L'homme appela doucement Trésor. La confiance de la chèvre le tranquillisait. Au bout de quelques pas, une ellipse de clarté surgit. Trésor était couchée au pied d'une dalle rectangulaire placée au centre de l'ellipse. Il sembla à l'homme qu'elle pleurait, ou qu'elle priait. Biquette bêla. Un bêlement inouï. Etait-ce une plainte, un cri de victoire , un chant sacré? La chèvre tomba sur la terre. L'homme s'empressa de la traire. Le lait coula impétueusement. Des mains de la fillette, sortit un brin d'herbe. Il était vert. L'homme, en voyant la couleur verte, eut la révélation qu'un nouveau monde commençait.
    soledadnad le 21 janvier 2020
    De Marie-Neige à Séléna Secteur 15

    Le 21 Janvier 2183

    Chère Séléna,

    Aujourd'hui j'ai 193 ans et ce sera mon ultime anniversaire sur cette planète .

    A l'heure où Réginald te remettra discrètement cette missive, j'aurais enfin rejoint Thomas pour l'éternité.
    Ne pleures pas, je suis si fatiguée de vire et si heureuse de passer quelques instants en dehors de la Bulle.

    Hier, j'ai adressé une ultime requête au Conseil des Etres Humains, sans grande conviction. Je souhaiterais qu'à l'instar de ton père, ton grand-père et ton arrière grand-père, tu puisses faire tout ce qui est possible afin de limiter la prescription de l'Hormone de Jouvence. Dernièrement, j'ai refuser de participer aux nouvelles recherches visant à intégrer cette hormone dans les produits laitiers.

    J'ai fait semblant d'être trop épuisée et j'ai proposé ta candidature pour la nouvelle équipe de chercheurs. Le Conseil ne se méfiera pas de toi malgré le suicide de ton ancêtre.

    Il a y plus d'un siècle, notre équipe de chercheurs avait mis au point l'hormone de jouvence. Quel bonheur lorsque nous avons constaté que cette découverte pouvait prolonger la durée de vie, doper nos défenses immunitaires, réguler notre sommeil, ranimer et intensifier le désir sexuel. Nous avions cru que l'hormone capable de protéger et surtout de restaurer notre système immunitaire était une panacée.

    Il est vrai que les maladies virales mortelles furent éradiquées et les conséquences de la vieillesse disparaissaient..

    Nous n'avions pas pris en compte la folie des hommes, quelle erreur! Tout à la joie de cette invention miraculeuse, nous n'avions pas mesuré les conséquences d'une surpopulation. Nous avions simplement décidé de prescrire cette hormone aux personnes ayant un système immunitaire déficient, et dans tous les autres cas au plus de 60 ans.

    Aujourd'hui tout le monde veut cette hormone, même les nouveaux-nès en ingurgitent chaque jour.

    Je suis terrifiée des conséquences que nos recherches ont entraînées. Nous avons cru prolonger la vie et nous avons tout détruit autour de nous. C'est pourquoi tu es née dans la Bulle, la terre étant polluée, l'air vicié et l'eau potable si rare.

    De plus, la prolongation artificielle de la vie impose à l'être humain de n'avoir qu'un seul enfant. C'est ainsi qu'il n'y a plus de frères, ni soeurs, ni oncles, ni tantes , ni neveux, ni nièces.

    En voulant vivre très longtemps et sans souffrance, nous avons supprimé le refuge des humains, la famille.

    Il y a 20 ans Thomas disparaissait volontaire de la bulle. Si j'y  suis demeurée c'est que je souhaitais mettre au point une nouvelle formule visant  à éviter les souffrances sans prolonger indéfiniment la vie.

    Tu trouveras joint à cette missive la nouvelle formule Hormone II. Tu devrais l'apprendre et ensuite détruire ce courrier en passant simplement ton doigt sur l'encre.

    L'avenir de l'espèce humaine vous appartient désormais. La nouvelle équipe de chercheurs est informée de ma démarche et travaille en grand secret depuis plusieurs mois afin de mettre au point un placebo sans danger pour l'être humain.

    Je vais sortir de la Bulle grâce à la complicité d'un vieil ami, gardien de la Porte. Je sais que je n'aurais que dix minutes de survie à l'extérieur, mais je souhaite pouvoir regarder le ciel et l'imaginer encore bleu. Thomas avait parlé de papillons qui auraient survécus.

    Ce matin , j'ai pris la dose d'hormone car sans elle je ne pourrais marcher, et ainsi j'espère pouvoir m'allonger dans l'herbe grise qui pousse tout autour de la bulle.

    Je pars l'esprit serein, avec le souhait de retrouver Thomas quelque part, je l'imagine me dire avec son demi-sourire : "Alors vieille branche tu as fini ton travail là-bas!"

    Je t'embrasse et te demande de conserver l'espoir, peut être un jour tout le monde pourra quitter la bulle qui sait ?


    Ton arrière-arrière-arrière grand-mère

    Marie-Neige
    LauBlue le 22 janvier 2020
    Né pour courir

    Été 2020. Nous vivons sous terre, dans des espaces semblables à des villages. On y trouve des parvis, des maisons, des boutiques, des restaurants, des rues où circulent piétons et cyclistes. Des hommes, des femmes, des enfants y construisent notre présent depuis trois générations. C’est un jour de l’été et dans le silence d’avant le départ, je respire encore l’air du dedans. Sur l’esplanade, la foule afflue et chaque année le nombre de personnes croît. Dans quelques secondes le compte à rebours sera lancé. Je vérifie mes capteurs. Un signe du maître de la tour me confirme qu’ils fonctionnent. Je ferme les yeux et pendant un instant, l’ambiance est au recueillement. Le regard de la foule est braqué sur moi. Les pulsations de mon cœur tambourinent comme un avant-goût de ce que je vais réaliser aujourd’hui.
    Je ne dois pas rater le départ.
    Le mouvement qui suit celui-ci est semblable à une vague qui déferle en gage de soutien. Les mains frappent les tambours, la foule en liesse ne forme plus qu’un avec moi. Je suis né pour courir. Alors je m’élance. Des foulées qui martèlent le sol et projette du sable et des cailloux autour de moi. Je puise dans mes muscles la propulsion qui m’entraîne loin, au-delà des entrailles de la terre. C’est un jour sans nuage. Le soleil éclaire le ciel. A l’horizon, seules les montagnes s’imposent. Leur présence et la beauté qui émane d’elles me coupe un instant le souffle.  La nature a repris ses droits. Luxuriance et profusion s’affichent partout, même si, de-ci, delà quelques bâtisses persistent.
    Sur les écrans de télétransmission la population suit l’évolution de ma course. Je connais le sentiment qui les anime. Ce désir d’être mes yeux dans le monde d’aujourd’hui. Mon regard capte ce qui m’entoure, détaille les arbres, les collines, l’éclat des boutons d’or dans les prairies, les fleurs des pissenlits dans le vent, le bruissement des cours d’eau. La lumière qui joue entre les branches des arbres, l’ombre des peupliers. Le vol des oiseaux dans le ciel. Toute quintessence.

