Citations sur Le Feu sur la montagne (48)
L’été avança, chaud et sec et magnifique, si magnifique que ça vous brisait le cœur de le voir en sachant qu’il n’était pas éternel.
Le monde avait l’air différent d’en haut. Il avait l’air meilleur. Une joie primitive s’épanouit dans mon cœur alors que je guidais mon cheval vers la sortie. Un léger coup de talon, et il avançait; une petite tension sur les rênes, il s’arrêtait. Je me penchai en avant et caressai sa puissante encolure. Ce bon vieux Blue… J’avais l’impression de faire dix pieds de haut, j’étais le maître des chevaux et des hommes. Les oiseaux sauvages qui criaient dans le désert faisaient écho à l’ivresse de mon âme.
Regardant droit devant, je vis un vautour s’envoler d’une carcasse de lièvre sur la route et rester en l’air, à proximité, le temps que nous roulions sur son déjeuner. Derrière cet oiseau noir aux ailes bordées de blanc se dressait le ciel de l’Ouest, le ciel immense et violet qui coulait au-dessus des plaines alcalines et des dunes de sable et de gypse vers les montagnes pointant comme des chapelets d’îles, comme une armada de vaisseaux pourpres, là-bas, sur l’horizon.
Au-delà du mur de la ville irréelle, au-delà des enceintes de sécurité coiffées de fil de fer barbelé et de tessons de bouteille, au-delà des périphériques d’asphalte à huit voies, au-delà des berges bétonnées de nos rivières temporairement barrées et mutilées, au-delà de la peste des mensonges qui empoisonnent l’atmosphère, il est un autre monde qui vous attend. C’est l’antique et authentique monde des déserts, des montagnes, des forêts, des îles, des rivages et des plaines. Allez-y. Vivez-y. Marchez doucement et sans bruit jusqu’en son cœur. Alors…
A travers les strates oscillantes de chaleur et de lumière, je regardai les contours mouvants des chaînes de montagnes se fondre les uns dans les autres, flottant sur un océan de brume jaune. C'était le pays de l'illusion et du mirage.
- Mais à qui appartient cette lumière ? Cette montagne ? Cette terre ? Qui possède cette terre ? Répond à ça vieux cheval. L’homme qui en a le titre de propriété ? L’homme qui la travaille ? L’homme qui l’a volée en dernier ?
Le soleil brillait dans notre dos tandis que nous chevauchions vers la montagne, la montagne de Grand-père, et devant nous nos ombres s’étiraient de manière grotesque [...].
- Je suis la terre, dit Grand-père. Ca fait soixante-dix ans que je bouffe cette poussière. Qui possède qui ? Il faudra qu’ils me labourent.
- Vous savez, je peux comprendre votre affection pour ce coin désertique. Je ne la partage pas, mais je peux la comprendre. Je peux même avoir de la sympathie pour elle. Cette région est… presque sublime. Cet espace, cette majesté. Ce majestueux espace qui domine tout. Et pourtant… ce n’est pas tout à fait humain, hein ? Je veux dire par là que ce n’est pas tout à fait conçu pour la vie humaine. C’est un pays fait pour les dieux, peut-être. Pas pour les hommes.
Mais à qui appartient cette lumière? Cette montagne? Cette terre? Qui possède cette terre? (...)L’homme qui en a le titre de propriété? L’homme qui la travaille? L’homme qui l’a volée en dernier?
— [ ... ]Cette cabane est assez haute pour moi. Elle est à peu près aussi proche du Ciel que je pourrais jamais vouloir aller. Vous pourrez m’enterrer là.
— Il faudra y aller à la dynamite, dit Lee.
— Ci-gît John Vogelin : né quarante ans trop tard, mort quarante ans trop tôt, dit Grand-père.
— Pourquoi quarante ans trop tôt ?
— Je me dis que dans quarante ans la civilisation se sera effondrée et que tout sera revenu à la normale. Et j’aimerais être là pour voir ça.
— Pourquoi ? Tu te retrouverais exactement à ton point de départ.
— Ça me ferait plaisir. Le point de départ, c’est un bon endroit pour finir.
— Tu veux pas aller de l’avant ? dit Lee en m’adressant un sourire.
— Je préfère rester derrière.
— Assis sur ton derrière, tu veux dire.
— Ne m’embrouille pas. C’est un truc que j’ai mis soixante-dix ans à comprendre.
— Je sais ce que tu ressens, et je partage ton sentiment. Moi aussi, j’ai consacré dix ans de ma vie à cet endroit, hein. Mais écoute, John. (Il fit un geste vague avec la main.) Est-ce que cette terre t’appartient vraiment ? Est-elle vraiment à toi ? À qui appartient la terre ? Il y a cent ans, elle appartenait aux Apaches, et rien qu’à eux. Ton père et d’autres comme lui la leur ont volée. La compagnie de chemin de fer et les grosses entreprises d’élevage et les banques ont essayé ensuite de la voler à ton père et à toi. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui va te la voler. Ce pays a toujours été infesté de voleurs. D’où crois-tu que cette montagne tire son nom, hein ? Dans cent ans, quand nous serons tous morts, tous enterrés, tous oubliés, cette terre sera toujours là, ce seront toujours les mêmes arpents de cactus et de sable desséchés, brûlés, qu’aujourd’hui. Et un autre voleur stupide tirera une clôture autour deux et clamera qu’ils sont à lui, qu’ils lui appartiennent, et interdira à tout le monde d’y mettre les pieds.