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Citations sur La Magicienne (8)

Mais à l'aube, j'ai pu observer mon père, le visage vieilli, perdu dans la contemplation des poupées. Cela au moins est certain. Et même si c'était un rêve, je n'en ressentirais pas pour autant la moindre déception. Car il m'a été donné de voir de mes yeux, cela au moins est certain, mon père, qui ne différait en rien de moi-même... oui, j'ai pu voir de mes yeux mon père, sensible et vulnérable, grave pourtant...

[Les poupées]
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J'ai dit tout à l'heure que sa voix faisait penser au coassement d'un crapaud, mais quand on l'avait sous les yeux, on sentait l'envie de préciser : elle faisait penser à un crapaud, certes, mais plus exactement elle évoquait le spectre indescriptible d'un crapaud à forme humaine, sur le point de cracher sa bave venimeuse. Et Shinzô avait beau vouloir faire le fier, il ne sentit pas moins la frayeur l'envahir, au point qu'il redouta même que la lampe au dessus de sa tête ne se mît à faiblir.

[Extrait de "La magicienne"]
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[...] il se retourna brusquement vers moi et me demanda : «Es-tu capable de ressentir de la pitié à mon égard ?» avec une expression sérieuse. Moi naturellement, en bon élève qui revient d'Europe, je tenais en horreur tout ce qui reflétait les coutumes désuètes qu'on mettait à l'honneur autrefois, et je lui répondis d'un ton glacial : «Non, je n’éprouve pas la moindre compassion. Ceux qui ont fomenté une rébellion sous le seul prétexte qu'on leur a donné l'ordre d'abandonner le port du sabre se suicident, quoi de plus naturel ?» Lui, hochant la tête d'un air désapprobateur rétorqua : «Leurs revendications n'étaient peut-être pas recevables, mais le respect de leurs principes, qui les a entraînés jusqu'au sacrifice de leurs vies, mérite mieux que de la pitié.»

[Extrait de "Un mari moderne"]
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Le rythme entraînant des répliques qui s'échangeaient fit retrouver à Nobuko sa jeunesse. Le regard passionné, elle déclara : «Et si je me mettais pour de bon à écrire un roman ? » Alors son cousin, en guise de réponse, lui lança un aphorisme de Gourmont : «Puisque les Muses sont des femmes, seuls les hommes disposent du pouvoir de les tenir captives à leur guise.» Nobuko et Teruko s'allièrent pour dénier toute autorité à cette sentence de Gourmont. «Alors si je comprends bien, seule une femme pourrait devenir musicienne ? Apollon n'est-il pas un homme ?» Teruko alla jusqu'à se poser sérieusement la question.

[Extrait de "L'automne"]
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Ma nature, ma conscience, ma morale, mes convictions, tout cède devant l'égoïsme tout-puissant. Je comprends que dès l'origine, les sentiments vertueux n'ont jamais eu la possibilité de m'habiter. Me tuer est le seul moyen de me permettre de croire que je sors vainqueur de la déroute de mon esprit. En conséquence, puisque je n'ai pas réussi à élever ma nature, je vais ce soir, à l'aide de la «boite»*, me constituer le même destin que celui qui fut naguère ma victime.

*[Boite contenant une dose mortelle d'un médicament puissant. Le narrateur, et criminel qui se confie à des amis proches dans cette nouvelle, est un médecin]

[Extrait de "Un crime moderne"]
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Shinzô prit son verre et le porta à ses lèvres dans l’intention de le vider d’un trait. Dans le cercle scintillant de deux pouces environ que formait la bière à l’intérieur du verre, la lampe suspendue au plafond et la petite porte en roseaux miroitaient à la surface du liquide... Et, l’espace d’une seconde, le petit disque lumineux s’anima du reflet d’un visage inconnu. Plus exactement il conviendrait de dire que c’était un visage dont on n’aurait su affirmer s’il était humain ou non. Cela pouvait être tout aussi bien une tête d’oiseau, un fauve ou bien encore un serpent ou un crapaud. D’ailleurs ce visage n’était pas entier, c’était un fragment, plus particulièrement net des yeux jusqu’au nez, qui, en interceptant la clarté que diffusait la lampe, dessinait une ombre précise et regardait dans le verre de Shinzô par-dessus son épaule.
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Automne.