    Mon souffle est à la mesure de ma mission. Je cours et, une à une, mes foulées s’imprègnent de l’atmosphère. Je suis né pour courir. Loin et vite. Là, où personne ne va plus. Je cours pour raconter les couleurs. Le monde extérieur. J’emmène mon peuple en voyage. Dans la vibration de mes pas sur la terre, dans l’air qu’aspirent mes poumons, dans mes mains qui cueille un fruit, sur mes lèvres qui le goûte, dans mes yeux qui parcourent les ondulations du monde. Je suis pareil à un artiste-peintre dont l’œuvre réconcilie la terre et les hommes et peu importe si les radiations brûlent aussi mes cellules, si mon existence est à l’image d’un éphémère.
    Je suis né pour vivre le monde.
    Lesaloes le 23 janvier 2020
    BONNE ANNÉE 2100 !


    Planète Mars, Néapolis-les-Pins, le 1er janvier 2100

    Je vais faire comme lui, écrire ! Hasard avant notre départ. Retrouvé de vieux imprimés. Des carnets 2015, style emphatique, longues phrases. Très datés. Rédigés par mon ancêtre, le père des grands-parents de mes grands-parents ! Je porte son prénom, Albert, figure imposée il y a vingt ans, le jour des A. Suivi de mon numéro mondial d'identité eu.fr.16.03.2080.06.9432.

    Mon œil les a photographiés et stockés dans la puce-mémoire implantée à ma naissance derrière mon oreille droite. Finis les accouchements. L'Incubateur a bipé la fin de la gestation et averti à distance mes parents qui tout émus m'ont sorti de la couveuse. Mon espérance de vie, mille ans.

    Trop de monde sur Terre. Température intenable. Les océans ont monté de trois mètres sans compter les tsunamis et les ouragans. 

    On a fait partie des volontaires. Le gouvernement mondial a réussi à synthétiser ici sur Mars une atmosphère et de l'eau. La planète rouge ressuscitait. A verdi d'une végétation OGM. C'était une terra incognita pour des esprits pionniers : on y est depuis trois ans. La Terre, pour moi, depuis mon secteur Ray Bradbury, désormais une nostalgie sans retour et ce petit point brillant dans l'espace, au crépuscule.

    Salut frères Terriens. Notre calendrier : 686 jours de révolution autour du Soleil. Mais je sais que ce matin vous entrez dans l'année 2100 ou l'an 50 post-apocalyptique. Pour nous officiellement l'an 20 de l'arrivée des humains sur ma planète. 

    Mon vœu le plus cher : une bonne et heureuse année de paix pour vous tous, là-haut. 

    Sur votre infime îlot d'univers. On vous aime.
    Sflagg le 23 janvier 2020
    Salut !

    Voici, comme promis, une deuxième participation, pas forcément meilleur, mais dans mon style habituel et mon genre de prédilection.

    Bonne lecture !


    Le début de la fin                 (23/01/20)
     
    Voici l’apocalypse,
    La grande éclipse.
    La Terre est plongée dans le noir,
    Il n’y a plus d’espoir.
    Les gens ont peur
    Et par millions meurent.
    Voici la fin du monde,
    Le début d’une période immonde
    Où les survivants s’entretuent,
    Leurs bas instincts ayant repris le dessus
    Pour s’accaparer les dernières ressources
    Et rester dans la course.
    C’est la loi de la jungle,
    La règle de la brousse
    Où tout le monde se flingue ;
    Où tous se détroussent,
    Pour un bout de pain,
    Pour un bout de terrain,
    Pour une place forte,
    Pour pas se retrouver au bout d’une corde.
    Y a plus de moral,
    Y a plus que le mot râle.
    Y a plus de féminisme,
    C’est le retour du machisme,
    L’explosion du racisme,
    L’exploitation des plus faibles.
    Viol et esclavagisme
    Sont devenus les seules règles.
    Voici l’apocalypse,
    La grande éclipse,
    La fin du monde,
    La période de l’immonde.

    S.Flagg !

    Bonne chance à tous !!
    Personnecarinne le 24 janvier 2020

    Carinne nrj. (amateur). 

    Caroline lève la tête vers le ciel, au milieu de ce champs de canne à sucre, abasourdie, elle tente de se ressaisir en mettant de l'ordre dans ses pensées. Le faisceau de lumière transpercant le ciel, auparavant, à disparu comme englouti à travers une spirale d'air. Le silence raisonne.
    À ses pieds, seule une légère empreinte marque la terre sèche. Tout se bouscule dans sa tête. Le temps semble s'être figé. La nature est endormie. 


    Tremblante et fragilisée, Caroline lutte dans son fort intérieur. L'imagination et la raison s'entremêlent à cet instant pour reconstituer le puzzle de ce trou noir dont elle est victime. Que s'est il donc bien passé ?, se demande Caroline, les yeux tournés vers le ciel. Des brides teintées colorées émergent à la surface progressivement dans sa conscience.

    Debout, elle fixe inlassablement le ciel en quête d'une réponse. Une image, brutalement, lui revient comme un boomerang à l'esprit. Elle pense avoir entendu une voix ressemblant à celle d'une voix humaine provenant d'un vaisseau. 

    Hypnotisée par ce soleil qui brille, à t elle rêvée ?,. emportée par la fatigue et le sommeil de la veille, elle veut comprendre. 

    Soudain, un paille en queue inattendu, s'échappe du champ de canne à sucre. Elle se souvient de cette nuit noire et sombre. Cette nuit, où ce vaisseau est apparu et a dirigé vers les humains sa lance flamme électromagnétique. Ce dernier a tout détruit, ne laissant que hurlements et détresse sur son passage. Cette voix de l'ombre appelait à l'anéantissement de toute forme de vie terrestre. La nature et les hommes disparaissaient, s'éteignaient au fur et à mesure de sa traversée impitoyable. 

    Une nuit interminable de terreur avait remplacé la lumière et la. Vie. Cette vibration sonore était d'ailleurs. 

    La chaleur du soleil du midi s'intensifie autour de Caroline. Cette chaleur caresse son visage à présent, qui dans un profond soupir, lui permet de revenir à sa pleine conscience. 

    Le sourire aux lèvres, elle vient de comprendre qu'elle est une survivante du jour d'après de cette terrible nuit...... 

