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Critique de mh17


mh17
15 novembre 2022
Ryûnosuke Akutagawa (1892-1927) était un écorché vif dans une époque troublée. Dans ce recueil qui contient neuf textes, on suit son cheminement intérieur et littéraire jusqu'à son suicide, qui coïncide avec la fin de l'ère Taisho. Akutagawa demeure le maître du récit court au Japon.

1.Le recueil s'ouvre sur un texte lyrique « L'eau du fleuve »que l'écrivain a composé alors qu'il était simple étudiant. Il s'apparente à un poème en prose avec des descriptions mélancoliques, reflet de son âme déjà tourmentée.

2.Suit une nouvelle historique « Un jour, Oishi Kuranosuke » composée en 1917. Il reprend une légende, celle des 47 rônin et raconte leur fin. Ils viennent de commettre leur vengeance et sont assignés à résidence en attendant que le shogun décide de leur sort. Il fait beau, on plaisante mais peu à peu, le grand Oishi Kuranosuke sombre dans la morosité car il se met à penser aux félonies, aux jalousies des uns et des autres et puis il ne se reconnaît pas dans l'image enjolivée que les autres ont de lui. A la fin du récit on retrouve la même description qu'au début mais notre perception, qui épouse celle d'Oishi a changé.

3. Lande morte. Un texte fictif fameux. le grand poète Basho est mort. Akutagawa imagine les réactions de ses cinq disciples. On s'attend à cinq variations sur leur douleur. On a cinq variations sur leur égoïsme. Même Jôsô « ce dévoué Jôsô des monastères zen »est envahi par une profonde sérénité, la triste et voluptueuse jouissance » d'être délivré. Akutagawa s'est-il senti aussi secrètement libéré à la mort de son maître Natsume Soseki ?

4. Les Mandarines. (1919) est un texte personnel très beau et construit magistralement. le narrateur est d'humeur morose dans un triste train de banlieue. Une petite paysanne est poussée dans le compartiment. Son apparence le dégoûte. Elle essaie maladroitement d'ouvrir la fenêtre et ses efforts renforcent le dégôut du narrateur devant » l'absurdité, la vulgarité, la monotonie de la vie humaine ». Au milieu du tunnel, elle parvient enfin à ouvrir la fenêtre et il croit étouffer en recevant la suie dans la figure. Il s'apprête à la rabrouer vertement quand elle lance quelques mandarines qu'elle tenait cachées sous sa blouse par la fenêtre… La perception du narrateur-auteur change alors. Les descriptions, les couleurs du temps, le portrait de la petite et les réflexions du narrateur sont construits symétriquement par rapport à l'événement.

5. le bal (1919) est un récit ironique. Nous sommes dans la bonne société le soir du 3 novembre 1886. Une jeune Japonaise Akiko vêtue comme une Pompadour croise le regard d' un officier français. « Sa robe de bal rose tendre, le ruban bleu pâle élégamment noué autour de son couet, dans sa chevelure de jais, cette rose au doux parfum » Vous aurez peut-être reconnu dans ce pastiche un écrivain français très en vogue à la fin du XIXème siècle. Akutagawa se moque des Japonais qui singent les occidentaux sans se rendre compte de leur ridicule et en même temps des préjugés exotiques des occidentaux sur les Japonais tout aussi ridicules.

6. Extraits du carnet de notes de Yasukichi (1923). le texte est très expérimental et donc déroutant. Yasukichi est un double de l'auteur sans doute et rappelle également le personnage des Mandarines. Il est imbu de sa personne et ne se supporte guère. le carnet est constitué de cinq fragments, cinq instantanés de vie.

7. Bord de mer(1925) Dans ce texte poétique , l'auteur expérimente la "touche lente". Aucun événement narratif d'importance mais une atmosphère intense qui mêle rêve et réalité. le narrateur contemple un étang ooù se mire la lune. Quelqu'un l'appelle...


8. Engrenage (1927, publication posthume).
C'est un récit à la première personne. le narrateur Monsieur A est un écrivain célèbre. Dans un taxi, son compagnon de voyage, un rondouillard à barbiche, lui apprend qu'un fantôme en manteau de pluie hante une propriété. le narrateur n'y prête guère attention, mais bientôt, il voit un manteau de pluie, à la gare, dans les rues qui lui semble être l'ange de la mort. Dès lors les hallucinations morbides s'enchaînent qu'il affronte d'abord avec calme avant que la honte et l'angoisse ne le submergent.
Ce qui apparaît d'abord comme une simple histoire de fantôme devient le récit bouleversant et extrêmement précis des souffrances du narrateur-auteur. Il scrute les mauvais présages dans des objets ou de simples couleurs, le rouge et le noir lui rappelle l'Enfer, il a des hallucinations visuelles et auditives impressionnantes (rires narquois, chuchotements dans la nuit). Il se voit dans un miroir déformant et un engrenage flotte dans ses yeux. le récit évoque Gogol, Poe, Dante, Maupassant (Le Horla), Sternberg, Dostoïevski et bien d'autres. La littérature semble avoir nourri la bête qui le rongeait depuis l' enfance.

9. La vie d'un idiot, (1927. Publication posthume). le journal d'un idiot est composé de 51 fragments poétiques que l'auteur rédigea en 1927 avant de se donner la mort. Ils sont écrits à la troisième personne. Akutagawa se met à distance et se regarde. On voit comme dans un film expressionniste, instantané par instantané, son cheminement littéraire et personnel. Chaque fragment porte un titre révélateur : 1 Époque... 2. Sa mère ...6. maladie. 9 cadavre...13 La mort du maître (Soseki) 17 Papillon...31 le grand tremblement de terre...49 Un cygne empaillé. 50 Prisonnier. 51 Défaite. Chaque fragment est magnifique, intense et marquant.
« La vie d'un idiot était achevée", quand il découvrit un cygne empaillé dans la boutique d'un antiquaire. L'oiseau était debout, le cou tendu, mais ses ailes jaunies étaient trouées par les mites. Songeant à sa vie, il sentit un sourire de dérision brouillé de larmes lui monter aux lèvres. La folie ou le suicide, c'est tout ce qui l'attendait. Il marchait, solitaire, dans les rues où tombait la nuit, résolu à attendre le destin qui, lentement, viendrait l'anéantir ». (49 Un cygne empaillé).

L'édition est accompagnée d'une préface et d'introductions éclairantes de la traductrice.
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