Le jour où tout à basculé

Le chemin du bonheur n'est pas droit, il existe des virages nommés erreurs : et si j'étais dans un de ces virages ?
- Tu as l'air étonné.
- Non je suis juste dubitatif.
- Pourquoi ?
- Où sommes-nous ?
Elle sourit du fin fond de ses yeux en amande où j'ai bien envie de sombrer.
- Peut-être dans ton imagination.
- Que veux-tu dire ?
Mes questions en suspens restent obsolètes quand je découvre à perte de vue un champs de boutures en émergence : une myriade de boutures desquelles s'exhalent des senteurs parfumées qui semblent provenir du jardin des délices.
Après la vision, l’ouïe, voici donc mon troisième sens, celui de l'odorat, qui se trouve émoustillé. Je me demande alors qu'elle va être ma prochaine sensation dans ce crescendo de perceptions.
- Tu as ici l'ersatz de la pensée humaine depuis la nuit des temps. Regarde ici, c'est une rangée de pensées de philosophes. Voici les temples des blogs perdus, tous ceux qui ont existé et qui ont fermé. En haut de chaque plant tu as leur page d'accueil.
Je n'en reviens pas. Tous ces arbrisseaux en croissance qui s'agitent autour de moi me donnent le mal de terre.

La Chose étrange vient de tomber en plein centre ville.
On l'appelle la Chose car nul n'a idée de sa provenance, de la manière dont elle est arrivée, de sa constitution, de son utilité, et de la raison de son existence.

Le journal de Middle Land lui consacre un article à la Une ce matin. Et ce n'est pas donné à n'importe quel journaliste de rédiger un texte sur une Chose sans fondement ni raison d'exister :

« Aux premières lueurs du petit jour, les habitants de Middle Land ont pu découvrir, en plein cœur de leur chère ville, au milieu du Boulevard de la Liesse, une chose étrange d'une grosseur assez imposante. Très rapidement les services de l'ordre et les pompiers ont été dépêchés. Un périmètre de sécurité a été tracé et la circulation a été coupée dans l'ensemble du quartier. En fin de matinée les services de déminage ont écarté l'éventualité d'une bombe, ce qui a rassuré les habitants de la périphérie. Des comités scientifiques sont très vite arrivés afin d'essayer d'identifier cette Chose énigmatique et de donner plus d'informations aux habitants de Middle Land. »

Mais aujourd'hui, tout à coup il se tétanise: le corps d'Elfine se trouve subitement baigné par un nuage vaporeux d'un gris sombre et grouillant. Toutes les couleurs dérivées du noir et tous les timbres sombres s'y mélangent. Tom a peur: les couleurs de son œuvre d'art matinale se sont si soudainement obscurcies! Il bondit hors de son lit, comme un gibier effrayé. Il se demande si cette vision est réelle ou si elle ne découle pas de son vil souhait de peindre Elfine en tableau tous les matins.
Mais non, le nuage obscur continue à stagner; il flotte toujours, il est bien là, dégoulinant autour de la silhouette d'Elfine qui continue à lui sourire radieusement.
Il doit s'éloigner de cette crasse glaciale qui spolie sa bien-aimée. Il ne peut plus respirer, sa gorge est prise dans un terrible étau. Il ne supporte pas cette vision d'horreur qu'il vient de cajoler tendrement et d'embrasser partout. Il est épouvanté et ne pense qu'à se laver de ce cliché morbide qui semble le narguer: il ferme les yeux et se force à penser: « une bonne douche et tout ira mieux après ».

Votre anti virus vient de détecter une anomalie.
A la lecture de ce message qui venait de s'afficher à l'écran accompagné d'une grosse croix rouge agressive, IL se sentit tout à coup fragile, IL eut presque la nausée. La peur d'échouer l'étreignit dans son étau et se resserra sur lui, IL eut du mal à respirer. IL cliqua désespérément, le système était bloqué, IL transpirait, IL avait la tête qui tournait. « USB présence » Il fallait absolument qu'IL sache ce que ce concept était à même de changer dans sa triste vie. IL cliquait, IL cliquait, sa souris dansait une sérénade macabre sur son tapis, IL cliquait, IL cliquait, le désespoir irradiait dans ses veines. Et puis l'écran donna enfin signe de vie :
Afin de protéger vos données personnelles, voulez-vous nettoyer le système ?
Ce message le fit sourire. IL ne savait pas vraiment si c'était un rictus de soulagement ou un sourire de raillerie mais au moment où IL le lut IL s'en moquait éperdument. Cet ordinateur analysait bien son existence : Il y a longtemps en effet qu'IL aurait dû nettoyer sa vie.

Depuis quelques mois « Eau de Pleurs » essaie de nous former au cours de réunions bimensuelles d'information, à récolter également les larmes du bébé, celles qui accompagnent le premier cri, leur entrée dans la vie, le Monde, l'Univers.
Celles-ci sont un ersatz bien plus précieux que l'or et il faut rester très prudent avec leur commercialisation. Elles doivent être immédiatement mises sous scellées et transportées aux laboratoires de notre firme.

- Vous acceptez que je prélève les larmes de Matthéo ou vous préférez les garder ?

- Combien vous m'en donnez ?

A cette froide remarque tombée au milieu d'un nuage d'amour, mon cœur semble s'arrêter. A quoi cela sert-il de redonner aux gens leur foi en l'humanité si c'est pour déshumaniser les sentiments ?

- Non gardez-les, elles n'ont pas de prix.

Le visage angevin de la maman s'est obscurci. Je n'avais pas remarqué ses rides tout à l'heure ou alors j'avais la tête ailleurs.
- Mais puisque je vous dis que je souhaite les vendre !