    Merci. 
    Lesaloes le 24 janvier 2020
    L'AGE DE FER

       « Alors, promptes à fuir la terre immense pour l'Olympe, la Pudeur et Némésis, enveloppant leurs corps gracieux de leurs robes blanches, s'envoleront vers les célestes tribus et abandonneront les humains ; il ne restera plus aux mortels que les chagrins dévorants, et leurs maux seront irrémédiables. »
    Hésiode, Les Travaux et les jours ( 8e s. av. JC)


    La Terre avait décidé de se venger. 
    Déterminée à frapper un grand coup. Définitif. Révoltée par les climato-sceptiques, les bas calculs de politiciens bornés, la stérilité de leurs faux-fuyants, les massacres. Ses avertissements, séismes, tsunamis, éruptions n'avaient eu aucun impact. Trois siècles de révolution industrielle, trois siècles de trop. Elle avait trop pleuré son atmosphère polluée, ses forêts dévastées, la fonte de sa banquise, le recul de ses glaciers. Et l'extinction de ses animaux, sacrifiés. Par la faute de ces nains, de leur folie, du fourmillement de ces Sapiens arrogants qui la narguaient et pillaient ses richesses, inconscients de son indignation et de sa colère. Alma mater devenue vengeresse. 

    Et, en ce jour du 16 mars 2027, à Washington, la provocation de trop. A 17 h 42, le président signait l'autorisation des forages pétroliers dans l'Arctique. Son sanctuaire.
    Deux heures plus tard, le conseiller scientifique de la Maison Blanche se ruait dans le Bureau ovale porteur d'une alerte d'une urgence et priorité absolues : à 17 h 43, au nord-ouest du pays, dans le parc de Yellowstone, la caldeira, méga-cratère volcanique de 70 km de diamètre, s'était brutalement soulevée de deux mètres sous la pression du magma. Le volcan exploserait en une titanesque éruption qui expulserait dans l'espace ses nuées de fumées et de cendres.

    La Terre grondait dans une apocalypse de purification régénératrice. Rayait les pays de la carte, obscurcissait les cieux. Bientôt une planète sans soleil pour un nouveau cycle de vie. Hiver mondial garanti. Extinction massive des humains. Comme les dinosaures, jadis. Entre les deux infinis, l'astre tourbillonnerait sans fin, dans la valse de son ellipse immuable. Sans regrets ni remords.

     Vengeance accomplie. L'ère de l'anthropocène avait pris fin.
    Effinore le 24 janvier 2020
    Histoire de science-fiction : Et si les livres pouvaient sauver l'humanité 

                                                                           COMME CA, TOUT SIMPLEMENT

    C’est à la Grande Librairie que tout se gâta.

    Au troisième étage du Grand centre commercial très exactement.

    Tout pourtant s’était jusqu’ici si bien passé ! Idyllique ! Le premier contact avec des extra terrestres ! La terre n’y était pourtant pas préparée, la terre qui se battait encore contre elle-même, avec ses histoires de racisme et de religions, de guerres entre ethnies, et ses histoires de QI comparatifs, d’inégalités sociales, d’immigrations et de refus des différences. 

    Et puis un jour, c’était arrivé. Comme dans les histoires les plus banales de science fiction. Le ciel de la capitale avait enfanté un énorme vaisseau, pour la plus grande terreur de la population. Et ils avaient débarqué de celui-ci, bardés de protections anti-projectiles – on avait cherché d’abord à "se défendre", mais rien ne les atteignait. Comme dans les romans de science-fiction. Et les contacts avaient commencé, d’autant plus faciles qu’ils étaient tout à fait d’aspect humain. Qu’on le veuille ou non, cela facilite grandement les choses : imaginez qu’ils fussent de grosses araignées velues ou de longs mille-pattes poilus. Non, très humains paraissaient-ils…

    Et très pacifiques, très pacifiques, semblaient-ils (mais le doute toujours subsistait : qui n’avait en mémoire de perverses histoires d’envahisseurs subtilement et sournoisement maléfiques ?) Enfin, pour l’instant, très pacifiques semblaient-ils.

    Alors ils demandèrent à visiter. Et l’on n’osa pas leur refuser. Nos technologies les passionnaient, au grand étonnement des habitants de la terre plutôt complexés parce qu’ils ne pouvaient s’empêcher de penser que ces gens-là devaient être très en avance sur eux... Les visiteurs s’attardèrent beaucoup à la Cité des sciences. Ils étaient particulièrement intéressés par tout ce qui touchait à l’informatique.

    Puis ils arrivèrent au Centre commercial. S’attardèrent aux rayons des ordinateurs, télévisions, photographies, téléphonies, avec un petit sourire allant s’accentuant, un petit sourire un rien exaspérant. Sans aucun doute, ces visiteurs se rassuraient au fur et à mesure de leur visite touristique.

    Et c’est alors qu’ils arrivèrent à la Librairie. Leur sourire condescendant fit pour la première fois place à l’étonnement. Visiblement ils ne comprenaient pas. Comme on commençait à dialoguer (il faut dire qu’ils avaient une faculté de compréhension et d’expression hors du commun), ils voulurent savoir ce que représentaient ces objets alignés sur les étagères dont ils ne saisissaient absolument pas le sens.

                - Ce sont des livres… dit bêtement le chef de rayon auquel ils s’adressaient.
                - Livres ?...
                - C’est pour lire… dit encore plus bêtement leur interlocuteur.

    Et pourtant cette dernière précision fut pour eux une révélation :

                - Ah oui : des logiciels de lecture !
                - Oui, si l’on veut.
                - Et comment cela fonctionne-t-il ?
                - Ben… on ouvre le livre et… on lit, comme ça, dit le vendeur joignant le geste à la parole. 
                - Certes, nous entendons bien. Mais où se trouve le système lecteur ?
                - Hé bien…

    Le responsable de rayon baignait d’autant plus dans l’incompréhension que, passionné de lecture, il ne touchait guère aux technologies nouvelles. Les visiteurs insistèrent :

                - Montrez-nous le système traducteur. Vous placez vos logiciels, je veux dire vos… livres… dans quel appareil ?

    On vint à son secours :

                - Il n’y a pas de système traducteur. Ces ouvrages… enfin ces logiciels, se lisent… directement, si je puis dire, par simple contact visuel. Voyez nos clients qui feuillettent nos livres…

    Il s’interrompit, cherchant du regard une de ces multiples personnes qui s’installent habituellement dans un coin pour mieux examiner la teneur de telle ou telle production. Mais il n’y en avait pas ! Toutes les personnes présentes étant bien sûr en train de dévisager la délégation extra terrestre avec fascination. 

                - Directement ? Alors vous implantez une puce traductrice dans vos cerveaux ?
                - Mon dieu non ! 
                - Allons allons, nous venons de détecter l’interface de transcription et le système transmetteur.

    Ils venaient de découvrir les petits circuits magnétiques antivol discrètement insérés dans les volumes.

                - Non, cela n’a rien à voir, nous allons vous expliquer…

    Que rien du tout on ne put leur expliquer ! Parce que rien du tout ils ne purent comprendre !

