Beaucoup d'ouvrages ont déjà été publiés sur
Paul Gauguin, ses oeuvres et sa vie d'artiste en tant que figure de l'École de Pont-Aven. Dans ce livre, publié par Locus Solus Éditions,
Laure Dominique Agniel opte toutefois pour une approche sensiblement différente. En effet, elle redonne à Gauguin sa voix par le biais de ses correspondances et des témoignages de proches, tandis qu'elle retrace le parcours singulier et peu connu de ce voyageur infatigable.
Après une petite enfance heureuse passée au Pérou, berceau de son arrière-grand-père maternel, il a bien du mal à oublier ce beau pays et se sent comme un « Indien dans la ville » lorsqu'il se retrouve cloîtré dans un pensionnat d'Orléans. Pas étonnant donc que dès l'âge de 17 ans, il s'engage comme matelot sur un cargo en partance pour l'Amérique du Sud. Après 6 années passées à naviguer sur toutes les mers du monde, le voilà agent de change à Paris, puis marié à une jolie jeune fille danoise, Mette Sophie Gad, que lui avait présentée son ami peintre Pisarro.
Dans les années qui suivent, la peinture prend de plus en plus de place dans sa vie, l'incitant à franchir le pas et à tenter d'y « trouver son existence », au risque de négliger sa famille comptant déjà 4 enfants.
Commence alors pour Gauguin ce qui deviendra une vie d'errance, lorsqu'il décide de laisser à Copenhague ses enfants qu'il adore et sa femme, excédée et déçue par ce mari qui se prend pour un artiste, incapable de subvenir à leurs besoins.
C'est à Pont-Aven, en Bretagne, qu'il trouvera pour un temps la liberté de créer, mais l'art ne nourrit pas son homme. Il choisit alors de partir pour le Panama, la première étape d'un long périple qui le conduira en Martinique, à Tahiti et finalement aux Marquises. Il s'était pris à rêver d'un atelier dans les Tropiques avec quelques uns de ses amis peintres, mais c'est seul qu'il quitte le port de Marseille en 1891.
Installé à 50 kms de Papeete, il découvre avec exaltation les paysages et les hommes et femmes tahitiens. Il produit rapidement de nombreuses toiles et écrit énormément. L'auteure reprend divers passages de ses nombreuses correspondances dans lesquelles il s'exprime par des images, comme en peinture, très précises et hautes en couleurs, à l'instar de ses oeuvres tahitiennes vibrantes de couleurs et de lumière. La belle et très jeune Teha'amana avec qui il vit désormais l'inspire : pour s'en convaincre, il suffit d'admirer la Femme au Mango, un superbe portrait d'elle.
Après 2 années à Tahiti, il rentre à Paris, impatient de voir comment ses oeuvres seront perçues mais aussi de retrouver sa famille et ses amis. C'est un échec cuisant sur toute la ligne : ses expositions sont boudées, car il reste une énigme et « le public est dérouté par ces femmes maoris qui le regardent fixement, sans sourire ». de plus, les relations avec sa femme sont au plus mal, toujours en raison du manque d'argent. Blessé par l'échec de ses projets, il repart à Tahiti, cette fois sans réel espoir de retour.
Entre temps Tahiti a changé et Teha'amana s'est mariée. Il se trouve une nouvelle compagne et se remet à peindre. Son énergie retrouvée est une nouvelle fois brisée lorsqu'il apprend la mort de sa fille adorée Aline, à seulement 20 ans.
S'il peint encore de nombreux chefs d'oeuvre durant cette période, il est conscient que sa santé commence à décliner. Il tente même d'en finir avec la vie, sans succès fort heureusement. La naissance de son fils Émile lui redonne un temps confiance et énergie mais, à 53 ans, alors que sa compagne est repartie dans sa famille avec leur fils, il décide de partir s'installer seul aux Îles Marquises, l'archipel habité le plus isolé du monde.
Gauguin est émerveillé par ce qu'il découvre, c'est « ici qu'il va renaître, créer, sculpter et peindre de nouveau ». Pourtant, en 1901, la situation aux Marquises est dramatique, la culture de ses habitants se meurt, sculpture, danses, tatouages et même langue y étant interdits par les colons et l'Église, déterminés à remettre ces « sauvages » sur le droit chemin. Installé dans sa cabane à pilotis, à la fois atelier et maison pour recevoir ses amis marquisiens, Gauguin observe la lente agonie de l'archipel sous le joug de la colonisation et il a vite fait de choisir son camp, celui des Marquisiens. Il va désormais consacrer le plus clair de son temps à défendre leurs droits et leur culture, ce qui lui vaudra de nombreuses démêlées avec l'administration. L'auteure inclut ainsi de nombreux extraits de correspondances adressées à l'administration par Gauguin, généralement restées sans réponse.
Malgré sa santé déclinante, Gauguin continue à peindre, écrire et sculpter en s'inspirant des sculpteurs marquisiens, admirant avec 100 ans d'avance ce qu'on appelle aujourd'hui les arts premiers.
Paul Gauguin meurt seul, en mai 1903. Il est enterré à la va vite et sa maison est en partie pillée. de nombreuses toiles et oeuvres du peintre sont brûlées sur l'ordre de l'évêque, car jugées obscènes. Parmi les effets retrouvés, figure le tableau Village breton sous la neige, dont Gauguin n'avait jamais voulu se séparer au fil de ses voyages.
Ce livre, écrit à la manière d'une biographie, se penche sur la vie de Gauguin plutôt que sur son oeuvre. Il regorge de détails méconnus, s'appuyant pour cela sur les écrits du peintre lui-même. On y découvre un homme aimant profondément sa famille, mais incapable de résister à sa passion dévorante qu'était la peinture. Sa vie semble avoir été une fuite éperdue jusqu'aux Marquises, où il repose désormais sur l'île d'Hiva Oa, là où à quelques mètres de sa tombe,
Jacques Brel a voulu être enterré afin d'être avec lui « comme les deux larrons à côté du Christ ».
Merci à Babelio et à
Laure Dominique Agniel pour ce livre qui m'a beaucoup appris sur
Paul Gauguin. L'ouvrage publié par les Éditions Locus Solus est doté d'une très belle couverture (un autoportrait photographique de
Paul Gauguin en costume breton) et comporte un encart en couleurs d'environ 15 pages illustrant des photographies et oeuvres du peintre.