Puis [Elie Wiesel] me dit cette phrase que je ne peux oublier : "Celui qui écoute le témoin devient témoin à son tour."
Une citation commune au Talmud et au Coran ne dit-elle pas à peu près ceci: Qui sauve une vie sauve l'humanité entière ?
A un moment de la conversation, elle me dit, mais je crois qu'elle s'adresse à elle-même: "Je ne comprends pas pourquoi il a été complètement oublié." J'ai envie de lui répondre que la mémoire ça se travaille. Et que, sans doute, j'en suis même sûr, d'autres ont oeuvré pour qu'on l'oublie. On peut mourir deux fois.
Je crois que plus un pays est libre, plus sa volonté de préserver sa mémoire est grande. Et plus ses archives sont importantes. Un pays libre n'a pas peur de son passé.
Je me dis aussi qu'il n'y a pas beaucoup de différences entre une vie consacrée à une cause et une vie sacrifiée.
L'essentiel est invisible au regard
Je n’osais pas poser la question des souterrains.
L'entretien tourne autour du fait d'écrire (ou non) une fiction sur la Shoah. Il affirme que les romanciers peuvent tout se permettre, qu'il est même souhaitable que de jeunes auteurs s'emparent de ce sujet. "Mais il y a danger, m'explique t-il, c'est quand l'imagination remplace la réalité.(...) Le seul risque de la fiction est de travestir la réalité, mais il en va de la responsabilité de l'écrivain." Comme Jorge Semprun, il pense que le roman peut aider la mémoire. Il peut aider à entretenir la flamme. On peut aussi construire des fictions à partir de ces documents.
Les enfants des survivants ne sont pas les meilleurs témoins. J'ai remarqué cela à force de chercher. Ces enfants passent leur temps à vouloir oublier, et à ne pas se sentir vraiment concernés par le passé de leurs parents. C'est peut-être une posture ou une manière de se protéger, je ne sais pas. Ils se réfugient dans l'oubli, le désir de passer à autre chose, sans doute. Bien malgré eux, ils en viennent à effacer des pans de mémoire. parfois, ils changent de nom. Ils le francisent, des consonances étrangères sont biffées. Ils déchirent les vieux papiers pour construire un avenir à leurs propres enfants.