    Alors le chef de la délégation extraterrestre se fâcha. Se fâcha tout rou… que dis-je ? tout… bigarré ! Il déclara qu’on leur cachait quelque chose. Parce que, franchement, où est l’intérêt d’une telle pratique, alors qu’il suffit d’insérer un logiciel dans un système qui vous dit – qui vous montre, même – ce que l’on veut savoir ? N’est-ce pas la raison d’être de vos ordinateurs ???

                - Pas seulement… Nous faisons également de la simple lecture en regardant les écrans.

                - Nous avons vu les images de vos appareils, nous avons entendu comment même ils vous parlaient. Et vous voudriez nous faire croire que vous pouvez entrer en contact avec … ces petits bâtons et petites courbes, directement ! Vous naîtriez ainsi avec cette faculté de les déchiffrer naturellement ?

                - Oh que non…
                - Ah vous voyez bien !
                - … que non, c’est un difficile apprentissage que doivent faire tous nos enfants dans nos écoles, et même certains ont parfois de grosses difficultés.
                - Et vous voulez en plus nous faire croire que vous martyrisez ainsi vos petits, alors qu’il suffit d’insérer un logiciel dans un …

    Il se répéta. Et déclara que nulle part dans la galaxie on n’avait vu aucune intelligence capable d’une telle pratique, et que puisqu’il en était ainsi, il était inutile de chercher toute coopération intra galactique. Et que cette tromperie des Terriens méritait une bonne leçon. Frémissements de peur dans la foule.  Reviviscences de Guerre des mondes et de Mars attacks …
     
    Il appuya sur un bouton de son habit scaphandre – ai-je dit qu’ils en avaient un ? mais tellement fin et discret, comme un film de protection alimentaire, qu’on l’oubliait totalement… enfin… tant qu’ils avaient semblé humains ! Mais à présent qu’ils se révélaient extra on ne sait quoi (a-t-on idée de devenir bigarré lorsqu’on est colère ?), on le voyait bien qu’ils n’étaient pas normaux, tout enveloppés de pellicule ménagère comme un vulgaire surgelé.

    Il appuya donc sur un bouton de son scaphandre, et toute la librairie s’éteignit. Tous les ordinateurs de l’établissement cessèrent de ronronner. Par bonheur, les lampes de secours s'allumèrent, ce qui eut l'air de contrarier le sinistre individu. Mais il recouvrit vite un sinistre sourire en déclarant :

                - Adieu, mémoire. 

    C’est ce que l’on comprit d’abord. En fait il fallait entendre : adieu mémoires, au pluriel. Car ces êtres à présent maléfiques avaient tout démagnétisé. La librairie tout entière. Le centre tout entier. Et bien au-delà.

    Ils partirent donc flamboyants de rage en claquant la porte de leur soucoupe. Ai-je également dit que, de leur  vaisseau resté dans le ciel, ils avaient débarqué en soucoupe ? Comme dans les histoires les plus banales de … ? Tant il est vrai que les auteurs de science-fiction n’inventent rien, mais ne sont que les témoins du futur.

    Leur vengeance fut terrible : prenant leur essor, ils démagnétisèrent la planète tout entière. Épargnant cependant provisoirement les appareils en mouvement, les avions en particulier, tant que ceux-ci se déplaçaient ; mais une fois au sol et immobiles, ils devenaient irrécupérables. Cette indulgence valut d’ailleurs à ces visiteurs d’outre monde la naissance d’une nouvelle religion avec des milliers d’adorateurs.

    Cette démagnétisation s’avéra irréversible. Plus d’ordinateurs, plus d’enregistrements, plus de téléphones, plus de transmissions radio, plus de télévision, plus… plus rien. La catastrophe économique qui s’en suivit fut incommensurable. Mais cela permit aux sociétés rurales d’émerger de ce chaos et ce fut la revanche de certaines populations jusqu’ici étouffées par les technologies modernes et dont tout le talent avait été de savoir jusqu’ici s’en passer.

    Plus de mémoire, plus de mémoires. Ils ricanaient bien, les extra et cetera : pas près de retrouver leur savoir perdu, ces Terriens, comme ils se nommaient ! Non seulement de prétentieux arriérés technologiques, mais qui plus est, des rétenteurs d'information ! Qui veulent dissimuler leur misérables systèmes lecteurs de leurs stupides logiciels de… papier !!! Leur plus récente découverte sans doute ! Hé bien, qu’ils s’en débrouillent, sans systèmes d’exploitation ! On repasserait voir ces gens-là dans un siècle ou deux pour savoir où ils en étaient de leur récupération de connaissances !

    ... Cependant que sur des milliers de rayonnages trônaient, impavides, ces millions de logiciels prêts à l’emploi, attendant d’être feuilletés tout simplement, feuilletés par les seuls êtres de la galaxie capables, par leur seul regard, de les faire parler dans leur tête… Comme ça, tout simplement.
    mariolga le 24 janvier 2020


    #272# ON AVAIT POURTANT ÉTÉ PRÉVENUS

    Je suis spéléologue, membre du SSF (Secours Spéléo Français)  et en tant que pompier,  je fais partie du GRIMP (Groupe de Reconnaissance et d'Intervention en Milieu Périlleux). Il y a 8 mois, très exactement, avec 3 autres membres du GRIMP, nous avons monté une opération « survie ». Cela consistait à passer plusieurs semaines sous terre, dans la grotte de C au moment des crues, pour vérifier qu’elle était sans danger pour les spéléos.

    Ce n’était pas une grotte facile d’accès. Il y avait d’abord une galerie qui descendait en pente douce pendant 200 m jusqu’à un puits de 80 m qui aboutissait à une rivière souterraine. Elle prenait parfois des proportions hallucinantes mais en été, réduite à son minimum de débit, on pouvait passer les différents siphons presque à sec pour accéder, sur la droite, par une galerie plus ou moins large de 3 kilomètres, à une grande salle qui excitait la convoitise de beaucoup de spéléos. Le problème c’est que la montée des eaux de cette rivière était soudaine et que de nombreux amateurs s’y étaient laissé surprendre. Sur la gauche, la rivière s’enfonçait dans des profondeurs de nombreuses fois sondées mais trop étroites pour être explorées.

    Notre but était de passer en période d’étiage et de mettre en relation la montée des eaux et le débit avec des pluies en surface et d’établir ensuite un topo indiquant les endroits où il était possible de se réfugier en toute sécurité.

    La météo annonçait des orages à partir du 22 août. Nous y étions donc arrivés le 20. Nous étions bien sûr en relation radio avec le PC de F… qui nous avait confirmé que les orages prévus avaient bien éclaté et nous avait indiqué la quantité de pluie qui était tombée. Des fluocapteurs de couleurs différentes avaient été placés dans les cours d’eau pour repérer d’où venait la rivière souterraine. Mais aucune montée des eaux ne s’était fait sentir sous terre. En accord avec le PC, nous avions décidé de continuer à désobstruer le fond d’un boyau fermé par un éboulis. Nous avions déjà commencé lors d’un précédent passage. C’est au premier tir que Georges avait été blessé à la tête. Il fallait le remonter d’urgence pour qu’il reçoive les premiers soins. Il fut convenu que Pierre et Gilles le ramèneraient et que je resterais sur place. Une ambulance l’attendrait sur la route, à 800 mètres de la sortie. Dès qu’il serait pris en charge, Pierre et Gilles reviendraient.

