Alexandra David-Neel : Exploratrice et féministe

Ancien instituteur en Touraine, il devient journaliste et s'associe au mouvement des intellectuels en faveur de la République qui aboutira à la révolution de 1848. Quelques mois après, en décembre 1848, c'est le neveu de Napoléon, Louis-Napoléon Bonaparte qui est élu président de la Seconde République au suffrage "universel", où seuls les hommes votent. Socialiste et franc-maçon, Louis David s'implique de plus en plus dans la vie politique en tant que journaliste, et dénonce les manoeuvres de Louis-Napoléon pour capter à son profit l'héritage de la révolution populaire de 1848. En effet, trois ans plus tard, le 2 décembre 1851, il fomente un coup d'Etat qui met fin à la république et restaure l'empire. Comme de nombreux intellectuels, dont Victor Hugo, Louis David dénonce les ambitions de Napoléon III que Hugo appellera "Napoléon le petit". Comme Victor Hugo, Louis David est exilé sur ordre du nouvel empereur et ils se retrouvent tous deux à Bruxelles. Hugo partira pour Jersey puis Guernesey, tandis que Louis-David s'installe à Louvain. C'est là qu'il rencontre Alexandrine Borkmann, la mère d'Alexandra.

L'enfant trouve réconfort auprès de son père Louis David, mais c'est un homme accaparé par ses combats politiques. Il a cinquante-trois ans à sa naissance. Protestant, d'un tempérament pessimiste et sans illusion sur la nature humaine, il est soucieux de donner une éducation rigoriste à sa fille, à l'image du calviniste qu'il est.

"Mon pauvre papa qui est la seule personne que j'ai le plus aimée au monde [...]. Un homme charmant, un causeur brillant, érudit, de la bonne race des vieux normaliens [···]. Je suis tellement sa fille, sa fille à lui tout seul, et je hais si fort en moi, tout ce qui peut m'avoir été transmis par l'hérédité maternelle."

Bénéficiant de l'amnistie de Napoléon III, Louis David rentre à Paris en 1859 avec sa jeune épouse Alexandrine; Victor Hugo ne reviendra en France qu'en 1870, refusant l'amnistie. Louis-David et Victor Hugo resteront amis toute la vie, et Alexandra aura plaisir à raconter qu'elle jouait enfant sur les genoux du grand écrivain.

Qu'y a-t-il de pire pour un enfant que de se sentir non désiré et mal aimé?

Mais Alexandra a entendu parler des mouvements féministes en Angleterre, en France. Elle connaît les combats de Louise Michel pendant la Commune de Paris. Mais comment être libre ? Comment gagner sa vie ? Ecrire? Elle sait bien qu'il ne peut être question d'en vivre. Enseigner? Mais alors, adieu les projets de vacances au long cours ! Le piano ? Elle joue très bien, mais l'époaue n'est pas

C'est lui qui préfacera le premier opus d'Alexandra : Pour la vie, manifeste pour la liberté des femmes, l'égalité des sexes et contre l'asservissement des femmes dans le mariage et la maternité.

Elle a découvert la nature, la montagne, la forêt, les chemins escarpés que traversent les mouflons et les daims. Là est la vraie vie ! La morale conventionnelle de madame David n'a plus aucune prise sur l'adolescente sauvage aui vient de passer des semaines seule dans l'immensité grisante des cimes. Elle en est convaincue désormais : rien ne l'empêchera de vivre comme elle l'entend.

Son aplomb et sa maturité lui permettent de franchir toutes les frontières : en 1883, pas besoin de passeport pour voyager, ainsi qu'elle l'écrit dans L'Inde où j'ai vécu: " Il y a un peu plus de cinquante ans [avant la guerre de 1914], chacun de nous pouvait parcourir la terre à son gré [..]. Les passeports étaient inconnus, comme l'étaient aussi les multiples vaccinations qu'on inflige maintenant aux hommes transformés en cobayes."

A l'adolescence, Alexandra s'intéresse à toutes les religions, elle lit le Talmud, le Coran, la Bible et les Evangiles. "Il ne suffit pas de croire à l'existence de Dieu, il faut "qu'on soit bienveillant comme lui, miséricordieux comme lui, facile au pardon et plein d'amour comme lui", écrit-elle dans ses carnets, citant le Talmud. Pourtant, son exaltation mystique, son désir éperdu de foi se heurtent à son intelligence raisonneuse. "Que ne donnerais-je pas pour avoir la foi des enfants, écrit-elle. God is love. Moi, je ne suis qu'égoïsme, haine, amour des choses terrestres. [..] Ce nuage qui s'interpose entre Adonaï et moi, c'est mon égoïsme qui, comme un brouillard, monte devant mes yeux et me voile sa face."