Le temps remuait et s'avançait vers moi. Il était là depuis le début, sur la main du peintre, dans sa main tracée sur l'air, sans matière, flottante.
Quelque chose en moi suivait des couleurs invisibles.
Dans ce silence, c'est la vie qui, de l'infini le plus lointain, s'approchait de moi et, au passage, dérobait à la nuit des lambeaux d'étoiles comme des peaux mortes à la surface du soleil, comme l'amour et la douleur arrachent des copeaux de corps fossilisés par l'érosion durable de la mélancolie.
En secret, une part qui m'était étrangère me guidait vers le point de lumière, au-delà des pierres, la faille qui, un jour, s'ouvrirait pour ne plus se refermer. Au bord de la vie, elle sauvegardait mon dedans disponible à l'éveil.
Jour après jour, année après année, les décennies ont passé et je continuais de disparaître dans l'image du monde. Je m'engouffrais dans un reflet orphelin.
Je m'étais laissé tombé dans l'attente, livré à elle, donné à elle.
J'étais vivant et seul.
C'était la fin de l'exil intérieur.
Tous les jours sans moi elle meurt. Laisser un enfant de deux ans partir seul loin de soi, ne plus le voir, ne plus être là quand il dort, quand il joue, quand il a froid, quand il pleure ou quand il rit, quand il a peur du noir, ne pas le voir grandir, même deux jours, c'est comme un décès sans que le corps ne soit jamais rendu.
Oui, l’amour est cette ombre parfumée qui ne vous quitte jamais. Vivre ce lien comme si l’autre était l’ombre vivante de soi et soi l’ombre vivante de l’autre.
La guerre transforme chaque bonheur en brûlure parce qu’on se dit toujours que ce sera le dernier.
« Ecrire est toujours un don de soit à autrui, un appauvrissement. »
Les années sont passées comme un seul jour. Je n’avais plus rien à faire sur l’île de ma mélancolie. Je suis sorti par le trou qu’un papillon aux ailes féeriques m’avait montré comme dans un conte.
Il faut faire l’amour comme le pinceau traverse l’espace, il faut vivre comme les livres se font, dans la lenteur de l’urgence d’aimer...
J’attendais ce retour comme le désert attend la pluie.
L’amour est cette ombre parfumée qui ne vous quitte jamais. Vivre ce lien comme si l’autre était l’ombre vivante de soi et soi l’ombre vivante de l’autre.