    Nous étions en contact radio, le PC, Pierre, Gilles et moi. Mais de suite après leur départ, ce fut le silence du côté du PC. Ils étaient déjà engagés dans le puits  quand l’eau avait commencé à monter. Ils étaient donc tirés d’affaire, mais seraient obligés soit d’attendre la décrue soit de retourner au PC pour reprendre du matériel de plongée avant de revenir car ils portaient déjà Georges et n’avaient pu se charger du matériel que nous avions emporté. Sans plus m’occuper d’eux j’avais fait ce pour quoi j’étais venu là : placer les deux limnigraphe pour observer la progression des eaux. Nous utilisions pour la première fois un limnigraphe électronique en complément de notre vieux  limnigraphe classique à flotteur. Il permettait de prendre les mesures en continu sans intervention pour changer le limnigramme : les capteurs utilisent un paramètre électrique qui varie en fonction de la pression exercée sur le système. L'appareil peut ainsi mesurer des différences de hauteur d'eau lorsqu'on l'immerge verticalement dans le cours d'eau. La pression de l'eau est transmise par l'intermédiaire d'une membrane solidaire de la partie mobile du  condensateur.]

    La dernière fois que je les avais entendus, ils venaient de sortir et étaient sur le chemin d’accès à la grotte. Ils prévoyaient un retour le lendemain.

    Dans les heures qui suivirent, aucun contact radio n’avait pu se faire. Cela ne m’avait pas vraiment inquiété, j’avais de quoi m’occuper. J’allais en profiter pour  continuer manuellement la désobstruction, pour faire les relevés des fluocapteurs et des paramètres physico-chimiques de l'eau de la grotte (température, PH, teneur en sels minéraux dissous, dosage chimique et mesure de la conductivité). J’avais suffisamment de provisions pour tenir plusieurs semaines puisque j’étais seul.

    Alors qu’à l’annonce des précipitations extérieures j’aurais pu m’attendre à un très fort débit, ce qui m’aurait permis de noter jusqu’où l’eau montait et déterminer une zone de sécurité, là il n’excédait pas des niveaux que nous avions déjà connus. Certes, on ne pouvait passer les siphons qu’avec un équipement de plongée, mais nous l’avions déjà fait. Le lendemain, j’attendis en vain le retour de Pierre et Gilles.

    Je commençais à m’inquiéter d’autant plus que les deux appareils électroniques, à savoir ma montre et le limnigraphe, ne fonctionnaient plus. A un moment que j’estimais être le milieu de la journée, un étrange phénomène s’était produit : juste après l’apparition de la coloration verte, la température de l’eau avait brusquement augmenté de 4° et très rapidement le débit avait diminué pour se tarir en quelques heures. A défaut de pouvoir prévenir Pierre, Gilles et le PC, j’avais décidé de remonter après avoir dormi un peu.

    Le soleil se levait lorsque je débouchais à la surface. Il faisait déjà bien chaud, aussi chaud qu’en pleine journée. Il y avait dans l’air un je ne sais quoi d’indéfinissable, une odeur émanant peut-être d’une substance qui n’était pas là lors de notre arrivée. Sa couleur et sa légèreté me rappelaient les résidus de pyrolyse et me firent penser que je devrais nettoyer mon four en rentrant. Chargé de tout mon matériel je transpirais à grosse gouttes en remontant vers la route. Je fus très étonné de voir que la voiture était encore là où nous l’avions garée. Ainsi donc je pensais que Pierre et Gilles étaient rentrés en ambulance avec Georges. La clef était à sa place habituelle, sur la roue avant côté conducteur. J’essayais de téléphoner avec mon portable que j’avais laissé dans la boite à gants mais il était déchargé.

    Je ne rencontrais pas une seule voiture, ni sur la route, ni aux abords de F… Je pensais qu’il devait être encore très tôt mais je pris quand même la direction de chez Fred où j’avais l’intention de déguster un bon café-croissants. Les tables en terrasse étaient déjà installées mais il n’y avait pas encore les habitués du petit matin. Lorsque je pénétrais dans le bar, je fus surpris de ne pas y trouver Fred. Personne non plus chez le boulanger ni chez l’épicier voisins, pourtant ouverts. Je remontais vers l’esplanade, mais là aussi, la place était déserte.

    C’était très étrange. La ville était normale, les voitures étaient garées le long des trottoirs, une légère brise faisait bruisser les feuilles dans les arbres et soulevait la poussière, mais il n’y avait pas un bruit et surtout pas un seul être vivant. En passant sur le pont, comme d’habitude je jetais un coup d’œil vers les truites. Il n’y en avait pas une seule.

    C’est là que j’ai commencé à m’affoler. J’ai couru jusqu’au PC dans l’espoir que quelqu’un puisse me dire ce qui se passait. Là aussi, tout était ouvert et désert. Il n’y avait pas d’électricité donc pas d’ordinateur. La radio était muette. J’étais comme fou en ressortant. Je me suis mis à courir partout, à ouvrir les portes des maisons pour vérifier, encore et encore qu’elles étaient vides. J’étais terrassé par une évidence à laquelle je ne pouvais pas me résoudre. C’est en tremblant que je suis arrivé chez mon père, sur la table de la cuisine, il y avait un bol plein de soupe, A côté, une cuillère, un morceau de pain, une assiette vide et un verre de vin. C’était son repas du soir. Il n’y avait pas touché, sauf le fromage. Sans plus réfléchir je me suis assis et j’ai mangé sa soupe. C’était réconfortant de retrouver les saveurs que je connaissais bien. Là aussi le sol était recouvert de poussière blanche. Et ça, chez mon père, ce n’était tout simplement pas possible. Lorsque j’ai imaginé ce que cette poussière pouvait être, je me suis précipité dans les toilettes pour vomir. Après cela, je suis resté un long moment à sangloter de désespoir.

    Puis ma vie s’est organisée, petit à petit. Un jour je suis allé jusqu’à la préfecture pour vérifier que là-bas c’était la même chose qu’ici. Ça l’était. Là-bas comme ici et comme dans tous les villages que j’ai traversés, sur les murs des administrations, quelqu’un avait écrit « Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce » mais personne, nulle part, n’a compris de quelle tempête il s’agissait. Alors je suis revenu dans ma ville natale. Là au moins, j’y ai mes repères. Sur les boites à lettres, je peux lire les noms de ceux que j’ai connus.

