Alexandra David-Neel : Exploratrice et féministe

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Rien n’arrête la jeune intrépide. Elle offre la plus parfaite indifférence aux punitions. Les privations ne la gênent pas, et elle ne s’intéresse pas à ce qui fait la joie de ses amies : les robes, les bijoux, les parfums. « Bien avant ma quinzième année, je m’étais aussi exercée, secrètement, à bon nombre d’austérités extravagantes : jeûnes et tortures corporelles dont j’avais puisé les recettes dans certaines biographies de saints ascètes trouvées dans la bibliothèque d’une de mes parentes16. » La jeune fille est convaincue que, pour voyager de par le monde, il faut faire de son corps un instrument robuste et infaillible. Cela lui sera très utile lorsqu’elle traversera l’Himalaya, marchant pendant quatre mois en plein hiver. 

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On a réclamé le droit de vote : c’est à dire le droit à l’obéissance . Le droit de déclarer soi même que l’on renonce à être maître de soi pour subir la volonté de quelques individualités aux décisions de qui l’on se soumet d’avance en les élisant.

La lecture des réflexions qu'elle note sur ses carnets montre la naissance d'une prise de conscience sociale: "Ô mon frère, toi qui es riche, songe que les miettes de ton festin suffiraient à plusieurs familles, songe que tu as des chevaux, des voitures pour t'épargner la fatigue, et que là est un malheureux qui n'a plus de souliers aux pieds [..]. Aimez les malheureux, aimez-les quand-même, ne vous laissez pas rebuter ni par la misère ni par la stupidité ni par le vice [..] Vous rencontrerez sur cette voie bien des difficultés, je le sais; vous aurez à lutter contre l'égoïsme du monde, contre l'opposition de ceux-là même auxquels vous voulez du bien. Mais qu'importe, allez de l'avant avec foi et amour."

Elysée Reclus, sur de nombreux domaines, est proprement visionnaire: "Parmi les causes qui dans l'histoire de l'humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, laissaient tarir les sources et déborder les fleuves, détérioraient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses et pestilencielles; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois." Comme son mentor, elle sera écologiste, végétarienne et anarchiste.

A l'âge où la rencontre avec un adulte "éveilleur" détermine les choix d'une vie, Alexandra a la chance de débattre avec l'un des esprits les plus brillants de son époque. Elle est captivée par cet homme de cinquante-six ans, au front haut et au regard limpide. Le géographe anarchiste et la musicienne passionnée de philosophie parlent de voyages, des Amériques, de l'Europe, de politique, d'écologie, mot inventé en 1866 par le biologiste allemand Ernst Haeckel.

"Bien avant ma quinzième année, je m'étais aussi exercée, secrètement, à bon nombre d'austérités extravagantes: jeûnes et tortures corporelles dont j'avais puisé les recettes dans certaines biographies de saints ascètes trouvées dans la bibliothèque d'une de mes patentes." La jeune fille est convaincue que, pour voyager de par le monde, il faut faire de son corps un instrument robuste et infaillible. Cela lui sera très utile quand elle traversera l'Himalaya, marchant quatre mois en plein hiver. Elle lit les stoïciens, "maîtres révérés de sa jeunesse", elle s'entraîne à dormir sur un lit de planches, une habitude qu'elle conservera pendant une grande partie de sa vie.

La mère n'intervient pas dans cette éducation politique. Elle se préoccupe surtout d'enseigner l'hygiène et les bonnes manières à sa fille.

"Hier, en écrivant une date, j'ai subitement songé que c'était le 18 mars, l'anniversaire de la Commune, le jour du pélerinage des Fédérés. T'ai-je jamais dit que j'y avais été, au mur des Fédérés, après la fusillade, alors que hâtivement on entassait les cadavres dans les tranchées creusées à cette intention. Une sorte de vague vision me reste de cela. J'avais deux ans et demi à cette époaue [..]. Tu te demanderas qui m'avait menée là. C'était mon père qui voiulait que, si possible, je gardasse un souvenir impressionnant de la férocité humaine. Ah! Dieux! Que je l'ai vue à l'oeuvre depuis, la férocité humaine, sous des aspects moins théâtralement tragiques."

[..]₹d'abord la guerre de 1870, perdue par la France face à la Prusse de Bismarck, qui sera l'un des éléments déclencheurs de l'insurrection populaire de la Commune de Paris, en 1871 : soixante-douze jours pendant lesquels le peuple de Paris tient tête au gouvernement conservateur d'Adolphe Thiers réfugié à Versailles. Soixante douze jours d'utopie : le Conseil de la Commune légifère à tour de bras pour améliorer la condition des prolétaires; il réquisitionne les ateliers abandonnés par leurs patrons qui ont fui Paris, crée des coopératives ouvrières, limite la journée de travail à dix heures, promet l'égalité de salaires entre hommes et femmes, donne la nationalité française aux étrangers qui travaillent à Paris, etc..Soixante-douze jours qui se terminent dans un bain de sang. Thiers envoie l'armée mater les insurgés, la répression est impitoyable : plus de 7000 rebelles sont sauvagement fusillés, jetés dans plusieurs charniers, dont l'un au Père-Lachaise.