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Critique de batlamb


Avec cette courte série de nouvelles, Akutagawa met en scène ses hésitations. D'abord une hésitation face à un Japon de plus en plus ouvert sur la culture occidentale, vectrice d'une modernité paradoxale, mise en avant dans les titres « Un mari moderne » et « Un crime moderne ». En effet, la modernité introduit dans le couple et dans l'acte criminel lui-même des sentiments ambivalents, quelque part entre la dignité et la jalousie, ou entre « l'indulgence ou le dégoût » anticipés chez les lecteurs par le criminel de la seconde nouvelle. Cela est susceptible de refléter la mélancolie d'Akutagawa face aux changements amenés par l'ère Meiji, même s'il était lui-même très influencé par la culture occidentale (de Gustave Moreau à Poe, qu'il enseigna, en tant que professeur d'anglais). Dans la nouvelle « Les poupées », le fait de rejeter sa propre culture empêche la communication avec ceux qui s'émeuvent encore devant elle. Portés par leurs penchants respectifs, les héros font ainsi éclater l'unité de la famille japonaise et se retrouvent isolés les uns des autres, si bien que l'amour pour des poupées représentant une cour impériale fantasmée (monde du passé par excellence) ne peut plus se perpétuer que dans le silence, dans l'imminence de leur disparition.

Pour retenir ce monde fuyant, Akutagawa fait appel à une magie relevant du shintoïsme : un mystérieux kami aquatique confère des pouvoirs à la magicienne éponyme, qui s'avère malfaisante (ce Japon regretté n'est donc pas idéalisé). Akutagawa déploie ici des visions d'une grande originalité, portées par les ailes de nuées de papillons de nuits, entre lesquels apparaissent et disparaissent aussitôt des yeux de sorcières détachés de la matérialité. Difficile de penser que les névroses hallucinatoires dont souffrait l'auteur ne sont pour rien dans ces esquisses fugitives et saisissantes.

D'ailleurs, face au déchaînement de ces forces obscures contre le héros et sa bien-aimée, ces derniers hésitent à se soulager de leurs tourments par un double suicide amoureux, le fameux shinjū également cher à Dazaï. On aboutit là à une seconde forme d'hésitation, qui s'avère poignante à l'aune de la fin de vie d'Akutagawa. Aurait-il résisté à ses démons s'il avait embrassé la modernité de plein pied, ou bien seule une intercession auprès d'un kami aurait-elle pu le soulager, de sa « vague inquiétude », reflet nippon de l'inquiétante étrangeté où nous plonge le croisement des mondes ?
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