    Voilà, aujourd’hui, 26 avril, c’est le jour de mon anniversaire et il n’y a personne pour me le souhaiter. Je suis le seul et unique être vivant. Je le suis resté parce que j’étais sous terre. Je suis en bonne santé, du moins il me semble. Je mange à ma faim. Tout ce qui contenait des matières organiques d’origine animale a disparu, mais pas celles d’origine végétale. Ce qui fait que je mange des légumes, des fruits, des céréales. Je n’ai qu’à me servir, dans les 2 supermarchés de la ville, dans les épiceries ou même chez les gens. L’automne a été très arrosé, mais c’est assez habituel dans la région et l’hiver rigoureux. Heureusement pour moi, il y a ici encore beaucoup de foyers qui se chauffent au bois et qui ont des réserves à brûler. Pour me déplacer, j’ai la voiture et pour le carburant, je n’ai qu’à siphonner les réservoirs qui ne servent plus à personne. Mais je m’économise. Lorsque j’aurais épuisé toutes les réserves de F…, j’irai dans une autre ville. Après 8 mois de solitude, je garde néanmoins l’espoir d’y trouver, un jour, un autre être humain.

     

    Solen22 le 25 janvier 2020
    Bonjour,

    premier pas sur ce groupe.. merci pour ces supers défis :)


    "C’était comme une caresse. Un petit air chaud soufflant de manière irrégulière. C’était doux. Tellement doux. Et puis il y avait cette chaleur qui me brûlait agréablement le visage. Ce frisson qui me parcourait alors intégralement le corps me ramenait à de tendres souvenirs estivaux.

    Il n’y avait aucun son autour de moi. Enfin, me semblait-il. Contre ma main droite, je sentis tout d’un coup une sorte de glissement granuleux. Mes doigts remuèrent alors légèrement contre ces grains. Du sable. Je compris alors, à cet instant, que mes yeux étaient toujours clos. Comme ci je ne voulais pas les ouvrir Je voulais continuer à profiter de ce moment. Ce moment hors du temps.

    Une ombre passa alors devant mes yeux clos. Je sentis la brise se renforcer et se rafraîchir d’un coup. Cette enveloppe cotonneuse qui avait accompagnée mon réveil s’évapora subitement.

    Petit à petit, j’articulais chacun de mes membres. Quand je fus certaine d’avoir passé outre ce sentiment d’engourdissement et de paralysie, j’ouvris enfin les yeux. C’est alors qu’un vacarme assourdissant retentit. En même temps que l’image, le son de mon environnement atteignit mon cerveau. A leur tour, mes pensées reprirent leur course folle balayant en une fraction de seconde ce moment délicieux, silencieux, que je venais de vivre à l’instant.

    Avec difficulté, je réussis à me relever. La tête me tournait et je me sentais comme endolori dans le moindre recoin de mon corps. Au fur et à mesure, les couleurs et les formes se firent plus nettes, découvrant à mes yeux où je me trouvais. Aucune appréhension m’envahit, ni aucune peur. Je savais au fond de moi que je connaissais cet endroit. Me sentant encore un peu sonnée, je pris le temps de m’imprégner des paysages qui se dressaient devant moi. Tout autour, des falaises droites et saillantes. Soldes comme des rocs. En apparence. En apparence seulement. Car là, juste devant moi, ces falaises noirâtres s’étaient chacune affaissées sur elles-mêmes. Des pans entiers semblaient s’être abîmés sur la place ou plus loin, là-bas, dans la mer.

    Devant moi, la mer grise était agitée. Tourbillonnante. Cette mer ne semblait pas accueillante. Comme une menace. Et puis il y avait le ciel. Ce ciel d’un bleu gris profond et lourd. Ce ciel encore parcouru au loin d’éclairs. Ces énormes nuages roulants. J’entendis alors un grondement lointain. Comme un au-revoir.

    Et là, tout près de moi, la plage était méconnaissable. Des débris de bois jonchaient le sable. Des troncs d’arbres. Des coques de bateaux éventrées se trouvaient là. En amas rejeté.

    Je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Et pourtant toujours aucune panique ne m’envahissait. Comme-ci je savais que le pire était passé. Comme ci-je savais que j’avais eu de la chance de me réveiller. En apparence. En apparence seulement. 

    Un mouvement à ma droite me fit alors sursauter. Le corps tendu, en alerte, j’essayais de visualiser ce qui avait bougé là-bas. C’est alors que je me rendis compte qu’entre les falaises, la mer s’était frayée un large passage. A nouveau, j’aperçu un mouvement. Je me mis alors à rire. Toute seule. C’était simplement les éclaboussures des vagues venant s’écraser sur les roches. La houle était encore forte.

    Prenant appui sur mes mains, je me levais péniblement. Les premiers pas furent déséquilibrés, encore étourdie. Mes vêtements étaient trempés et me collaient à la peau. Quelques douleurs me traversèrent le corps mais je persévérais. Malgré cela, une certaine légèreté s’emparait de moi. Comme une sensation d’apesanteur.

    Après quelques pas sur le sable, je pris la direction du passage que j’avais vu quelques minutes plus tôt. Un escalier fabriqué dans les roches me fit prendre de la hauteur en m’amenant à une étroite coursive. C’est alors que je fus frappé parce que je vis. Les bras ballants, les larmes me montant aux yeux, je restais sidérée de voir ce spectacle de désolation devant moi. J’étais à l’entrée du port de ma ville. Et d’ici, je constatais avec impuissance le port ravagé. Fauchée par l’émotion, je tomba à genou, la bouche grande ouverte. Mais aucun son ne sortait de moi.

    Juste à ma gauche, le phare, gardien et veilleur de ce port, était effondré. La tête dans l’eau, barrant le passage  toute voie maritime.

    Malgré le tremblement de mes jambes, je me mis en marche vers la ville. Plus loin , les bateaux étaient amoncelés les uns sur les autres. Les mâts fendus et brisés, les voiles déchirés. Des morceaux de coques émiettées étaient éparpillées tout au long de la route. Les bâtiments, maisons et restaurants qui bordaient les quais étaient eux aussi comme éventrés. La mer avait du passer par dessus les quais et envahir les rues adjacentes. Plus aucune fenêtre, plus aucun volet n’étaient en place. Les cheminées s’étaient écrasées au sol et chaque toiture présentait des trous béants.

    Je m’arrêtais un instant pour tenter de reprendre mes esprits. Regardant plus loin, tout au fond du port, je vis alors que la falaise avait cédé, emportant avec elle l’immense viaduc qui enjambait autrefois le port. Un sinistre paysage se levait devant moi. Tout était gris. Je m’aperçu alors que plus aucune végétation n’était présente. Tout avait été déraciné. Écrasé.

    De l’autre côté du quai, entre les débris, j’aperçu les habitants de la ville découvrir à leur tour les dégâts. Ils étaient là. Tous hagards. Amorphes. Comme perdus. Je les rejoignis alors. Poussée par un élan de compassion. De tristesse aussi Comme une envie de m’unir. De les soutenir.