Nobuko se sentait le coeur paisible. Mais cette sérénité n'avait été conquise qu'au prix d'un renoncement mélancolique. Quand les sanglots de Teruko s'étaient calmés, la réconciliation mêlée de nouvelles larmes avaient rendu sans difficultés les deux soeurs à leur entente première. La réalité pourtant était inchangée et le coeur de Nobuko habité du même sentiment. Lorsque, sans attendre le retour de son cousin, Nobuko s'était confiée à la voiture, le sentiment que sa soeur et elle étaient devenues pour toujours des étrangères avait cruellement glacé son coeur.

Involontairement, Nobuko releva les yeux. A ce moment, à travers la paroi de celluloïd, apparut la silhouette de son cousin qui avançait dans la rue encombrée, une canne à la main. Nobuko fut bouleversée. Dans son désarroi, elle oscillait. Allait-elle arrêter la voiture ? Passerait-elle son chemin ? Sous la capote qui la dérobait aux regards, comprimant les battements de son coeur, elle resta quelques instants indécise, en proie à un dilemme sans issue. La distance qui la séparait de Shunkichi diminuait à vue d'oeil. Il dirigeait tranquillement ses pas, dans la rue parsemée de flaques d'eau.

"Shun-san !" L'espace d'une seconde, ce cri faillit s'échapper de ses lèvres. Réellement, à ce moment, Shunkichi montra sa silhouette familière juste à côté de la voiture. Elle hésita une nouvelle fois. Lui, sans se douter de rien, dépassa finalement la voiture. Le ciel grisâtre, les toits irréguliers des maisons, le tronc des grands arbres qui déployaient leurs branches ... Puis ce fut seulement le faubourg, avec ses rues peu passantes. Sous la capote légèrement froide, Nobuko ressentit de toutes les fibres de son corps la mélancolie de la saison d'automne et, malgré elle, un léger cri s'échappa de ses lèvres - Mars 1920
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[...] ...

La Magicienne.

Shinzô s'était avancé dans la pièce suivante ; il posa sans se gêner un coussin sous ses genoux et regarda autour de lui. L'endroit était conforme à ce qu'il avait imaginé : la suie noircissait le plafond et les poutres de cette misérable pièce de huit tatamis mais, assis en face de l'endroit où il se trouvait assis, on découvrait un espace surélevé d'une vingtaine de centimètres, orné d'une peinture sur rouleau où était calligraphié le nom de Baisara Daijin [= divinité bouddhique, tantôt bienveillante, tantôt très dangereuse]. Sous le rouleau s'alignaient soigneusement un miroir, un flacon de saké et trois où quatre bâtonnets de bois d'où pendaient des morceaux de papiers rouges, bleus et jaunes. A gauche se trouvait la véranda qui donnait sur la rivière Tategawa, vous vous rappelez, la rivière Tate ? N'était-ce qu'une illusion ? Il crut entendre le clapotis de l'eau qui retentissait sur les cloisons de bois hermétiquement closes. J'en viens maintenant au personnage qui nous occupe. Assise devant une commode, légèrement décalée par rapport au côté droit de l'alcôve, sur laquelle s'entassaient pêle-mêle boîtes de gâteaux, bouteilles de limonade, sachets de sucre, des oeufs même, autant de cadeaux que des clients lui avaient faits, une vieille femme corpulente, aux cheveux coupés courts, le nez épaté, une grande bouche dans un visage bouffi au teint blafard, occupait à elle seule la surface d'un tatami. Le col de son kimono non doublé de tissu noir était largement échancré. Elle dissimulait à moitié ses yeux sous des paupières aux cils clairsemés, et, tenant croisées ses mains aux doigts boudinés, elle trônait lourdement, tel le dieu des torrents et des bois.

J'ai dit tout à l'heure que sa voix faisait penser au coassement d'un crapaud, mais quand on l'avait sous les yeux, on se sentait l'envie de préciser : elle faisait penser à un crapaud, certes, mais, plus exactement, elle évoquait de façon indescriptible le spectre d'un crapaud à forme humaine, sur le point de cracher sa bave venimeuse. Et Shinjô avait beau vouloir faire le fier, il ne sentit pas moins la frayeur l'envahir, au point qu'il redouta même que la lampe au dessus de sa tête ne se mît à faiblir. ... [...]
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