La femme de peau est un roman éminemment moderne et aborde plusieurs questions intéressantes.
La première est le rapport au monde que nous entretenons à travers notre propre corps. La superficialité dont nous faisons presque tous preuve d'une façon plus ou moins prononcée et de l'importance que nous plaçons dans le jugement des personnes croisant notre chemin. Que vont-ils penser ? Pire, que vont-ils dire ? On s'est tous déjà posé cette question lorsqu'on s'est aperçu, un matin, de la présence d'un bouton de fièvre ou d'un autre, disgracieux, en plein milieu de notre figure. Dans notre société où cette peur s'est accrue jusqu'au paroxysme (nous utilisons des filtres pour masquer nos défauts, nous retouchons nos photos, nous rognons tout ce qui nous importune…), on observe que cette angoisse, à l'état embryonnaire comparé à notre présent, était déjà parmi nous au siècle dernier. Malgré la guerre, malgré la faim, le rationnement, les bombardements, il existe toujours chez l'être humain ce rapport malsain au jugement des autres et au qu'en dira-t-on.
Le deuxième raisonnement intéressant de ce récit est celui émanant de l'auteur lui-même à travers la notion du dolorisme, concept dont il se revendique la paternité. Subir une douleur (qu'elle soit mentale ou physique, dont l'origine est liée à notre corps) tellement immense que c'est toute la psychée de l'individu qui faillit. Alors viennent la perdition totale et la folie. On sombre complètement. Notre monde se transforme et se remplit petit à petit des obsessions douloureuses qui nous torturent. Nous devenons esclave de notre condition de chair. Il n'existe plus que ça, nous ne vivons plus que pour et à travers cette douleur. Dans ce roman, ce qui débutait comme un simple petit bouton à peine discernable sur le corps d'une jeune fille en pleine santé mentale et physique, devient petit à petit, au fil des années, la seule cause de son malheur irréductible. La complaisance perfide et malsaine dont elle fait preuve à l'égard de sa maladie la fait replonger périodiquement dans la douleur, elle se cloître alors éternellement dans les limbes de sa chambrette d'adolescente. Cette complaisance, envers laquelle le lecteur se courrouce, tant elle lui paraît invraisemblable et mortifère pour le sujet lui-même, ne sont que les symptômes de la folie qui pointe le bout de son nez chez une jeune fille innocente.
Ainsi, Teppe, par l'exemple qu'il nous donne de son dolorisme à travers
La femme de peau, nous plonge au plus près de cette angoisse que l'on connaît tous mais dont la résonance nous parvient d'autant plus clairement lorsque l'on vit au début du 21ème siècle, précisément là où notre société se voit gangrénée par le paraître. En outre, il nous donne à travers la situation de ce personnage les prémices d'une réflexion sur le fonctionnement psychique profond de l'âme humaine. Fonctionnement dont la psychanalyse, d'abord, et la psychologie scientifique, plus tard, s'empareront tour à tour afin d'aider l'Homme à retrouver un peu de raison et d'éclairer son chemin lorsqu'il se perd à l'intérieur de cet abîme obscur en lequel il est parfois happé contre sa volonté, évidemment, mais sans, non plus, y opposer une franche résistance.