    En m’approchant de la place principale, je remarquais que les habitants se dirigeaient tous vers le centre de celle-ci. A ce moment-là, quelque chose m’interpella. Le silence. Le silence après le chaos. Seuls les pas feutré et lents des rescapés murmuraient. Le bruissement des pantalons. Sinon, plus aucun bruit aux alentours.

    Autour de moi, je reconnus certains visages. Mais je n’arrivais à capter aucun regard. Comme-ci j’étais devenue invisible. Au centre de la place, un murmure grandissant vint briser ce lourd silence. Des regards ébahis se tournaient dans tous les sens. Des yeux larmoyants. Des esquisses de sourire même. Alors je compris. Là, au beau milieu de cette place ouverte sur les quais et au désastre, le seul arbre encore debout trônait. Majestueux et fier. Un pépiement s’éleva alors des branches les plus basses. Deux rouge-gorges. Deux rouge-gorges étaient là. Là comme un miracle. Alors autour de moi, une chaleur se fit sentir. L’espoir. L’espoir renaissait face à cette nature qui avait su résister.

    La chaleur. Et puis la légèreté qui m’avait alors traversée se fit de plus en plus importante. Tout autour de moi, la place, les quais, le port et les habitants se firent plus flous. Comme distant. Tout devenait de plus en plus petit. Comme une aspiration. Je ne sentais plus rien. Je m’éloignais tout doucement. Là-haut. Là-haut je repartais. Je ne pouvais pas essayer de m’agripper à quelque chose. Ma place n’était pas ici. Ils avaient survécu. Eux. Les habitants. Cet arbre. Ces deux rouge-gorges. Et l’espoir avait triomphé.. - FIN- "
    MarvinK le 26 janvier 2020
    Bonjour à tous,

    Nouvel arrivant et chaudement accueilli, je vous prie de bien vouloir trouver ma première contribution à votre grande bibliothèque...
    Merci par avance de vos lectures.

    Puisque la fin du monde ne peut être qu'horrifique pour nous... âmes sensibles s'abstenir.



                Eugène


    " Allez, bon appétit ! Ca te va si je commence ? Honneur au chef de famille après tout.

    — ...

    — Tu vas dire que je radote, mais j'aurais jamais cru la voir cette fin du monde. Après, faut dire que c'était logique, depuis le temps qu'on abuse... Mais de là à ce que ça nous tombe dessus... Tu me l'aurais dit quand j'étais marmot que j't'aurais rigolé à la face. Et tout ça malgré les avertissements : les sécheresses, les tempêtes, les épidémies... Moi je pensais plutôt à une fin de l'homme par l'homme, genre les zombis ou les douze singes là, tu sais le vieux film, comment qu'il s'appelait déjà ? Ca aurait pété, genre invasion au centre commercial ! Left 4 Dead en VR ! T'imagines ton vieux père te protégeant de toutes ces hordes pourries ? La classe !

    — ...

    — Eh oui, en fin de compte, c'est l'eau qui a gagné... Un peu ironique quand même, on a commencé d'dans, logique qu'on y finisse. Sérieux, j'y aurais jamais cru que ça pouvait monter autant... et si vite... La crise quand ça a commencé, tu t'en souviens ? Moi j'étais tranquille au salon, à zapper sur YouTube, et j'ai vu les premières images : les digues des Pays-Bas, puis le nord de la France, les côtes, l'Europe, le monde... Tout ça en même pas dix ans, ça fait mal quand on pense. Et toi ? Qu'est-ce t'en dis ? C'est toi la tronche dans la famille maintenant que ta mère n'est plus avec nous... Paix à son âme, on serait tous les deux morts sans elle.

    — ...

    — Ne me regarde pas comme ça, j'ai fait ce que j'ai pu, il fallait réagir vite dans l'intérêt de la famille, dans ton intérêt. C'est toi notre avenir maintenant, les vieux se doivent de protéger les jeunes. Enfin, on a eu pas mal de bol dans tout ça. On a quand même pu trouver cette montagne qui dépassait, elle s'appelle comment déjà ? Atlas qu'il indiquait Google avant qu'j'ai plus de batterie. C'était pas un pilier sacré ça ? Un truc du style ?

    — ...

    — Et pis, c'est quand même plus cool un père et sa fille, quand on est que deux. C'est un peu comme romantique, ça garde l'espoir tu vois, l'idée que tout ça, un jour, ça pourrait repartir. Tu penses qu'ils y en a d'autres comme nous ? Quelque part ? Ce serait bien qu'on trouve des survivants, tu pourrais te faire des copines, ce s'rait bon pour nous deux. Et à ton âge, il faut se sociabiliser, voir le monde, voyager. Comme j'aurais aimé que t'ailles à la fac, j'aurais été fier ! Peut-être un peu jaloux aussi, parce que t'as beau en avoir là-d'dans, t'es quand même un sacré minois ! T'en feras craquer des garçons, j'te l'dis, rien de plus inquiétant pour un père comme moi.

    — ...

    — Je sais bien que ça a pas toujours été le beau fixe entre nous, mais on a fini par s'habituer, c'est plutôt bon signe. Et t'as vu, je suis pas prise de tête pour deux sous, je fais pas l'ancêtre ronchon qui pourrit l'ambiance... Je te respecte tu vois, je fais gaffe à toi, j'essaie quand même de t'améliorer ton quotidien... En plus, on se complète bien, regarde, rien qu'au niveau de la bouffe, avec le peu qu'on a, c'est une chance que tu sois vegan et que j'aime pas les légumes... Je reconnais qu'avant je trouvais ça débile, je pensais que c'était juste pour me provoquer, du genre une crise d'ado tu vois. Mais avec le recul, t'as bien fait, sinon on se cognerait tout le temps pour la bouffe. Alors que là, tu vois, chacun notre spécialité, ça compte sur une petite île comme la nôtre. Et t'as de la chance en plus, le jardin donne bien, alors que le gibier c'est pas ça. Tu vois, comment je dois me serrer la ceinture... Toi c'est royal, je m'occupe même de la popote ! Faut dire, comme j'étais cuistot, les petits plats dans les grands et tout ça, ça m'connait ! Chacun son truc. Pis, t'y viendras... J'ai lu une fois, un livre, avec Robinson je crois, il arrive à apprendre la cuisine à son gars, et même que, quand il y a goûté à son ragoût, ben y peut plus s'en passer ! C'est lui qui m'a donné l'envie de cuisiner tu vois, et franchement, avec le peu qu'on a, je peux te dire que j'fais des miracles. Sans parler de comment j'ai eu l'idée pour le lait, c'est sacrément couillu ça ! Et ça dépanne.

    — ...

    — …

    — …

    — Déjà fini... Plus c'est meilleur, plus c'est court ! C'est pas ça le dicton ? Enfin, le rôti y qu'ça d'bon ! Dommage que ce soit que tous les neuf mois. Allez, à toi, mais cette fois, évite de crier quand j'enlève le bâillon, ça sert à rien..."

                                                                                                                                    MKO
    Darkhorse le 26 janvier 2020

    Comme un poisson dans son bocal


              Même de là où on était, on a entendu l’explosion. Une déflagration soudaine, comme le rot d’un dieu refoulé depuis des millénaires et qui a jailli avec une force titanesque. La structure toute entière a même tremblé, et nous avec. Petit à petit, les nuages se sont parés de taches ocreuses.
    On a essayé de joindre la base. La première fois, ça a marché : « Tout va bien, nous maîtrisons la situation. Nous reviendrons vers vous en temps donné. » Voila ce qu’ils nous ont dit.
    Puis le blanc crémeux des nuages s’est entièrement changé en cette teinte brun-rouge, et bientôt la Terre entière s’est retrouvée couverte d’un manteau de rouille.

              Au bout de deux semaines, on a tenté de les rappeler. Mais plus rien, silence radio. Passé un mois, toujours pas de réponse. On a commencé à s’organiser en rationnant la nourriture et l’eau. Surtout pour Sergei, qui avait tendance à bouffer comme quatre. De son côté, Élisa a continué ses expériences biologiques et moi, j’ai continué à prendre mes mesures. Tous les deux s’inquiétaient pour leur famille. Sergei avait un fils en bas âge et Élisa était de jour en jour plus nerveuse, les messages hebdomadaires de son mari lui manquaient, ainsi que le sourire de ses deux jumelles. Elle n’arrêtait pas de se bouffer les doigts, grignotant ceux-ci comme un écureuil s’acharne sur sa noisette.

              Deux mois qu’on n’avait plus de nouvelles. De drôles d’éclairs parcouraient la chape de nuages. Ils avaient des couleurs inquiétantes, anormales, d’un noir fugitif et menaçant.
    Sergei devenait de plus en plus pénible. Il chantait à tue-tête en russe et ça en devenait exaspérant. De plus, il lançait des gaz de plus en plus nauséabonds à tout va. On se sentait comme dans une cocotte remplie de choux-fleurs là-dedans…
    Mon guppy, Miss Baker, me manquait énormément. La seule famille que j’avais. Je l’imaginais flotter avec nonchalance entre l’amphore et le scaphandrier, à l’aise dans son bocal. La regarder déambuler m’a toujours rassuré ; la meilleure des thérapies alors que parfois on se sent sombrer, incapable de remonter à la surface, lesté par les obligations de la vie.

               Au troisième mois, on a commencé à manquer de nourriture. Sergei et Élisa espéraient toujours que le ravitaillement viendrait nous sauver, qu’ils allaient frapper à la porte et sourire en grand pour dire : « Coucou, désolé pour le retard ! » Ils n’avaient pas idée de l’inconséquence de leur optimisme. Pendant qu’ils se berçaient d’illusions, je me préparais au pire. Bientôt nous allions manquer d’eau.
    Élisa finit par rester alitée, elle se plaignait de maux de têtes atroces. Le bout de ses doigts n’était plus que plaies rougeoyantes et lambeaux de peaux qu’elle s’évertuait à arracher avec une frénésie qui confinait à la folie. Elle était triste à voir.
    Sergei, lui, devenait fou. Il ne parlait plus qu’en russe et jouait avec tout ce qui traînait. Et en plus il était tout nu ! Ce diable se baladait à poil dans toute la station, refusant de porter tout vêtement. J’ai essayé de le remplacer pour la maintenance mais je n’ai que de piètres connaissances en la matière. Et puis ça puait... Le pétomane nous faisait un de ces concertos comme un trompettiste lancé dans un solo interminable !

              Alors qu’Élisa était allongée depuis cinq jours et que nous étions toujours sans nouvelles, Sergei est mort. Je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé, mais avant que son visage ne reste figé en une singerie de masque de carnaval, il m’a confié, en langue intelligible, une curieuse révélation : « La Mère-Patrie a mis son plan à exécution ! Ils ont trompé tout le monde, mais ils se sont aussi trompés eux-mêmes ! En voulant déployer leur nouvelle force, l’énergie contenue dans le fragment de la météorite de Toungouska, ils ont réveillé la colère de Perun… Mais ces imprudents n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient. Les fous, Ax ! Les fous, ils se sont noyés dans leur complexe d’infériorité, dans leurs illusions de grandeur et de renouveau. Ils ont condamné la Terre et ses habitants à une ère de désolation. Cours Alexandre, cours te réfugier sous terre et prie pour que le Domovoï veille sur ton terrier ! »
    Voici ses derniers mots. Tu vas me manquer Sergei, mais finalement ce n’est pas si mal… Au moins, l’air recyclé est de nouveau respirable.

              Hier je suis resté au chevet d’Élisa. Elle était agonisante, au bord de l’abîme, et je l’ai vue partir. Il n’y avait rien de poétique dans cela. Elle m’a regardé, apeurée et suppliante. Son corps était tellement maigre que j’ai cru qu’elle partirait en poussière. Mais non, elle s’est plutôt changée en un glaçon de chair, froid et rigide. J’ai vu l’étincelle dans ses yeux quitter son foyer. Où est-elle partie ?
    Les éclairs noirs dont les grondements arrivaient même jusqu’à nous se sont tus. Ils sont figés dans la chape devenue immobile comme une immense couverture de glace. J’ai même l’impression que la Terre s’est arrêtée de tourner.

              Pendant que j’écris ces lignes et que j’aperçois le hublot de l’écoutille, je me demande ce qu’il advient de Miss Baker en ce moment ? Est-ce que les guppys, à l’aise dans leur bocaux, ont réussi à survivre au cataclysme ? Qu’a-t-il bien pu se passer devant leurs petits yeux globuleux ? Ont-ils conscience de ce qui est en train de se passer ? Pour ma part, je pense que oui. À force de contempler Miss Baker j’ai établi une sorte de connexion, un échange cognitif qui a balayé le mur solide de mes perceptions humaines. Jusqu’à creuser une brèche qui a permis l’irruption de sensations nouvelles. Ce n’est pas quelque chose que je peux interpréter, ça se ressent de façon instinctive.
    Par le hublot, le vide stellaire, la Mare Incognitum, qui attire mon regard comme les yeux de Miss Baker séduisent mon attention. Alors j’ai pris une décision. Je ne veux pas mourir seul ici, accompagné de deux cadavres et enfermé dans un tombeau de verre et de métal en orbite. Je vais donc enfiler une combinaison spatiale extra-véhiculaire et je vais sortir puis me laisser porter par l’inertie gravitationnelle. Je vais flotter dans cette mer infinie, comme un poisson dans son bocal.





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